MISTINGUETT
Décrétée «propriété nationale», par Colette, Mistinguett reste, sans nul doute, l'artiste française la plus célèbre de son temps, avec Sarah Bernhardt. Les deux femmes furent, d'ailleurs, largement contemporaines, puisque la grande tragédienne (née en 1844), a un peu moins de trente ans, lorsque la future Mistinguett naît, le 5 avril 1873, et que cette dernière aura tout juste cinquante ans, lors de la disparition de la créatrice de L'aiglon, le 26 mars 1923. Chacune, à sa manière, a dominé son art et son époque, sans rivalité possible, pendant plusieurs décennies, suscitant d'égale manière, la vénération du public populaire et l'admiration des critiques les plus blasés. L'une et l'autre allant, de surcroît, chercher la consécration internationale, aux Etats-Unis, à l'occasion de tournées mémorables et mouvementées, faisant figure d'événements. De son vrai nom Jeanne Bourgeois, Mistinguett voit le jour à Enghien-les-Bains, dans une famille de petits commerçants qui, très tôt, rêvent pour leur fille d'un avenir plus brillant. Aussi reçoit-elle, dès son plus jeune âge, une éducation artistique soignée, où les cours de violons alternent avec les cours de chant, de danse et de comédie. Une formation classique et complète, qui lui servira énormément par la suite, mais qui, pour l'instant, l'ennuie terriblement. Car la jeune fille ne rêve que de strass et de paillettes; si bien que c'est vers les revues à grand spectacle qu'elle cherchera ses premiers engagements, à partir de 1895 : année où elle débute au Trianon-Concert, dans Max, ah c'que t'es rigolo! Deux ans plus tard, elle entre à l'Eldorado, où elle restera dix saisons (de 1897 à 1907), franchissant toutes les étapes du métier et en apprenant toutes les ficelles, ainsi qu'elle l'écrira dans ses mémoires : «Entrée comme gigolette, j'en sors prête à être vedette». Encore que le terme de «vedette» semble bien faible pour évoquer la quasi-idolâtrie dont «La Miss» fera l'objet. Apparaissant en scène couverte de plus de cent cinquante mille francs de costume, de plumes et de bijoux, à une époque où la dernière née des Citroën coûte un peu moins de quatre mille francs, et faisant assurer ses jambes pour la somme astronomique de cinq cent mille francs, soit le prix d'un hôtel particulier aux Champs-Elysées, elle n'en est pas moins adulée par le public le plus populaire, qui la reconnaît comme l'une des siennes, malgré ses origines plutôt bourgeoises. Mieux, elle incarne comme nulle autre (aux Etats-Unis, surtout), l'idéal que le monde entier se fait alors de la «Parisienne».
Un mélange subtil de gouaille faubourienne et de classe, de liberté de ton et d'attitude, de beauté, d'élégance et de sensualité, relevées d'un rien de vulgarité, pour le piment. Equilibre complexe et fascinant, que l'on retrouvera, quelques années plus tard, avec autant de bonheur, dans le personnage d'Arletty. S'il fallait chercher un équivalent masculin au personnage de Mistinguett, ce serait, à l'évidence, du côté de Maurice Chevalier, dont elle lancera la carrière, à partir de 1912, et avec lequel elle vivra une grande passion amoureuse, spectaculaire et tumultueuse, qui, pendant une dizaine d'années, fera couler beaucoup d'encre et de larmes. N'abandonnant la scène qu'en 1951, à la suite d'une crise cardiaque, qui la contraindra au repos définitif, Mistinguett s'éteindra à Bougival, le 5 janvier 1956, sans que son succès ait jamais faibli.
Marc Robine
Biographie
Fille d'Antoine Bourgeois, travailleur journalier de 31 ans, et de Jeannette Debray, couturière de 21 ans, Jeanne Florentine Bourgeois naît au 5 de la rue du Chemin-de-Fer (actuelle rue Gaston Israël) à Enghien-les-Bains. La famille travaillant comme garde-barrière déménage à Soisy-sous-Montmorency où elle passe son enfance.
Après avoir suivi des cours de danse, de théâtre, de chant et de maintien avec l'actrice de vaudeville Alice Ozy, elle commence sa carrière en 1885 : dans le train qui l'amène à Paris pour ses leçons de violon avec Boussagol, de l'Opéra de Paris, elle rencontre Saint-Marcel, responsable de revue au Casino de Paris, qui l'engage pour le lever de rideau : le 5 décembre 1893, elle monte sur scène avec le trac, entonnant son air La Môme du Casino. Elle cherche sa vocation, sa voix et son nom de scène. Saint-Marcel lui donne le surnom de Miss Hélyett (s'inspirant du nom de l'héroïne de Miss Helyett, l'opérette en vogue de Maxime Boucheron et Edmond Audran alors à l'affiche aux Bouffes-Parisiens depuis fin 1890), déformé peut-être phonétiquement par le caprice de ses employeurs en Miss Tinguette, Mistinguette, et pour simplifier, elle supprime le e final afin de donner plus de force au graphisme4. Selon un article paru en 1939, son pseudonyme de Miss Tinguette aurait été inspiré à Saint-Marcel en chantant l'air de La Vertinguette, une de ses chansons à succès du moment5. Selon un entretien rapporté en 19126, la chanteuse aurait déclaré :
« Un jour, j'ai rencontré un « auteur » qui m'a dit : « Toi, tu as le genre anglais, tu devrais t'appeler Miss… J'ai justement une chanson La Mistingo ». Et c'est en chantant :
Ô la Mistinguo,
Ô la Mistinguette !
que je devins Miss Tinguette, puis Mistinguett tout court, court comme mes cheveux. »
Elle entre en 1894 au Trianon-Concert où elle lance Max, Ah c'que t'es rigolo, mais sans grand succès.
