Gilles Vigneault est l'auteur de plus de quarante livres. Certains sont des livres de contes, qu'il a lui-même édités en version imprimée, et parfois enregistrés et publiés en version vocale. Il est l'auteur de plus de quatre cents poèmes devenus, pour la plupart, des chansons qu'il a interprétées sur scène et enregistrées sur quelque quarante albums, qu'il a aussi édités.
Gilles Vigneault s'est ainsi forgé, depuis les années 1960, le statut d'une véritable légende vivante en Amérique francophone8. Il est très bien reçu par les auditoires anglophones, cela, malgré sa prise de position souverainiste bien connue. Sa notoriété s'est également étendue jusqu'en Europe, à partir de la France, de la Suisse, du Luxembourg et de la Belgique
Trois fonds d'archives de Gilles Vigneault sont conservés au centre d'archives de Montréal de Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Gilles Vigneault est le fils, le seul garçon à devenir adulte, de Placide Joseph William, dit « Willie », Vigneault (Natashquan: 19 octobre 189112 - 27 octobre 196913) et de Marie Appolline Adélaïde, dite « Marie Landry » (Natashquan : 29 février 1892 — 8 juin 1993)14. Celle-ci a été enseignante à Saint-Théophile en Beauce québécoise15,16,17 entre les âges de 16 et 25 ans, avant son mariage. Jusqu'en 1950, au Québec, les femmes devaient démissionner du corps de l'enseignement lorsqu'elles se mariaient. Elle était « destinée à perdre six de ses huit enfants »18 et à vivre 101 ans et 99 jours. Fille d'Alphonsine Chiasson et du pêcheur William Landry, le gardien du phare local, un « violoneux » qui pouvait danser la gigue tout en jouant de son instrument, elle jouait de l'harmonium à la maison. C'est sur cet instrument, quand ce n'est pas à l'harmonica, que Vigneault s'amuse à reconstituer des airs de reels ou musiques de danses celtiques (venues d'Écosse ou d'Irlande), dont la gigue et les quadrilles, dits « sets carrés », habituellement jouées au violon, dans la région.
« Willie » Vigneault, le père de Gilles, a été tour à tour pêcheur, inspecteur des pêcheries, trappeur, chasseur-cueilleur, bûcheron, maire de Natashquan pendant cinq ans et commissaire d'école. Rieur, amateur de musique, amoureux de la nature, il était aussi réputé comme conteur dans les veillées. Il portait caché le principal prénom de son grand-père, Placide Vigneault19. — William Ce lien renvoie vers une page d'homonymie étant la forme normande du prénom Wilhelm Ce lien renvoie vers une page d'homonymie.
La plupart des habitants de Natashquan sont d'ascendance acadienne, issus de Port-Royal (1604-) en Acadie, essaimés à Beaubassin ou à la Grand-Prée (sic) (1682-1755), au « fond de la Baie française » (renommée « Fundy Bay » par les Anglais, d'où la traduction « Baie de Fundy »), puis déportés (1755), errants de place en place, puis installés à la Côte-Nord (vers 1855), après avoir vécu aux Îles-de-la-Madeleine, où d'omniprésents marchands originaires des Îles Anglo-Normandes (les Robin) imposaient leur dur monopole commercial comme en Gaspésie voisine, et sur la Côte-Nord.
Dans le cas des Vigneault, l'histoire est un peu différente au départ. C'est que le couple de colons, à l'origine des Vigneau de l'Acadie, s'installe dans la colonie de Québec et qu'une branche, sur les deux qu'il génère, ira vivre en Acadie. L'ancêtre est Paul Vigneau. — La graphie n'a pas d'importance, avant le xxe siècle, car il n'y a ni « école obligatoire », ni « téléphonie », donc pas d'annuaires téléphoniques « normalisant » les noms, encore moins une quelconque notion de « faute d'orthographe », ni vénielle ni mortelle — Il est dit « Laverdure » : sa seule désignation et le seul de ce surnom dans sa compagnie militaire. Il est originaire de Saint-Cybard (évêché de Poitiers), né vers 1641 de Jean Vignot ou Vigneau et de Renée […]. Parti de La Rochelle le 13 mai 1665, sur le navire La Paix, il arrive à Québec (ville), en Nouvelle-France, le 19 août 1665, comme soldat de la compagnie de Maximy au régiment de Carignan20, envoyé par le jeune roi Louis XIV, pour enfin soumettre les Iroquois, principalement les Agniers.
