Maurice CHEVALIER / MA POMME
Maurice CHEVALIER / MA POMME

Maurice CHEVALIER / MA POMME

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1 Pour les amants c'est tous les jours dimanche
2 Mimi
3 Donnez-moi l main mam'zelle
4 Ça c'est passé un dimanche
5 Prosper
6 La marche de Ménilmontant
7 Paris sera toujours Paris
8 Un p'tit sourir' mam'zelle
9 Ma régulière
10 Quand un vicomte
11 Valentine
12 Folies Bergère
13 Les mirlitons
14 La symphonie des semelles de bois
15 Ma pomme
16 Le chapeau de Zozo
17 Il pleurait
18 Ah! si vous connaissiez ma poule
19 Arthur
20 Ça va ça va
21 Fleur de Paris
22 La chanson du maçon
23 Ça sent si bon la France
24 Dans la vie faut pas s'en faire
25 Je ne peux pas vicre sans amour
La carrière internationale de Maurice Chevalier débute en 1928, lorsque la compagnie Paramount lui propose de venir à Hollywood, afin de jouer, aux côtés de Jeanette Mac Donald, le principal rôle masculin du film d'Ernst Lubitsch : "Parade d'amour (Love Parade)". Une comédie légère dont le succès sera tel que Lubitsch décidera aussitôt de mettre un autre film en chantier, autour de son couple vedette : l'adaptation de "La veuve joyeuse (The Merry Widow)", la célèbrissime opérette du viennois Franz Lehar Si bien que, parti outre-Atlantique pour environ six semaines, Maurice Chevalier finira par y rester sept ans. Avec son canotier incliné crânement sur l'œil droit, ses impeccables nœuds papillon, sa longue silhouette élégante d'éternel noctambule en goguette, son inaltérable bonne humeur - si communicative - et cet invraisemblable accent de titi parisien, dont il n'essaiera jamais de se départir - au point que l'on peut légitimement se demander s'il ne forçait pas parfois un peu la dose ; sachant très bien, le bougre, que cette apparente maladresse d'expression ajoutait à son charme - Maurice Chevalier sut vraiment séduire en profondeur le public américain. D'ailleurs, pour une bonne part de ce dernier, les premiers noms qui viennent à l'esprit lorsque l'on parle de chanson française sont ceux d'Edith Piaf et de Maurice Chevalier. Cela n'est sans doute pas un hasard ; et la chose mérite que l'on y regarde de plus près. En effet, "la Môme Piaf" et "le p'tit gars d'Ménilmontant" incarnent tous deux - pour qui y regarde de loin et de manière quand même assez superficielle - les deux facettes contradictoires d'une même image idéalisée de Paris. Mais qui - surtout à quelques milliers de kilomètres de distance - n'a pas un jour ou l'autre idéalisé Paris ? A l'une, donc, le Paris sombre du drame, de la misère et de la colère ; à l'autre le Paris rayonnant de joie de vivre du petit peuple de ces faubourgs où la musique et les chansons tournaient au gré du vent des cours et des rues, et servaient à balayer les soucis du moment aussi sûrement qu'un canon de gros bleu avalé au zinc d'un bougnat. Images contradictoires, certes et pourtant si complémentaires... car il y avait tout cela, et bien d'autres choses encore, dans le Paris d'alors. Et, pour être nés à trois pâtés de maisons l'un de l'autre, en plein cœur du quartier le plus populaire de la ville, et dans des familles plus que modestes Edith Piaf et Maurice Chevalier le savaient mieux que personne. Ainsi, lorsqu'il s'embarque pour les Etats-Unis, en 1928, Maurice Chevalier est-il une immense et authentique vedette populaire, aux yeux du public français. L'image même, pour reprendre l'expression de l'époque, du "petit gars bien de chez nous, qui a réussi grace à son talent et à son opiniâtreté, mais qui n'en est pas devenu plus fier pour autant..." Le séjour outre-Atlantique superposera à cette image d'Epinal celle tout aussi convenue d'ambassadeur quasi officiel de la gaieté et du charme français. Un pur et noble produit d'exportation certifié 100% parisien ; comme le sont les parfums, les bijoux ou les articles de luxe. MARC ROBINE The international career of Maurice Chevalier began in 1928 when Paramount Pictures invited him to Hollywood to play the male lead alongside Jeanette MacDonald in the Ernst Lubitsch film, Love Parade. The success of this light comedy was such that Lubitsch immediately decided to shoot another film with his star pairing, an adaptation of Franz Lehar’s world-famous operetta, The Merry Widow. As a result of all this hectic activity, Maurice Chevalier, originally in America for a six-week stay, finished up spending seven years there. With his straw-boater cheekily tipped over his right temple, his impeccable bow-ties, his tall, elegant, night-owl silhouette, his infectious good humour and his irresistible, deliberately exaggerated Parisian accent, Chevalier knew exactly what it took to seduce American audiences. Audiences for most of whom French song was personified by just two artists, Edith Piaf and Maurice Chevalier. That this was so was surely no matter of chance, and the phenomenon merits closer investigation. Indeed, “la Môme Piaf” and “le p’tit gars d’Ménilmontant” — perceived from a distance and inevitably, therefore, somewhat superficially — were the very incarnation of the two seemingly contradictory images of an idealised Paris. But, then, who — especially from several thousand miles away — has not, at one time or another, idealised Paris? On the one hand, there was the sombre, dramatic Paris, riddled with poverty and anger; on the other, the gai Paris, bubbling with the irrepressible joie de vivre of the common people, a city where music and song rang out from the courtyards and streets, sweeping away everyday cares just as surely as a few glasses of sturdy red wine. Seemingly contradictory images, we said, and yet in fact so complementary, for there was indeed all that — and plenty more, besides — in the Paris of the day. And Edith Piaf and Maurice Chevalier, born into modest families living only a few blocks from each other in the working-class area of the French capital, knew it better than anyone. Consequently, when he embarked for the USA in 1928, Maurice Chevalier was already an immensely popular figure with French audiences. The typical poor, local boy who had made good, while remaining true to his simple background. Chevalier’s American stay would superimpose upon this image that of semi-official ambassador of French gaiety and charm. A pure, noble export product certified 100% Parisian, just like jewels, perfumes and other luxury products. Biographie Maurice Chevalier, photographie de jeunesse dédicacée. 1888-1900 : enfance et débuts scéniques Maurice Chevalier naît le 12 septembre 1888, au 27 rue du Retrait, à Paris, de l'union de Victor Chevalier (1854-1915 ?), peintre en bâtiment, et de Joséphine Van Den Bossche (1852-1929), passementière. Il est le dernier d'une fratrie de trois enfants. Il a deux frères : Charles (1877-1938) et Paul (1884-1969). Peu de temps après sa naissance, ses parents emménagent dans « un minuscule logement de deux pièces au 15 de la rue Julien-Lacroix, toujours à Ménilmontant »18. Il entre à l'école des Frères des écoles chretiennes, au patronage, rue Boyer, pour y être instruit19. Alors qu'il est âgé de 8 ans, son père, alcoolique, quitte le domicile familial après une ultime scène de ménage20, abandonnant sa femme et ses trois enfants pour vivre seul au 27 rue de la Villette au Pré-Saint-Gervais. Jusqu'à ce qu'il écrive ses mémoires, il préférera dire que son père est mort quand il était enfant L'aîné, Charles, devient le chef de famille mais se fait vite tyrannique. Il va jusqu'à frapper Maurice Chevalier, ce que ce dernier ne lui pardonnera jamais. « À partir de ce moment, le peu de sentiment qu'il m'inspirait, car il n'avait jamais rien fait, rien dit, pour gagner mon affection, se dissipa pour laisser place à je ne sais quel espoir de revanche, un jour, plus tard. » Maurice et Paul, qui est apprenti graveur sur métaux, restent proches l'un de l'autre ainsi que de leur mère (qu'ils surnomment « la Louque »). Les finances de cette dernière souffrent du départ du père. Il lui faut travailler d'arrache-pied pour faire vivre ses