Fille de Louis Michon, correcteur d’imprimerie, et d’Élisabeth Cauchois, femme au foyer puis animatrice 3e âge, Claire Michon était l’aînée d’une fratrie de quatre enfants : ses trois frères, Abel, Hubert et Jean-Lou étaient respectivement nés en 1952, 1957, et 1960. La famille vivait à proximité du quartier de Palente, à Besançon (Doubs). Les parents de Claire Michon militaient tous deux à la CFDT. Ses grands-parents maternels, médecins, avaient été proches du Sillon de Marc Sangnier. Aussi fut-elle sensibilisée, très jeune, au catholicisme social. Par son père, elle était issue d’une famille de paysans pauvres. Durant sa jeunesse, Claire Michon adhéra à la Jeunesse étudiante chrétienne (JEC) où elle exerça des responsabilités fédérales.
Après son baccalauréat, obtenu en 1967, Claire Michon intégra pour deux ans une classe préparatoire au lycée Pasteur de Besançon. En mai 1968, et tandis qu’elle était, selon ses mots, « non politisée », elle fut, à l’instar de ses camarades de classe, sensibilisée au mouvement social qui venait d’éclater par l’intermédiaire de son professeur de philosophie. Elle fréquenta alors les manifestations bisontines et connut ses premières formes de politisation. Elle obtint une licence de philosophie à l’université, puis entama une maîtrise sur la chanson qu’elle ne soutint pas. Mariée en avril 1972 à Jean Martin, animateur culturel, elle avait en effet donné naissance, en décembre de la même année, à deux jumelles, Emmanuelle et Inès. Une troisième fille, Armel, naquit en 1977.
Claire Martin avait eu une enfance mélomane, auprès d’une mère qui chantait « continuellement ». Durant sa scolarité primaire, les sœurs de son institution lui avaient enseigné une méthode d’écriture musicale chiffrée et, à ses douze ans, une tante lui avait offert sa première guitare. Elle avait été marquée, durant son enfance et son adolescence, par les chansons de Georges Brassens comme du père Duval, puis par celles d’Anne Sylvestre, Graeme Allwright, Gilles Vigneau, Félix Leclerc et Colette Magny. En mai 1970, après deux tentatives infructueuses au conservatoire, elle participa par hasard au concours national de la meilleure chanson inédite, organisé par les Maisons des jeunes et de la culture (MJC), et obtint le premier prix, avec à la clé l’enregistrement d’un 45 tours, Viens... Elle fit alors métier de sa passion et débuta une carrière d’auteure-compositrice-interprète. Elle se produisit, dans les premiers temps, dans les MJC, les foyers ruraux et les amicales laïques et parvint à vivre de son art.
Claire Martin et son époux, Jean, étaient tous deux adhérents de l’union locale bisontine de la CFDT. Lorsqu’éclata le conflit social chez Lip, ils se rendirent dans l’usine en grève pour y soutenir l’action des salariés. Via leurs activités militantes, ils étaient en effet en lien avec plusieurs salariés et militants de Lip, dont Charles Piaget. Durant l’occupation des lieux, Claire chanta à de nombreuses reprises pour les grévistes, tandis que son époux assurait des gardes de nuit et autres tâches. En 1972, un deuxième disque, Chanson de combat, fut enregistré dans ce contexte. Suivit, en 1973, un vinyle intitulé 18 juin 1973 : LIP, un combat, un espoir dont les chansons, à travers les titres des deux faces, reprenaient le célèbre mot d’ordre de l’entreprise autogérée : « On fabrique, on vend » et « On se paie ». Toutefois, et à la différence d’un certain nombre d’artistes engagés de sa génération, Claire manifesta d’emblée une forte réticence à la « chanson slogan », affirmant alors sa volonté de retransmettre, dans ses paroles, les pensées et sentiments intimes et quotidiens. Avec les Lip, Claire poursuivit ses activités à travers la France, donnant des concerts où l’on proposait l’achat de montres sorties de l’usine autogérée.