Le navire La Paix (transportant les compagnies de La Colonelle, Contrecœur, Maximy, et de Sorel), sous la gouverne du capitaine Étienne Guillon Sieur de Laubertière, accompagne L'Aigle d'Or, un vaisseau du roi « vieux et décrépit » (transportant les compagnies de Grandfontaine, La Fredière, La Motte, et de Salières), dont le capitaine est le Sieur de Villepars. La traversée, hasardeuse, prend ainsi 99 jours (du 13 mai au 19 août), soit presque deux fois plus de temps que pour les autres navires de la saison, cette année-là. La Paix repart de Québec le 19 septembre, mais fera naufrage près de Matane. Ses passagers seront recueillis par Le Saint-Sébastien20.
Quatre ans après son arrivée, l'ex-soldat Paul Vigneau, ayant bâti maison (une chaumière) sur l'Île d'Orléans, paroisse Sainte-Famille, en face de Château-Richer sur la Côte de Beaupré, y épouse, le 3 novembre 1669, Françoise Bourgeois (fille de feu Antoine Bourgeois et de Marie Piedmont, de Paris, paroisse Saint-Paul), une « fille du roi »21, née vers 1646. Ce couple fondateur aura 12 enfants sur une période de 20 ans, dont seulement 2 garçons (Maurice et Antoine) atteignent l'âge adulte et se marient22. Des deux frères, le puîné est à l'origine d'une des nombreuses souches québécoises non apparentées de Vigneau, et c'est l'aîné, Maurice Vigneau (né à l'hiver 1674), devenu charpentier, qui est à l'origine de la seule souche de Vigneau en Acadie, y épousant Marguerite Comeau vers 1701. Ce couple aura 11 enfants en 25 ans, dont les 9 premiers sont nés à Port-Royal. Cinq de leurs fils se marient : Jacques, Jean, Joseph, Jean-Baptiste et Simon. Ce sont eux, leur épouse et leurs enfants, qui subissent la Déportation de 1755. Jacques est recensé près de Boston (à Leicester) en 1757, puis à Miquelon en 1767, où il meurt en 1772, à 69 ans. Joseph, recensé à Miquelon en 1767 et 1776, est à La Rochelle en 1778, puis à Miquelon en 1784, où il meurt vers 1792, à près de 80 ans. Jean-Baptiste, lui, se retrouve près de Boston en 1763, à Miquelon en 1767, où il meurt à tout juste 51 ans22,15. Gilles Vigneault serait issu de Jean Vigneault, dit l'écrivain, fils de ce Jacques et de Marguerite Arsenault, et de Marie Bourgeois, qu'il avait épousée à Beaubassin le 26 janvier 1755, année du « Grand dérangement »19. Son fils Étienne épousera, à La Rochelle, l'Acadienne Louise Cyr, vingt-six ans après, et leurs enfants et petits-enfants convoleront à Havre-Aubert (aux Îles-de-la-Madeleine), avant l'essaimage à Natashquan19.
Une enfance choyée, des parents instruits et attentionnés, tous isolés dans un petit village de marins pêcheurs, chasseur-cueilleur, inventifs, débrouillards… conteurs, taquins en parentèle, gigueurs, chanteurs, « violoneux »… pas de spéculateur, ni d'ambitieux capitaliste (outre les Robin et leur omniprésent monopole commercial), c'est « la simplicité volontaire » entre la mer, la forêt, les deux grandes rivières à saumon… Pas besoin de routes, quand il y a les sentiers, les bateaux et les hydravions, par beau temps. Gilles Vigneault chante : des cantiques en français ou du chant grégorien en « latin de cuisine », à l'église, et des chansons, des « chansonnettes », françaises surtout, apprises à la radio ou transmises par la tradition orale. Et, comme sa mère, il joue de l'harmonium; comme les hommes, aussi de l'harmonica. Il gambade un peu partout, fabrique ses propres jouets, comme les premiers qu'il a reçus, avec des bouts de bois, un canif… Il s'initie aux divers métiers des hommes, les suit, observe, questionne, retient, aime rire, conter, rêvasser… Il y a, au voisinage immédiat, un village amérindien, où vivent, l'été, des Innus-Montagnais, semi-nomades, mais c'est « une réserve » : à l'époque, il y a une étanchéité quasi totale entre les deux populations et cultures, comme l'ont voulu les missionnaires, même si ce sont les ancêtres de ces « Montagnais » qui ont bien accueilli les Français, commerçants puis colonisateurs, dès avant l'an 1599, à Tadoussac et à Québec.