enfants. Ouvrière en passementerie, elle complète les revenus en faisant le ménage chez des voisins. Mais le surmenage l'affaiblit, provoquant une hospitalisation à l'Hôtel-Dieu de Paris pour plusieurs semaines. Alors que son frère Paul est assez âgé, Maurice Chevalier est placé en 1898 à l'hospice des Enfants Assistés, rue Denfert-Rochereau, sous le numéro 13524927. Mais il réintègre le domicile familial lorsque sa mère sort de l'hôpital. Charles quitte à son tour le foyer pour accomplir son service militaire à Amiens le 14 novembre 189829. Après son retour, il quittera définitivement le domicile familial pour une femme qu'il épouse à Quincy-Voisins, le 20 octobre 190021. Quelques semaines après la sortie de la mère de famille de l'hôpital, Paul Chevalier est promu ouvrier par son employeur. Il touche désormais sept francs par jour, soit quarante-deux francs par semaine. Ce nouveau salaire, couplé à celui de la « Louque » permet aux Chevalier de déménager du troisième étage de leur immeuble vers le premier, dans un appartement avec une fenêtre sur la rue. Maurice Chevalier entre à l'école communale de la rue Julien-Lacroix, dans laquelle il restera deux ans, jusqu'au certificat d'études. Sa famille et lui vont tous les samedis et souvent le dimanche, « soit au Palais du Travail, soit au Cirque d'Hiver, soit au Concert du Commerce ou au Cirque Medrano ». Fasciné par les enfants acrobates, il se met en tête de le devenir lui aussi afin de subvenir aux besoins de sa famille. Après l'école, il s'essaye avec les enfants du quartier à l'acrobatie sur les tas de sable de la rue Sorbier. Il gagne vite l'estime du quartier33. Son frère le rejoint et ils fondent un duo nommé les « Chevalier Brothers ». Sans savoir que « brothers » veut dire « frères », Paul Chevalier maquille de vieilles affiches pour y afficher le nom de leur duo. Ayant obtenu son certificat d'études, il est temps pour Maurice Chevalier d'entrer en apprentissage35. Son frère le fait engager dans l'entreprise pour laquelle il travaille afin qu'il y apprenne la gravure sur métaux. N'ayant que l'acrobatie en tête, Maurice Chevalier est vite renvoyé. Paul décide d'abandonner le duo d'acrobates. Maurice Chevalier se fait engager à l'essai et sans salaire dans un trio acrobatique. La réalité le rattrape : il manque de force et de souplesse et c'est l'accident. Au cours d'un exercice, il heurte un camarade, tombe, s'évanouit et se reveille le visage ensanglanté. Sa mère le persuade alors d'abandonner son projet de devenir acrobate. Maurice Chevalier et son frère Paul, 1912. D'abord découragé, il décide ensuite de devenir chanteur38. Il lui faut toutefois un emploi afin de subvenir à ses besoins. Il s'essaie à bien des professions, tour à tour apprenti menuisier, électricien, peintre sur poupées, imprimeur, commis marchand de couleurs, mais partout il est vite renvoyé du fait de son inattention, n'ayant que son nouveau projet en tête. Un apprentissage dans une fabrique de punaises prouvera qu'il murit, car il n'en est pas renvoyé. Payé au millier de punaises fabriquées, il gagne jusqu'à dix francs par semaine40. Il se rend chez un libraire et y achète deux partitions intitulées V'là les croquants et Youp Youp Larifla qui font partie du répertoire d'un chanteur de genre comique paysan nommé Carlos. Il répète allant jusqu'à imiter la gestuelle du chanteur et se procurer des vêtements et accessoires identiques à ceux que le dit artiste a l'habitude de porter sur scène. Malheureusement son attention professionnelle en pâtit, et il a un doigt écrasé dans la machine qu'il dessert. Cet incident l'oblige à arrêter de travailler jusqu'à la cicatrisation. Pendant sa convalescence, il se rend au Café des Trois Lions, sur le boulevard de Ménilmontant, dont le public est essentiellement ouvrier. Il veut obtenir d'y chanter ses deux chansons sur scène. Sceptique, l'exploitant consent à le laisser chanter, mais ajoute qu'en fait de salaire, il n'aura droit qu'à un café au lait. Extatique, Maurice Chevalier accepte. Le soir venu, le pianiste lui demande dans quel ton il chantera. N'en ayant aucune idée, Maurice Chevalier lui répond de jouer dans le ton qu'il désire. Le pianiste commence alors à jouer V'là les croquants, Maurice Chevalier entre en scène déguisé en paysan et en chantant. Il provoque l'hilarité générale. Pensant triompher, il chante plus fort encore et termine la chanson dans ce qu'il pense être une ovation du public45. Trois chanteurs lui expliquent en coulisse que la raison pour laquelle il a tant déchainé de rires est qu'il chantait trois tons plus haut que le pianiste ne jouait, et forçait beaucoup trop sur sa voix. Déçu, il rentre chez lui accompagné de son frère et sa mère narquois mais qui le réconfortent néanmoins, l'assurant qu'il sera meilleur la prochaine fois. Nous sommes en 1900 et Maurice Chevalier a 12 ans. 1900-1904 : début de la carrière de chanteur Le lendemain soir, il retourne au Café des Trois Lions et est pris sous l'aile de Georgel et Léon Delpierre, qui lui expliquent qu'il est nécessaire que le chanteur et le piano jouent sur le même ton, que le rire qu'il a provoqué la veille n'était pas un « bon rire » puisqu'à ses dépens et que « tout ça ne fait pas artiste ». Ces trois remarques resteront gravées dans sa mémoire. Il devient ainsi un habitué du Concert du Commerce au Faubourg-du-Temple, il commence à fréquenter le chanteur Boucot, qui s'y produit très souvent. Un jour, il descend avec lui « dans Paris », où Boucot se tient au courant des derniers succès à intégrer à son numéro. Ce jour-là, il rencontre entre autres Henri Christiné, auteur-compositeur à succès, et Mayol. La cicatrisation de son doigt progresse. Il n'a pas oublié avoir promis à sa mère de retourner travailler sitôt remis de sa blessure. Guéri, il reprend donc le travail à la fabrique de punaises. Toutefois il se rend aux toilettes de la fabrique plus que de raison pour y répéter ses chansons. Tous les samedis et dimanches il continue de se produire au Café des Trois Lions. Il apprend à chanter dans le même ton que le piano. Cependant, des travaux de rénovation contraignent les artistes à arrêter de se produire dans ce café. La troupe se produit alors dans un petit café situé rue Popincourt, mais le public est peu réceptif52. Il apprend l'ouverture prochaine d'une salle des fêtes nommée Élysée-Ménilmontant dans un bureau de tabac rue de Ménilmontant et s'y présente. Il y est engagé sur sa réputation du Café des Trois Lions — toujours sans salaire. Maurice Chevalier à ses débuts, très influencé par Dranem. Le soir de la première, en décembre 190154, il passe avant Gilbert, un imitateur de Mayol d'une salle nommée le Casino des Tourelles, située au 259 de l'avenue Gambetta, et qui est la tête d'affiche de la programmation. Lorsque vient son tour, lui qui a alors pour nom de scène « Le petit Chevalier », ressent pour la première fois un contact avec le public. Il est applaudi et même rappelé sur scène. En coulisses, intrigué par sa prestation, Gilbert lui propose de se présenter le lendemain soir au Casino des Tourelles pour une audition. S'il plaît, il sera engagé pour une ou deux semaines et même rémunéré. S'il ne plaît pas, ses frais d'omnibus lui seront remboursés. Abasourdi, il accepte. Le lendemain, il est devant les portes de la salle en compagnie de son frère avec une heure d'avance. Les portes ouvertes, il est décidé qu'il passera en troisième sur scène devant le public pour son audition. Son tour venu, il monte sur scène, mais ne ressent cette fois pas de contact avec le public. Il quitte la scène en pensant avoir échoué mais Gilbert et le directeur de la salle le rassurent en lui disant qu'il lui faudra certes beaucoup travailler mais que la salle l'a trouvé courageux et amusant. Le directeur lui propose de venir chanter le jeudi, samedi, dimanche et lundi soirs pendant deux semaines payées douze francs chacune, soit deux francs de plus qu'une très bonne semaine à la fabrique de punaises. En outre, s'il