Si la carrière artistique de Claire Martin demeure étroitement associée à son rôle durant le conflit Lip, la reprise de l’entreprise et la fin du mouvement de grève n’avaient pas mis un terme à son engagement pas plus qu’à ses activités dans la chanson. Toute au long des années 1970, elle prit part à de nombreux mouvements non moins emblématiques : Larzac, où elle se rendit avec les Lip, comités de soldats, lutte antinucléaire, mouvement féministe. Elle chanta plusieurs fois à Paris, au Festival d’Avignon, puis tourna à l’étranger avec l’Association française d’action artistique (AFAA) et l’Alliance française. Durant ces années, elle noua des liens avec de nombreux autres artistes, parmi lesquels Jacques Bertin, Jean Vasca et Bernard Haillant – qu’elle appelait ses « grands frères ». En 1976, elle obtint, pour son disque Elle dit, le prix de l’Académie Charles-Cros. Engagée au sein de l’association Masques, Claire Martin œuvra, de 1975 à 1983, à l’organisation du festival Chant libre, où se produisirent de nombreux artistes. Proches des mouvements chrétiens de gauche comme des milieux libertaires, Claire et Jean Martin construisirent avec d’autres une grande maison semi-communautaire, qui constitua longtemps un pôle de vie sociale et culturelle, évoluant au gré des changements d’époque et d’habitants.
Bien qu’elle fit plusieurs passages télévisés, Claire se montra critique envers le petit écran et les émissions de variétés qui, à ses yeux, déformaient souvent la réalité mais qui constituaient pourtant un passage obligé pour faire connaître son travail. À compter de 1983, selon ses propres mots, ses activités se « normalisèrent », la part militante s’amenuisa, la part artistique s’approfondit et se diversifia, et la notoriété se fit plus discrète. Elle ne cessa pas pour autant de chanter, pour des institutions culturelles, des comités d’entreprise ou des communes de l’agglomération bisontine. Elle enregistra encore une dizaine de disques et se lança dans le répertoire jeunesse, créant entre autres plusieurs contes musicaux qui furent beaucoup joués. En 1987, elle fut une nouvelle fois récompensée du prix de l’Académie Charles-Cros pour Millie Pomme. L’année suivante, elle intégra l’Éducation nationale et, quinze années durant, fut professeure des écoles. Elle adhéra au Syndicat général de l’Éducation nationale (SGEN) mais n’y exerça aucune responsabilité.
Militante associative, Claire Martin œuvra, avec son époux, à la Compagnie du petit vélo, qui proposait des activités de création artistique, en particulier autour du théâtre et de la chanson. Depuis 2009, ils animent ensemble la compagnie Les Colporteurs, qui créé des spectacles théâtre et chanson originaux avec des comédiens et chanteurs amateurs et professionnels, et les joue dans la région Bourgogne-Franche-Comté
Et qu’est-ce qu’on disait d’elle, quand elle était jeune? Ils disaient « chroniques rurales des choses du coeur », « limpidité clairvoyante, générosité ouverte », ça fait plaisir ; et encore « réflexion tendre et amusée sur les bizarreries des rencontres, humour et amour mêlés ». Ça fait plaisir à Maman, chaleureuse et chantant tout le jour, et à Papa, attentif et méticuleux, passion discrète... Ils disaient aussi « indocile de l’espoir », et parlaient des « chemins buissonniers de la chanson », parce qu’elle ne semblait pas trop comprendre les règles du jeu social, et les contraintes du métier. Non, elle l’a pratiqué ce métier, vraiment, elle le pratique, dans les lieux les plus divers, prestigieux ou incongrus, à chanter, rire et conter pour les petits et les grands, et la voix comme les mots explorant toutes les nuances du coeur.
Et qu’est-ce qu’on dit d’elle, beaucoup, beaucoup de kilomètres plus tard, quand elle est plus sûre de son art, au point d’inviter jeunes ou vieux dans l’aventure de la création ? « Spectacle après spectacle, on retrouve avec bonheur sa vitalité, son espérance et son sourire.» Bon, ça va.
Ils disent que la voix est pleine et posée, le travail des mots toujours surprenant et raffiné, comme le tracé des mélodies, jamais conventionnel. La poésie, la poésie ça revient, souriante évidence du mystère, limpide et têtue. C’est bien cela qui remplit le temps, entre hier et aujourd’hui: les circonvolutions, les tentatives, le désert et la foule, les belles rencontres et les impossibles… et le travail obstiné du désir. Le désir. Il s’agit toujours de cela : donner à sentir des choses qu’on ne peut pas décrire, faire exister par le souffle et le son une certaine qualité de silence, vibrant d’émotion, où les rêves se laissent piéger un instant, des sentiments profonds et ténus, des mystères qui serrent le coeur, légers pourtant comme des fils de la vierge, et qui nous relient… Ce désir-là peut remplir une vie.