De 1897 à 1907, elle se produit à l'Eldorado en chanteuse comique, en « gommeuse épileptique », en gigolette, et découvre petit à petit l'art de tenir la scène. Après avoir appris à pallier son insuffisance vocale par un brin de comédie, une mimique unique, une voix gouailleuse et des pas de danse, elle en sort vedette consacrée. Le public commence à l'aimer.
Après sa rencontre avec Jacques-Charles — considéré comme le « père de la revue moderne » — elle fait ses débuts sur la scène du Moulin-Rouge, le 29 juillet 1907, dans « La Revue de la Femme ». Très vite, son talent éclate au grand jour. L'année suivante Max Dearly la choisit comme partenaire pour créer « La Valse chaloupée », toujours au Moulin-Rouge, et c'est un nouveau triomphe. Mistinguett, née dans une famille modeste, a un sens indéniable de la repartie. Elle a voulu construire sa vie et dit « La banlieue, n’en sort pas qui veut. J’avais un don : la vie. Tout le reste, reste à faire, à penser. Je n’ai pas pu me permettre d’être un bel animal, il a fallu penser à tout. » Puis, dans la revue La Revue, c'est La Valse renversante avec Maurice Chevalier aux Folies Bergère en 1912, qui donnera lieu à une histoire d'amour longue de dix ans. Le couple est surnommé par la presse « les danseurs obsédants ».
Elle se rapproche de sa tante, qui était matelassière à Montlignon, en achetant une maison, dans le même village, où elle donne naissance, le 8 juillet 1901, à un enfant naturel, Léopold-Marcel-Jean Bourgeois. Le père, Léopold de Lima, reconnaît son fils le 27 mars 1903.
En 1908, elle tourne son premier film L'Empreinte ou la Main rouge de Paul-Henry Burguet et, pendant quelques années, elle alterne pièces de théâtre, revues et films, expériences qui lui seront profitables pour devenir finalement la « Mistinguett » telle qu'on la connaît et telle qu'elle le restera jusqu'à la fin de sa longue carrière. Au cinéma, jusqu'en 1917, elle tourne dans de nombreux films muets, travaillant avec des réalisateurs comme Michel Carré, Albert Capellani, Georges Monca, Georges Denola, Henri Diamant-Berger, Augusto Genina ou André Hugon .
Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, Maurice Chevalier est blessé au front et fait prisonnier en Allemagne. Voulant le faire libérer, elle se porte volontaire pour jouer le rôle d'espionne. Elle offre ses services au général Gamelin et est autorisée à circuler librement en Europe : elle récolte de nombreux renseignements du prince allemand de Hohenlohe alors à Berne ou du roi Victor-Emmanuel III en Italie. Elle parvient à faire libérer son amant en 1916 grâce à ses relations avec le roi d'Espagne Alphonse XIII.
En 1918, elle succède à Gaby Deslys au Casino de Paris, sous la direction de Léon Volterra, dont elle reste la vedette incontestée jusqu'en 1925. Dans les années 1920, elle enchaîne les opérettes à succès : Paris qui danse, Paris qui jazz, En douce, Paris qui Brille!, Ça, c'est Paris. Durant cette période, avec successivement Harry Pilcer, Earl Leslie, Jean Gabin, Lino Carenzio, Georges Guétary, elle est la Miss des grandes revues qui feront accourir le Tout-Paris.
À partir de 1916, elle s'entiche d'un tout jeune affichiste de 16 ans nommé Charles Gesmar. Jusqu'à ce qu'il meure en 1928, il lui dessine nombre d'affiches et de costumes qui font sa gloire dans les années 1920. Il est son confident au point d'habiter sur son palier et de la surnommer « Maman ».
Elle est la vedette du grand bal d’ouverture du Copacabana Palace, à Rio de Janeiro, en 192315.
Devenue une gloire nationale, elle chante Ça c'est Paris composé par Jose Padilla, Mon homme sur les paroles d'Albert Willemetz, qui écrit aussi pour elle de nombreuses chansons et revues pour les Folies Bergère et jusqu'aux États-Unis. Image type de la Parisienne, elle fut en concurrence avec Joséphine Baker. En 1937, elle tourne son premier film parlant, Rigolboche.
Mistinguett meurt début 1956 à Bougival — d'une congestion cérébrale — à l'âge de 80 ans. Elle est enterrée dans sa ville natale.
Chansons
Valencia, La Java de Doudoune, Fleur d'Amour, Le Fado, Tout ça c'est pour vous, Moineau de Paris, ... de Jose Padilla, compositeur qu'elle considère comme « son favori ».
C'est vrai… On dit que j'ai de belles gambettes (1933) faisant référence à ses jambes magnifiées par les plumes, les « plus belles jambes de Paris », qu'elle fait assurer pour 500 000 francs français en 191917 (l'équivalent de 693 161,77 euros d'aujourd'hui).Merci wikipédia