a du succès, son engagement sera renouvelé60. Il accepte, mais doit donc arrêter son travail pour se consacrer à la recherche de chansons et au travail de son numéro. Sa mère y consent à condition qu'il retourne à l'atelier dans le cas où il se retrouverait sans engagement61. Ainsi, Maurice Chevalier commence sa carrière de chanteur et descend très souvent dans Paris d'abord avec Boucot, puis seul, dans l'optique d'élargir son répertoire62. À l'occasion, il pose pour des cartes postales moyennant rémunération. Néanmoins, après trois semaines, le directeur du Casino des Tourelles lui signifie qu'il doit renouveler sa troupe et le remercie. Grâce à l'aide de Boucot, il obtient rapidement un nouvel engagement dans une autre salle, le Concert du Commerce. Cependant, son cachet ne s'élève qu'à cinq francs par semaine64. Il rentre découragé chez lui et avoue tout à sa mère qui lui laisse un sursis de quatre semaines afin de voir si les choses s'améliorent. Sans quoi il devra retourner à l'atelier. Le lendemain matin, il cherche une autre salle où se faire engager après ce contrat et un café-concert, La Villa Japonaise, attire son attention boulevard de Strasbourg. Il entre et demande à la directrice à auditionner en public. Elle lui demande de venir le soir même à huit heures. Il convainc et est engagé à raison de trois francs par jour pour deux chansons matin et soir tous les jours, soit vingt-et-un francs par semaine66. Malgré un public peu réceptif, il y reste quelque temps et, par envie de changement, se fait engager au Casino de Montmartre, boulevard de Clichy, aux mêmes appointements qu'à La Villa Japonaise. Son public, réputé dur et cruel avec les auditions, lui accorde le bénéfice du doute ainsi qu'un peu de succès. Il trouve le temps de chanter trois soirs dans un autre établissement, la Fourmi, boulevard Barbès, et gagne trente-cinq francs. Il sollicite également les services d'un agent surnommé Dalos, qui lui obtient un engagement de sept jours renouvelable au Concert de l'Univers, avenue de Wagram, où il gagne trente-cinq francs par semaine. Il y reste douze semaines grâce au plébiscite dont son numéro comique fait l'objet. Après la fin de ce contrat, il multiplie les salles et les engagements. La date du 20 mars 1903 marque la première fois où son nom apparaît dans la presse. De fil en aiguille, Dalos lui obtient ses premiers contrats provinciaux. Ainsi, il chante au Havre, à Amiens, et doit chanter à Tours où, un soir où il a bu trop d'alcool, il est incapable d'honorer le reste de son engagement. Il est renvoyé, et, sans argent pour rentrer chez lui et payer la chambre de la pension où il loge, il est contraint de s'enfuir sans payer. À son retour à Paris, coupable, il se met à travailler d'arrache-pied. La direction de l'établissement de Tours a écrit à Dalos pour se plaindre de lui et il n'ose donc plus retourner le voir pour du travail. Entre autres, il recommence au Casino de Montmartre pour cinq francs par jour vers février/mars 1904. Un critique écrit : « On ne se lasse pas d'entendre le Petit Chevalier ». Il se fait embaucher pour trois soirées à la Pépinière. Il finit par retourner au Concert de l'Univers aux mêmes appointements que la dernière fois. La vie se faisant plus clémente pour sa famille, ils emménagent dans « un petit logement de deux pièces, sur la cour, au 15 du Faubourg-du-Temple ». Son frère, Paul, quitte cependant le foyer familial mais assure son frère cadet et leur mère qu'il leur versera une partie de son salaire à la fin de chaque semaine pour les aider financièrement.Maurice Chevalier et sa mère ne sont plus que tous les deux désormais, et il prend ses responsabilités très au sérieux : « Mon adoration pour elle était totale et le fait de savoir qu'elle dépendait de moi seulement et de mon travail me donnait le sens exact de ma grave responsabilité. » N'aimant pas l'emplacement de leur logement actuel, ils déménagent à nouveau dans un deux-pièces au « 118 Faubourg-Saint-Martin […] au sixième, sur la cour, presque au coin du boulevard Magenta ». En parallèle, Paul se marie le 10 décembre de cette année. Le père vit à cette époque au 34 avenue de Versailles à Boulogne-Billancourt, son dernier domicile connu. Après la fin de son second contrat au Concert de l'Univers, il se fait engager au Petit Casino, boulevard Montmartre, pour y chanter tous les jours matin et soir. Le public y est réputé impitoyable, ce qui donne à cette salle une réputation de tremplin vers la gloire. Le soir de ses débuts, sa première chanson est passablement accueillie par la salle. Il dit ensuite son monologue comique Volonté de fer qui jusqu'à présent avait toujours fait un tabac sur scène, surtout au Concert de l'Univers. Un monologue qu'il présente en ces mots dans ses mémoires : « Volonté d'fer J'connais qu'ça Quand on est homme Faut montrer qu'on en a !… J'appuyais la fin du couplet parlé en mettant mes deux mains dans mes poches et en remontant ainsi le pantalon et son contenu. Geste très vulgaire, qui, néanmoins, avait le pouvoir de verser l'hilarité […]. Plus je faisais des gestes obscènes, plus je disais de gauloiseries, plus ma petite taille et mon visage enfantin leur faisaient trouver très drôles ces monstruosités. » Mais ce soir-là ce monologue d'habitude si apprécié ne suscite aucune réaction. Enfin, il entame sa troisième chanson V'là Monsieur Trottin, dans laquelle il joue le rôle d'un livreur qui doit porter à une femme « un carton contenant une chemise, un pantalon de femme et un corset ». Il décrit le déroulement de la chanson comme suit : « Au premier refrain — ouvrant le carton — j'enfilais la chemise par-dessus mon costume de comique. Au deuxième couplet, je plaçais le corset autour de moi. Puis, au troisième, l'éclat formidable de rire devait être obtenu en enfilant le pantalon qui par ses larges ouvertures devant et derrière laissait passer la chemise. » Au troisième couplet, une voix s'élève du public et clame : « Assez ! c'est dégoûtant ! Qu'on envoie ce gamin à l'école. » Un brouhaha général prend la salle, dans lequel Maurice Chevalier perçoit d'autres invectives acerbes car personne ne prend sa défense. Resté sur scène, stupéfié, il finit par sortir sans dire un mot. Il descend dans sa loge et y pleure pendant plus d'une heure. Craignant que ce genre d'incident ne survienne à chaque représentation, il perd peu à peu de sa confiance en soi. Il retourne malgré tout au Petit Casino pour honorer son engagement et est tant effrayé de faire des gestes obscènes qu'il ne tente plus rien. Même si la salle ne le fait plus sortir de scène, la réception reste glaciale. Il y reste pour la semaine mais y est très malheureux : « J'avais perdu la foi, la confiance. » 1904-1913 : passage à vide et renommée Au début de la saison d'été, les engagements se font de plus en plus rares, il passe régulièrement plusieurs semaines sans travailler et sa mère et lui n'ont pas d'économies. S'ensuit une période de misère au cours de laquelle il accepte de chanter dans un café pour trois francs par jour, plus l'argent obtenu en mendiant auprès du public. Il songe à arrêter sa carrière pour redevenir apprenti. Après des semaines de dénuement, il reçoit en août une lettre du music-hall Parisiana qui l'invite à se présenter à la direction de l'établissement dès le lendemain. Sur place, il découvre que le nouvel acquéreur de la salle n'est autre que Paul Ruez qui dirigeait La Fourmi boulevard Barbès où il avait chanté trois soirs quelque temps auparavant. Pour sa nouvelle revue nommée Satyre… Bouchonne, il l'engage à raison de neuf francs par jour afin qu'il chante au début du spectacle et remplisse quelques petits rôles. Cet engagement lui assure un revenu confortable, la revue dure six mois et prend fin le 15 janvier de l'année suivante. Son contrat n'est pas reconduit. Se faisant désormais appeler « Chevalier M., de Parisiana », il reprend ses visites chez les agents lyriques à la recherche de contrats. Peu de bonnes opportunités se présentent et il accepte sans conviction de chanter trois jours à l'Eden-Concert d'Asnières pour trente-cinq francs. Cependant le public est extrêmement réceptif à son humour et à ses chansons. Les éclats de rires et les blagues improvisées fusent. « J'étais devenu jeune homme et les grivoiseries que, prudemment, je lançais, ne choquaient plus personne. » Devant son succès, la direction de la salle lui propose de rester une semaine de plus. Au total il y reste dix semaines supplémentaires et est affectueusement surnommé « Le petit Jésus d'Asnières », mais aussi « Le petit possédé » ou « Le petit inconséquent » ; des sobriquets que le directeur de la salle n'hésite pas à ajouter à l'affiche sous le nom Chevalier. Il commence à se faire un nom et parvient à se faire engager pour une semaine à la Scala de Bruxelles à raison de vingt francs par jour, un contrat qui durera en réalité un mois. Il part plus tard chanter à Lille à partir du 5 août 190594 où son contrat est prolongé pendant deux mois. De retour à Paris, il a désormais « une réputation de jeune révélation qui se confirme sur le boulevard de Strasbourg ». Sa nouvelle notoriété dans le milieu lui permet de partir en tournée en province. En novembre il est en représentation à Marseille, en décembre à Bordeaux. Il passe également par Nice, Toulon, Alger, Avignon et Lyon. La presse va jusqu'à le présenter comme le seul émule voire le seul rival de Dranem. Souvent, il est réengagé pour l'année suivante. Inspiré par le comique anglais Little Tich qu'il a vu sur scène à Paris, il commence à agrémenter ses passages sur scène de quelques pas excentriques et de claquettes. En outre, des artistes débutants commencent à le copier. De retour à Paris, on lui propose de chanter au Casino Montparnasse ainsi qu'au Casino Saint-Martin qui sont des lieux qui hiérarchiquement se trouvent juste en dessous de la Scala et de l'Eldorado, les plus prestigieuses salles de musique populaire de l'époque. De plus en plus intéressé par le monde du music-hall britannique, il va voir Norman French, danseur anglais qui est à l'affiche à la Scala de Paris. Impressionné par sa prestation. Il décide alors de moderniser ses chansons en y ajoutant tout un ensemble de fantaisies corporelles, mêlant danse et sport, avantagé par ses débuts acrobatiques, et ses talents de comédien. À la même époque, il fait ses débuts au cinéma muet en tant que figurant dans plusieurs productions dont celles de Max Linder tournées aux studios Pathé de Vincennes. Nous sommes en 1906. Son succès ne se dément pas et il est constamment à l'affiche de nombreux établissements, à Paris où en province. Il gagne désormais une moyenne de cent francs par jour en province et de vingt-cinq à quarante dans la capitale. À l'affiche à Toulouse, il rencontre et se lie d'amitié avec Raimu. De passage à Bordeaux aux Bouffes Bordelais en, il est en tête d'affiche avec Mayol, alors à l'apogée de sa gloire. En parallèle, il décide de prendre des cours de boxe anglaise qui vient de faire son apparition à Paris. Plus tard, de passage à Lille dans une salle de boxe, il rencontre le jeune Georges Carpentier, futur champion du monde de boxe alors âgé de quatorze ans, c'est le début d'une longue amitié entre les deux hommes. Tous les matins, il pratique les claquettes et les pas de danse américano-anglais pour enrichir ses prestations. Henri Christiné, auteur-compositeur à succès, lui écrit une chanson en 1908, Le Beau Gosse. Il s'agit de la première chanson qui lui est offerte. Grâce à ses nouveaux moyens financiers, sa mère et lui emménagent dans un logement plus grand à la même adresse. C'est durant cette année qu'il obtient ses premiers vrais rôles au cinéma avec deux courts-métrages : La valse à la mode et Trop crédules. Il fera en tout son apparition dans quinze productions muettes jusqu'en 1923. En 1909 il est engagé pour deux mois à l'Eldorado, à raison de mille francs par mois. Figurent également à l'affiche des artistes tels que Bach, Georgel et Montel. Fichier:La valse à la mode (1908). La Valse à la mode (1908), l'un des premiers rôles de Maurice Chevalier au cinéma. Il fait en parallèle la rencontre de la chanteuse Fréhel, qui commence à se faire connaître. Leur relation durera un an. Elle l'entraîne dans ses excès nocturnes composés d'orgies et d'alcool et le fait tomber dans la drogue. Ils consomment de la cocaïne et respirent de l'éther ensemble. Alors qu'il arrête l'éther rapidement, il ne parvient pas à se passer de la cocaïne. Il continue à en prendre modérément, selon ses dires, après la fin de leur relation, jusqu'à la Première Guerre mondiale : « Il fallut la guerre de 14-18 où je fus blessé et fait prisonnier de guerre pour me trouver dans l'impossibilité de me procurer mon poison devenu habituel et par en être délivré au point que, plus tard, quand un lieutenant major français ami me fit avoir le filon de devenir infirmier du camp, que j'eus un lit à l'infirmerie et qu'il m'eût été facile alors d'obtenir de la cocaïne pour certains médicaments, je me sentis trop heureux de pouvoir m'en passer et n'en ai par la suite jamais repris une pincée. » Au cours de ses deux mois à l'Eldorado, il est le seul à être remarqué par P.-L. Flers, metteur en scène des grandes revues des Folies Bergère, qui lui fait signer un contrat pour trois saisons consécutives pour respectivement 1800, 2 000 et 2 500 francs par mois. La première fois qu'il se produit dans la salle, avant le lancement de la grande revue, il monte sur scène et entame une parodie de la pièce de théâtre d'Henry Bataille L'enfant de l'amour. La chanson et ses pas excentriques laissent le public de marbre, tout comme ses deuxième et troisième chansons. Le lendemain soir, son numéro est raccourci d'une chanson. Le surlendemain, une critique dans le Figaro, enthousiaste sur le reste du programme, se fait assassine : « D'où sortait cette espèce d'escogriffe lâché sur la scène de notre premier music-hall ? Qui avait engagé ce laborieux et pénible comique pour paraître ainsi au centre de numéros de premier ordre ? Et d'une vulgarité en plus de tout cela !… Cette chanson sur le chef-d'œuvre de Henry Bataille : L'enfant de l'amour… Quelle ordure ! » Déçu, il demande à être renvoyé ce qui lui est refusé. Au cours de la revue, il apprend plutôt à modérer ses effets comiques, à saisir « la classe » qu'il voit en les autres artistes à l'affiche. Le spectacle est plébiscité par la presse et il est qualifié d'« excentrique de haute envergure » par un critique. Tous les matins, il suit des cours de step dance auprès d'un danseur anglais nommé Jaxon. Lui et sa mère emménagent dans un appartement au deuxième étage du 18 boulevard de Strasbourg. Le reste de la revue se poursuit sans encombre. Elle aura débuté le 6 décembre 1909 pour s'achever le 27 juin de l'année suivante. Il est ensuite engagé aux Ambassadeurs. Il apparaît dans leur revue intitulée Halley ! Halley aux Ambass !. Au cours d'une tournée provinciale, il rencontre la future écrivaine Colette à Lyon, alors artiste en tournée. Il découvrira plus tard que Colette l'a dépeint à sa façon dans son roman La Vagabonde, sous les traits de Cavaillon. La nouvelle revue des Folies Bergère débute le 3 décembre 1910. La dernière représentation a lieu le 26 juin suivant. Puis il est à l'affiche de la revue Ah ! Les beaux nichan à l'Alcazar d'été, ce jusqu'au 3 septembre. Mistinguett est engagée pour la troisième et dernière revue de son contrat aux Folies Bergère. Il en devient le partenaire de danse dans une scène comique nommée La valse renversante. Au fil des répétitions, ils se rapprochent et débutent une relation qui durera une dizaine d'années. D'elle, il dira qu'elle est la seule femme qu'il ait vraiment aimée. Maurice Chevalier et Mistinguett, couple d'artistes. Peu avant la fin de son engagement aux Folies Bergère, il est engagé pour une revue d'André Barde et Michel Carré à la Cigale intitulée Midi à 14 heures qui est couronnée de succès. Dans le Figaro, un critique écrit1: « La revue de MM. André Barde et Michel Carré, comique dans son ensemble, est d'ailleurs jouée par des comiques de la désopilante école. Que peut-on dire de Chevalier, si ce n'est qu'il force le rire par une irrésistible fantaisie ? » Après ce contrat, il est de suite réengagé pour deux autres revues dans la même salle avec entre autres, pour partenaires de scène, Max Dearly et Régine Flory. Avant le début des répétitions, Mistinguett et lui partent visiter Londres où, admiratif, il découvre le music-hall anglais. Ce séjour entérine son envie de changement afin de passer du maquillage outrancier à un style progressivement plus élégant. Au cours de la revue, il chante et danse vêtu d'un complet blanc avec Régine Flory, ce qui le conforte dans ses projets. C'est au cours de cet engagement qu'il revoit son père pour la première fois depuis son enfance, qui l'attendait à la sortie des artistes afin de s'excuser pour avoir abandonné le foyer familial. Il accepte ses excuses mais préfère ne pas maintenir de contact avec lui. C'est la dernière fois qu'il voit son père qui ne le contactera jamais plus. Aujourd'hui encore, sa date de décès reste inconnue. « Plus tard, je fis tout pour obtenir son adresse en le faisant rechercher dans tout Paris. On ne le retrouva pas. Il eut tant de noblesse dans son expiation qu'un des plus grands regrets de ma vie est de n'avoir pu, en cachette, assurer sa vieillesse. C'en est même un remords. » Au terme des deux revues, le service militaire obligatoire pour lequel il a toujours obtenu des sursis ne peut plus être repoussé. Il rejoint le 35e régiment d'infanterie le premier décembre 1913 1913-1919 : Grande Guerre et Londres Jusqu'en 1914, il reste stationné à Belfort. Pendant cette période, il rencontre le compositeur et pianiste Maurice Yvain qui effectue lui aussi son service militaire. Tous deux décident de louer une chambre dans laquelle ils pourront jouer de la musique chaque soir. Très vite le duo est amené à se produire pour des concerts de bienfaisance, pour des mécènes ou encore à Nancy pour les employés des chaussures André. À nouveau, il tente de se départir peu à peu de son image de simple chanteur comique en tentant lors d'une représentation de chanter en habit, ce qui plaît au public. Dans le même temps, il profite de ses permissions pour revoir Mistinguett et finit par être muté au 31e régiment d'infanterie stationné à Melun. Il est ainsi rapproché de Paris et y arrive en avril 1914. Maurice Chevalier en compagnie de quelques camarades de régiment à Belfort, avril 1914. Alors qu'il est en permission à Paris la mobilisation générale est décrétée le 1er août 1914. Il rejoint son régiment qui quitte Melun en train pour l'Est de la France quelques jours plus tard. Le 22 août, son régiment est attaqué sur la place du village de Cutry, commune de Meurthe-et-Moselle. À couverts derrière un muret près de l'église, lui et plusieurs soldats tentent de repousser les troupes ennemies. L'ordre de se replier est donné. Alors qu'il s'apprête à fuir, il s'effondre, blessé par un éclat d'obus au poumon droit. Il doit sa survie à son paquetage, qui lui sauve la vie en amortissant l'impact. Par précaution, cet éclat d'obus ne fut jamais extrait et il vivra avec toute sa vie. Il est pris en charge par deux infirmiers qui l'emmènent au château du village voisin de Cons-la-Grandville, qui fait office de Croix-Rouge. À son réveil, les troupes ennemies investissent les lieux. Lui et tous les autres blessés alités sont faits prisonniers de guerre. En attendant la guérison des prisonniers, le château reste occupé par les Allemands. Après quelques jours, les blessés convalescents sont rassemblés puis conduits jusqu'à une gare. Des wagons à bestiaux les emmènent en captivité en Allemagne. Après deux jours de trajet, les prisonniers arrivent à Altengrabow, un des plus importants camps de prisonniers allemands, près de Berlin. Très vite, les artistes prisonniers du camp improvisent une scène sur une petite estrade. Joë Bridge, dessinateur de théâtre en lequel il trouve un ami, est le principal auteur des revues montées au camp, au cours desquelles il chante et danse. À Paris circulent des rumeurs sur son décès à Cutry, ce qu'il dément en faisant parvenir des cartes postales à sa mère ainsi qu'à Mistinguett. Plusieurs docteurs français qui l'ont vu sur scène en France décident de le former comme infirmier. Il devient ainsi pharmacien du camp, ce qui lui octroie une petite pièce près des malades avec lit, draps, chauffage et nourriture facile d'accès. Ce travail d'infirmier l'occupe toutes les matinées. Pour occuper ses après-midis, il décide d'apprendre l'anglais auprès d'un sergent britannique, Ronald Kennedy. Sans la prétention d'imaginer pouvoir se lancer dans une carrière internationale grâce à la maîtrise de cette langue, il suit avant tout ces cours pour occuper ses journées mais aussi pour « épater les copains du boulevard de Strasbourg », bavarder avec les artistes anglais venant se produire à Paris et « flirter avec les petites girls anglaises »1. Durant l'été 1915, une épidémie de fièvre typhoïde ébranle le camp et l'infirmerie est débordée. Durant cette période, il accompagne beaucoup de malades lors de leurs derniers instants : « Mon principal effort était de tout faire pour qu'ils ne se voient pas partir. Je faisais un peu le confesseur. Je parlais avec eux, assis sur leur lit, de leur mère, de leur femme ! "Ça ne va plus durer longtemps, tu sais maintenant. Quand tu seras guéri, je pense que tu rentreras au pays. Elle va être heureuse ta petite femme de te revoir, hein ? Et toi, crois-tu que tu ne la serreras pas fort dans tes bras ? Et ta vieille ? Et ceci, et cela…" […] J'en ai vu plusieurs, grâce à cette tromperie dramatique de dernière heure, s'en aller en pleine vision d'espoir et ce sera le plus beau rôle que j'aurai joué de ma carrière. » À l'été 1916 apparaît un espoir de quitter le camp. Les pays belligérants, par l'intermédiaire de la Croix-Rouge de Genève, font à échéance fixe des échanges de docteurs et d'infirmiers, et les prisonniers du camp pouvant prouver leur titre d'infirmier aux autorités allemandes pourraient ainsi se trouver sur la liste de départ. Lui et Joë Bridge s'inscrivent, et, en octobre, doivent passer un interrogatoire par le médecin général allemand. Quand vient son tour, le médecin ne pose aucune question et l'inscrit d'office sur la liste des admis. Cela s'expliquera par l'intervention de Mistinguett, qui a usé de ses relations diplomatiques avec le roi d'Espagne d'alors, Alphonse XIII, pour le faire libérer. Le lendemain matin, il quitte le camp d'Altengrabow en train avec Joë Bridge pour Paris. Là-bas il retrouve Mistinguett et sa mère après vingt-six mois de captivité. Bien qu'affaibli, il fait le choix de remonter sur scène directement en commençant par chanter au Casino Montparnasse rue de la Gaîté. Trop habitué à chanter pour des soldats et saisi de vertiges sur scène, sa prestation et celles qui suivent en province sont de relatifs échecs. Néanmoins, Léon Volterra, nouveau directeur de l'Olympia, l'engage pour deux semaines sur les conseils de Mistinguett. Sa santé finit par s'améliorer, et il se sent capable de continuer à chanter. Désormais réformé définitivement pour blessure. Il reprend véritablement le travail en avril 1917, en se faisant embaucher avec Mistinguett le temps d'une revue nommée La Grande revue aux Folies Bergère, très bien accueillie par la critique: « Abondante en scènes comiques, habillée avec luxe inusité, logée dans des décors signés de nos meilleurs maîtres du genre, La Grande revue est interprétée par une troupe d'élite en tête de laquelle on applaudit toujours Mistinguett, Maurice Chevalier […] et tous les créateurs de ce merveilleux spectacle. » Aussitôt après ce contrat, le couple est engagé pour une revue nommée Femina-revue au théâtre Femina167, où le couple est particulièrement remarqué « M. Chevalier apporte lui aussi l'attrait de son comique si original, d'une verve si franche, d'une fantaisie si large, et même acrobatique et principalement d'une jeunesse irrésistible. Avec une mimique très simple, un don de se faire entendre et de faire partager sa gaieté, cet artiste est un véritable artiste. […] Mlle Mistinguett est si populaire désormais que les auteurs de revue semblent n'avoir plus à imaginer des scènes pour elle. » Le couple est engagé pour La Nouvelle revue de Marigny au théâtre Marigny durant l'été. À partir du 11 novembre, il est en tête d'affiche de leur première opérette intitulée Gobette of Paris. L'un des auteurs du spectacle trouvant des qualités de comédien à Maurice Chevalier, il lui confie une scène sérieuse de déclaration d'amour avec Mistinguett. C'est la première fois qu'il s'essaye à un registre autre que comique. Le spectacle bat le record d'entrées des théâtres parisiens. Dans le même temps, sa relation avec Mistinguett commence à battre de l'aile. Cela ne les empêche pas de remplacer à partir du 10 mars 1918 le duo formé par Gaby Deslys et Harry Pilcer (en), vedettes de la revue Laisse-les tomber au casino de Paris. Puis, ils sont engagés pour la revue Pa-ri-ki-ri. Après une représentation, Maurice Chevalier est approché par Elsie Janis, une artiste américaine de passage à Paris, qui, après avoir découvert qu'il parle anglais, lui propose un rôle dans une revue à Londres dont elle fait partie. Estimant avoir une dette envers sa compagne et le Casino de Paris où il est actuellement à l'affiche, il décline d'abord la proposition mais l'accepte quelques jours plus tard, ce que Mistinguett ne voit pas d'un bon œil. Leur relation continue néanmoins. Le lendemain de son arrivée dans la capitale anglaise, il assiste à la revue Hullo, America! dont il doit remplacer un des artistes. Durant toute la soirée, il est ébloui par le monde du divertissement britannique. À deux semaines de répétitions avec Elsie Janis succèdent trois mois de représentations au Palace Theatre. La critique réserve un bon accueil à cet artiste français sans qu'il ne soit laudatif pour autant181. C'est au cours de ces trois mois qu'il enregistre sa toute première chanson le 21 mars 1919 dans un studio situé à Hayes : On the Level You're a Little Devil (But I'll Soon Make an Angel of You), l'une des chansons qu'il interprète durant la revue. Ce premier disque est un événement déclencheur puisqu'il commencera à enregistrer des chansons en France en 1920. C'est le début d'une longue carrière discographique qui s'étend jusqu'en 19701 Le soir de la fin de son engagement, le public et ses camarades de scène lui font de telles démonstrations d'amitié qu'il est très touché. Il quitte l'Angleterre le cœur lourd fin mai 1919. Dès son retour, il est à l'affiche de la Grande revue du Palace au Palace-Théâtre situé rue de Mogador avec Régine Flory pour partenaire. Devant le manque de succès du spectacle celui-ci est remanié et présenté au public dans une deuxième version à partir du 3 juin renommée Hullo Paris !. Dix minutes du spectacle lui sont entièrement dédiées, qui font de lui le succès de la soirée. Malgré de bonnes critiques11, la revue connaît une fin anticipée deux mois après sa première. Il part subséquemment chanter dix jours à Bordeaux où il tente à nouveau un tour de chant élégant, vêtu d'une jaquette marron, d'un pantalon à petits carreaux beiges, de guêtres et gants clairs, d'un chapeau huit-reflets et d'une canne. C'est un franc succès, tout comme à Marseille, Lyon et Nice où il se produit ensuite. Il a un nouveau succès à son répertoire : la chanson Oh! Maurice écrite par Albert Willemetz et composée par Maurice Yvain. Au retour de cette tournée provinciale, il chante jusqu'au début du mois de novembre dans la Revue très chichiteuse au Concert Mayol194. Le 29 novembre, il fait son retour au Casino de Paris en tête d'affiche avec Mistinguett pour la revue Pa-ri-ki-danse195,196. Pour l'occasion, il demande à ce que son nom sur l'affiche soit moins écrasé par celui de Mistinguett, ce qu'elle refuse. Il se résigne mais songe sérieusement à ne plus jamais partager une affiche avec elle. Leur relation vit ses derniers instants : « Nous ne restions ensemble que par habitude ou peut-être parce qu'une sorte de veulerie nous empêchait de reprendre notre liberté. » Pour la revue, il élabore un sketch où il imite Dorville, Dranem ainsi que Mayol qui connaît un grand succès, tout comme le spectacle dans son ensemble. Au cours de son engagement, il signe à la fin de l'année un contrat d'enregistrement de trois ans renouvelable avec la société Pathé. Il s'agit d'un contrat d'exclusivité, chose rare à l'époque1. Il enregistre ainsi ses premiers disques français dès janvier 1920 En mars, il grave un titre intitulé Les Jazz Bands et devient le premier artiste français à faire allusion au jazz dans une de ses chansons. À cette époque, il commence à fréquenter en cachette une jeune danseuse de la troupe du Casino de Paris, Jane Myro, tandis que Mistinguett se rapproche d'un danseur étranger, Earl Leslie. Après la fin de la revue vers la mi-1920, il en intègre une nouvelle en cours de représentation le 6 juillet au théâtre Marigny intitulée Cach' ton piano ! Fin août, son nom ne fait plus partie de l'affiche. En contrepartie, il est en représentations à l'Olympia du 1er au 14 octobre, où il gagne jusqu'à 1 500 francs par jour, une somme colossale. Il part ensuite en tournée au cours de laquelle il se produit aussi bien en région parisienne qu'en Algérie À compter du mois de décembre il est la vedette de la revue On peut monter ! au théâtre de la Gaîté-Rochechouart qui bat tous les records d'affluence. Elle prend fin le 28 mars de l'année suivante. Il enchaîne aussitôt avec la revue Avec le sourire au Casino de Paris pendant laquelle il interprète une parodie du succès de Mistinguett, Mon homme, intitulée C'est ma bonne5. La revue s'achève le 3 juillet et laisse sa place à la revue d'été Dans un fauteuil qui commence . C'est pour cette revue qu'il a l'idée de chanter en smoking et canotier. Devant son succès, cette tenue devient sa marque de fabrique203 et reste aujourd'hui inéluctablement associée à son image. À force d'enchaîner les succès, il accepte de jouer le rôle de Robert Dauvergne dans l'opérette Dédé d'Albert Willemetz et Henri Christiné au théâtre des Bouffes-Parisiens et partage l'affiche avec des artistes tels Alice Cocéa et André Urban. La répétition générale publique a lieu le 9 novembre et le spectacle commence le lendemain2. Dédé est un triomphe critique et commercial, tandis que la presse crie à la révélation le concernant : « La partition de M. Christiné ne languit jamais : couplets, chansons, valses, tango, tout est de rythme accentué : la musique, pour ainsi dire, vous soulève de votre fauteuil. Quant à l'interprétation, elle est excellente. M. Maurice Chevalier […] déploie une verve étourdissante : c'est le triomphe de la soirée. » « Ne fût-ce que pour M. Maurice Chevalier, on ira voir Dédé. Ce désopilant fantaisiste, qui nous arrive du music-hall, exerce sur tous les publics un prestige qui tient de la magie. Qu'il chante, qu'il parle, qu'il danse ou se désarticule, il est inimitable et irrésistible. » « Cet imbroglio, dont l'originalité n'a rien de décevant, a pour interprète Maurice Chevalier, le chanteur-danseur de café-concert, qui, par sa bonne humeur, sa fantaisie, sa familiarité qui ne tombe jamais dans la trivialité, son esprit d'à-propos, a fait du rôle de Robert Dauvergne le plus important de la pièce : il s'est placé en même temps au premier rang de nos comiques d'opérette. » L'opérette est un tel succès qu'elle jouera à guichets fermés jusqu'au 25 mars 1923 après 520 représentations. Dès le lendemain de la première, le directeur de la salle fait passer son contrat de six cents francs à mille par jour, et mille cinq cents pour la deuxième année. L'une des chansons qu'il interprète, Dans la vie faut pas s'en faire, devient un de ses classiques. En août 1921, le critique Nozière lui consacre un article laudatif dans lequel il vante longuement ses qualités de chanteur, comique, danseur et imitateur. De nombreux invités de marque de passage à Paris viennent assister au spectacle dont les acteurs Douglas Fairbanks et Mary Pickford qui lui proposent de jouer Dédé à New York dès son engagement terminé. Il accepte et, pendant la période de relâche estivale de la salle, part pour New York à titre de voyage d'études avec Mistinguett et Earl Leslie, partenaire « de scène et d'intimité » de cette dernière. Pendant trois semaines il assiste d'abord seul, puis avec le producteur Charles Dillingham (en) avec qui il a signé un contrat pour jouer l'opérette à New York, à de nombreuses revues et opérettes dont Shuffle Along, le spectacle qui rendra célèbre Joséphine Baker. Il en profite également pour suivre des leçons de danse auprès du danseur Harland Dixon (en). Sa découverte du monde du divertissement américain le marque durablement. Au retour, avant d'arriver au Havre, Mistinguett et Earl Leslie décident de passer par Londres avant de rentrer à Paris. Il ne les suit pas et retourne à la capitale. Leur relation prend officiellement fin. Rentrés en France, lui et Charles Dillingham conviennent que Dédé ne marcherait pas à New York et mettent fin au projet. Il joue ensuite Dédé à Vichy et Marseille puis part chanter à Bordeaux. Là-bas, il retrouve Jane Myro avec laquelle il entame une relation désormais officielle. Surmené par les films d'Henri Diamant-Berger dans lesquels il tourne, les représentations de Dédé et le train de vie nocturne de sa nouvelle compagne, il commence à souffrir de trous de mémoire sur scène. Un soir, ceux-ci sont si prononcés qu'il déclame de mauvaises répliques, tant et si bien qu'il est nécessaire de lui souffler son texte : « Depuis, j'ai conservé comme un mal infernal - et je l'ai éprouvé avec plus ou moins de virulence dans toute la suite de ma carrière - le désordre mental le plus douloureux pour un homme qui travaille par sa mémoire : l'angoisse du texte. » Dédé se termine le 25 mars 1923. Entretemps, malgré son surmenage, il a accepté le rôle d'Evariste Chanterelle dans une nouvelle opérette : Là-haut, qui débute le 31. Lorsqu'on lui propose d'avoir Dranem pour partenaire de scène, il accepte et exige que son nom soit à la même taille que le sien sur les affiches et programmes. Bien qu'il estime qu'il a les meilleures scènes et répliques le spectacle est lui aussi un succès. Il commence cependant à être pris de vertiges sur scène et une rivalité se forme entre lui et Dranem qui n'hésite pas à le railler en privé. Petit à petit, il se rapproche d'une danseuse du spectacle, Yvonne Vallée. Elle devient d'abord sa confidente puis sa compagne après avoir rompu avec Jane Myro. De plus en plus angoissé, il avoue à son docteur qu'il veut se suicider. Celui-ci lui ordonne de cesser sur-le-champ toute activité et de partir se ressourcer en maison de repos à l'extérieur de Paris. On lui diagnostique également une appendicite chronique qui pourrait être à l'origine de quelques-uns de ses maux. Il quitte l'opérette en juillet et est opéré deux jours après mais il s'aperçoit à son grand désarroi que cela n'a rien changé à ses idées noires2. Il est ensuite envoyé dans une clinique à Saujon pour se reposer2. Il tente un jour de se suicider. Il se procure un pistolet, s'isole, mais renonce au dernier moment : « Je mis le canon dans ma bouche et commençai à jouer avec la gâchette… […] Une étincelle de raison m'arriva de ma bonne étoile et, la sueur au front, je cessai l'abominable flirt et repris possession de mes esprits. J'avais aussi été trop lâche ou trop lucide pour aller jusqu'au bout de mon mal. » Yvonne Vallée vient peu après lui tenir compagnie. Se sachant incapable de se suicider, il se résigne à rester à la clinique sans grande conviction. Un jour, le docteur de la clinique lui ordonne de se produire sur la scène de la salle des fêtes communale dans le but de lui prouver qu'il peut chanter sans trous de mémoire. Le soir venu, rongé par le trac, il monte sur la scène de la petite salle, qui accueille sa prestation avec ferveur. « Avais-je repris confiance ? Non ! Je ne devais plus jamais retrouver mon ancienne assurance : ni maintenant, ni jamais. Mais je repris courage, et, à partir de cet instant, je décidai de recommencer mon métier jusqu'au jour où ce qui chez moi, depuis le fameux soir des Bouffes, n'avait été qu'angoisse, deviendrait réalité. […] Car depuis, j'ai toujours eu peur, à chaque soirée, que ce soit celle du fameux moment. » Il reçoit un jour la visite de son ami Franck, directeur de l'Alcazar de Marseille qu'il a rencontré près de vingt ans auparavant lors de son premier passage dans la cité phocéenne. Celui-ci lui propose de revenir y chanter deux semaines durant avant son retour à Paris. Hésitant, son docteur lui assure qu'il est toutefois temps de reprendre son métier. Il accepte donc la proposition de son ami et regagne son appartement parisien à la mi-novembre afin d'y répéter. En plus de ses chansons, il ajoute à sa prestation trois numéros de chant et de danse avec sa compagne. Il décide de s'entraîner trois jours durant devant un public dans un petit cinéma de Melun avant de rechanter à Paris. Il chante dans quelques villes de province puis se produit en décembre à Marseille pendant plusieurs jours où un succès éclatant finit par le rassurer. Il part chanter ensuite à Toulon puis Nice où il reste jusqu'au 29 décembre, après quoi il est engagé à Lyon jusqu'au 8 janvier de l'année 1924. Il rentre se reposer à la capitale puis part pour une tournée en Belgique à la fin du mois de janvier. Sa rentrée parisienne se fait en 1924 dans un nouvel établissement avenue de Wagram : le théâtre de l'Empire. Il reste quatre semaines sur la scène de l'Empire, puis part en tournée en province, Belgique, Afrique du Nord, Suisse, Espagne, et retourne à l'Empire pour deux semaines. Il est ensuite engagé au Palace, rue du Faubourg-Montmartre, et Léon Volterra l'invite à venir jouer en tête d'affiche dans le prochain spectacle du Casino de Paris. Il demande dix pour cent de la recette brute et quatre mille francs par jour de garantie. Le contrat est accepté et il est engagé pour trois ans263. En attendant le début de la revue d'hiver, il part chanter trois mois au théâtre Porteño de Buenos Aires. À son retour il chante à Marseille, puis retourne à la capitale pour prendre la responsabilité de première vedette du Casino de Paris. Lors de cet engagement il interprète pour la première fois Valentine, d'Albert Willemetz et Henri Christiné. La chanson est une réussite totale et restera son plus grand succès. Il l'enregistre la même année. Au total, il sera amené à l'enregistrer huit fois en studio au cours de sa carrièren 4. Yvonne Vallée et lui habitent désormais dans une villa avenue de la Celle Saint-Cloud à Vaucresson, nommée Quand on est deux264. Malgré le succès, il est insatisfait de sa vie. À la même époque, il achète un terrain dans le quartier de La Bocca à Cannes et y lance la construction d'une villa nommée « La Louque », première du nom. Suite à une proposition, il accepte d'être la tête d'affiche d'un spectacle à Londres qui a pour titre White Birds. La presse londonienne apprécie sa prestation mais est sans pitié pour le spectacle. Au bout de deux mois, les recettes allant en diminuant, le spectacle est arrêté et le couple rentre en France. Extrait du faire-part de mariage de Maurice Chevalier. Il se marie avec Yvonne Vallée à Vaucresson le 10 octobre 1927. Cependant, leur mariage n'est heureux qu'en façade. Elle est la seule femme qu'il épousera au cours de sa vie. En 1928, sur proposition d'Irving Thalberg, directeur de la Metro-Goldwyn-Mayer, il passe des essais photographiques dans l'optique d'obtenir un contrat à Hollywood qui n'aboutissent toutefois pas. Lorsqu'il montre les photographies à Jesse L. Lasky, directeur de la Paramount, désireux de lui laisser une chance, celui-ci lui fait signer un contrat pour six semaines de tournage. 1928-1935 : les années à Hollywood Maurice Chevalier et Yvonne Vallée en août 1928. Le couple Chevalier prend le bateau au Havre, où une autre foule les attend et leur fait part de leur affection. On leur octroie la meilleure chambre du bateau, garnie de fleurs et de lettres. La traversée se poursuit sans encombre et les Chevalier sont traités avec les plus grands égards. Le matin de l'arrivée du bateau à New York, un remorqueur ayant à son bord des journalistes et des personnalités de la Paramount rejoint le navire afin de souhaiter la bienvenue à Maurice Chevalier. Les questions et les photographies s'enchaînent et ce comité d'accueil apprécie Chevalier pour sa simplicité. Le bateau finit par accoster et les époux Chevalier sont menés dans un hôtel donnant sur Central Park. Le soir même, les couples Chevalier et Lasky passent la soirée à Broadway à un spectacle des Marx Brothers durant lequel Chevalier ne cesse d'être impressionné. Le lendemain il voit son premier film parlant, The Singing Fool, avec Al Jolson dans le rôle principal. Bien qu'il en ait déjà entendu parler, Chevalier est intimidé. La direction de Paramount a décidé d'organiser au Waldorf-Astoria une soirée où sont invités de grands noms de New York, artistes, journalistes, directeurs. Durant cette soirée Chevalier est présenté à ces invités dans le but de déterminer s'il est capable de plaire à l'Amérique. À la fin du repas, Chevalier monte sur la scène de la salle et a l'idée de commencer par présenter en anglais ce dont il est question dans les chansons qu'il s'apprête à interpréter avant de les chanter en français. L'idée plaît beaucoup à l'assistance et Chevalier comprend qu'il vient d'importer quelque chose de nouveau en Amérique. « J'apporte aux USA des chansons qu'ils ne connaissaient pas, et une manière de chanter qu'ils n'ont jamais soupçonnée. Nouveauté ! Ils ont, avec Al Jolson, Harry Richman, Georgie Jessel, de très bons chanteurs populaires à superbes voix et à extraordinaire dynamisme. Mais ma petite manière à moi, toute simplette, toute naturelle, ils ne l'ont pas. Je le sens, ce soir-là. Je rentre dans du beurre ! » Le lendemain matin, bien que sur la réserve, les journaux new yorkais se font élogieux à l'égard de Chevalier. Quelques jours plus tard, Maurice et Yvonne quittent New York pour Hollywood. Ils traversent Beverly Hills et aperçoivent des maisons de vedettes. Chevalier est ému et rêve de rencontrer Emil Jannings et Charlie Chaplin auxquels il voue une véritable vénération. Il a l'opportunité de dîner avec Charlie Chaplin qu'il saisit de suite mais réalise qu'il restera toujours décontenancé et rongé par un complexe d'infériorité face à l'acteur. Le lendemain matin il visite pour la première fois les studios Paramount et est présenté à plusieurs vedettes telles qu'Adolphe Menjou ou Clara Bow. Un autre dîner conviant les grands pontes d'Hollywood est organisé à la fin duquel Chevalier doit aussi chanter. Il reprend sa formule d'introduction en anglais et de chant en français et la salle est conquise. On lui prédit une grande réussite en Amérique. Peu après, il commence le tournage de son premier long métrage : Innocents of Paris (La Chanson de Paris en France). Le doublage n'existant pas encore, il doit tourner deux versions du film : l'une en anglais, et l'autre en français ; chose qu'il fera pour la majorité des films de ses années à Hollywood. Le film terminé, une avant-première devant le public de Los Angeles est organisée. Le scénario est jugé faible mais le comique du film est apprécié et Maurice Chevalier et son accent français charment la salle. Les chansons qu'il interprète dans le film sont bien accueillies par la critique et le public, particulièrement celle qui deviendra son deuxième plus grand succès : Louise. En attendant la distribution à grande échelle du film aux États-Unis, Chevalier, en guise de premier contact avec le public américain et comme publicité est envoyé chanter quatre semaines au Ziegfield Roof, un cabaret mondain new-yorkais rassemblant le gratin de la ville. Peu avant son départ pour New York, le réalisateur Ernst Lubitsch vient trouver Chevalier pour lui demander de jouer dans son prochain film The Love Parade (Parade d'amour). Ne se sentant d'abord pas l'étoffe pour jouer le rôle d'un prince car étant un homme du peuple, Lubitsch le convainc cependant de passer des essais photographiques en tenue princière afin de juger si l'uniforme lui siérait. Les résultats sont sans équivoque et Chevalier accepte. Le scénario sera élaboré pendant ses quatre semaines de représentations à New York. Maurice Chevalier débute sur la scène du Ziegfield Rooftop et l'explication en anglais puis chant en français continuent de plaire ; le lendemain les journaux new-yorkais sont unanimes quant à sa réussite. À la fin de son engagement, il assiste à la première d'Innocents of Paris au Criterion Theater de New York. L'accueil est le même que lors de l'avant-première de Los Angeles. Chevalier quitte New York pour Hollywood où le tournage de The Love Parade l'attend. Il partagera l'affiche avec la jeune Jeanette MacDonald276. Chevalier trouve particulièrement plaisant le travail sous la houlette d'Ernst Lubitsch. Leur relation réalisateur/acteur s'avérera fructueuse car ensemble, ils tourneront au total cinq films en l'espace de six ans. Pendant le tournage, l'exploitation d'Innocents of Paris est un succès à travers les États-Unis. Après trois mois de travail, Maurice et Yvonne rentrent pour deux mois en France, avec l'assurance que Lubitsch lui télégraphiera les retours de l'avant-première du film, quand celui-ci sera au point. Maurice Chevalier en 1929. Rentré à Paris, il est accueilli par des milliers de personnes à la gare et est partout au centre de mouvements de foule, la version française de son premier film hollywoodien ayant été unanimement accueillie en France. En effet, l'affluence fut telle que tous les records de recettes du cinéma Paramount parisien furent battus, et qu'il fallut organiser trois projections par jour au lieu d'une Afin de se ressourcer, Maurice Chevalier séjourne au château de Madrid puis dans sa propriété de Cannes, La Louque. Après s'être reposé, il part chanter deux semaines au théâtre de l'Empire, dont les places se sont toutes vendues à l'avance. Chaque soir à la sortie des artistes, il doit se frayer un chemin à travers les centaines d'admirateurs qui l'attendent, afin de regagner sa voiture. Il est littéralement consacré par ses débuts cinématographiques. Avant la fin de ses deux semaines de tours de chant, il reçoit un télégramme de Lubitsch : l'avant-première de The Love Parade a reçu un accueil laudatif. Il termine son télégramme par ces mots : « You are sitting on top of the world Maurice. » De retour à Hollywood, le salaire de Chevalier est triplé pour ses deux prochains films. Maurice Chevalier est une révélation hors normes en Amérique : « Invité partout, choyé. Il me semble, au fond, que je suis consacré grand as international avec trop de facilité. Sincèrement, je ne crois pas mériter de telles démonstrations. […] Il n'y a pas, en Amérique, un théâtre, music-hall, cabaret, cinéma où un homme ou une femme ou un enfant ne fasse mon imitation avec le chapeau de paille. C'est un engouement démesuré. Je ne puis me trouver dans un endroit public sans être aussitôt l'objet d'une démonstration de sympathie. Et de la Marseillaise. Et encore de la Marseillaise ! » Ayant un peu de temps libre, Chevalier décide de chanter quelques semaines dans une salle de Broadway. Il chantera au Fulton Theatre et désire un spectacle en deux parties : la première où officierait un orchestre de jazz, et la deuxième où il chanterait accompagné par ce même orchestre. À la recherche d'un orchestre, on lui parle de celui de Duke Ellington, que Chevalier connaît déjà et apprécie. Il fait part de son offre à Duke Ellington, que ce dernier accepte. Ce sera la première fois que son

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