À la fin de son cours élémentaire, à la petite école de Natashquan, Gilles Vigneault, qui excelle en français, à l'oral et à l'écrit, à l'âge de 13 ans, gagne le concours qui, surprenant lui permet d'aller faire son « cours classique » à Rimouski (huit années d'immersion en humanités gréco-latines…), au frais de l'organisateur, l'évêque, et absolument sans condition : « Fais ce que tu voudras, mais fais quelque chose [de ta vie]! », lui dit le généreux évêque Labrie3. C'est « à presque une semaine de bateau », pour longer l'Île d'Anticosti et traverser sur la rive sud de l'estuaire, mais il en faudra deux, pour s'y rendre cette première fois, vu la persistante brume en ce mois d'août 1942.
Au collège de Rimouski, Gilles Vigneault sera le « flot », c'est-à-dire la plus singulière recrue : par sa provenance, son accent acadien, son vocabulaire aux mots « nouveaux ». Fin causeur, il sera tôt surnommé « le poète », même avant les classes de « versification », « belles-lettres » et « rhétorique » (à l'âge de 16 à 18 ans). Il participe à la rédaction du journal collégial. Il fait du sport. C'est, d'ailleurs, dit-il, à l'aréna, en criant pour encourager son équipe de hockey, qu'il s'écorche la voix. Elle restera un peu voilée. Néanmoins, il continuera à faire partie de la chorale du collège. Il s'essaie aussi à l'activité théâtrale, comme comédien amateur, ce qui lui donne le goût de continuer à monter sur scène. Il étudie quelques poètes. Raccourcissant ses nécessaires envois épistolaires à ses parents, il leur expédie quelques « poèmes » de son cru. Il a tant pratiqué, avec satisfaction, la lecture, la narration et la rime, qu'il opte ensuite pour une spécialisation universitaire en littérature française. Il n'a pu suivre de cours de piano au collège : sa mère lui avait un jour fait parvenir une somme importante pour que ce soit possible, mais le collège s'est emparé de cette somme pour défrayer le coût du lavage de ses vêtements23. Donc, pour ce qui est de devenir pianiste de concert, ce serait un long cheminement personnel, qui n'est pas amorcé… Pilote d'hydravion, aussi.
Au sortir du collège de Rimouski, muni d'un baccalauréat ès arts (printemps 1950), Gilles Vigneault se dirige vers la capitale, Québec, faire des études de lettres à l'université pour, tout au moins, gagner sa vie comme professeur de français. Il obtient, au printemps 1953, sa « Licence ès lettres ».
Gilles Vigneault exerce d'abord les métiers de commis-libraire, publicitaire et archiviste, durant ses études (entre 1942 et 1953). En 1953, il participe à la fondation de la revue de poésie Émourie, qu'il édite jusqu'en 1966. Dès 1951, il se joint à la troupe Les Treize, à l'Université Laval, et en devient (de 1956 à 1960) le directeur et le metteur en scène24. Il anime une émission folklorique à CFCM-Québec (de 1955 à 1956), fait du théâtre avec la Compagnie de la Basoche en 195625, et du cinéma avec Fernand Dansereau (interprète dans La Canne à pêche, ONF, 1959)26. Puis il est scripteur et animateur pour la télévision de la SRC, à Québec (émissions Les invités du Père Mathias, Le Grand Duc, Dans tous les cantons… ; de 1960 à 1962). Il participe à d'autres films (dont : Les Bacheliers de la cinquième, de Clément Perron, ONF, 1962 ; La neige a fondu sur la Manicouagan, d'Arthur Lamothe, ONF, 1965)27.
Parallèlement, il est professeur à la Garnison Valcartier (de 1954 à 1956), puis à l'Institut de technologie de Québec (de 1957 à 1961), où il dispense des cours d'algèbre et de français, et à l'Université Laval durant l'été (en 1960 et en 1961)
Dès les années 1950 il s'offre le loisir de composer des chansons pour différents interprètes. À partir de 1960, il est amené à aussi chanter lui-même ses chansons et il en obtient un certain succès, une notoriété28. Ses premières chansons deviennent des classiques comme La danse à St Dilon, Jack Monoloy ou Pendant que9,29,30. Plusieurs personnes considèrent aujourd'hui sa chanson Gens du pays comme étant l'hymne national non officiel des Québécois.
En 1974, il donne un légendaire spectacle sur les plaines d'Abraham, à Québec, avec Félix Leclerc et Robert Charlebois33. Ce spectacle d'ouverture de la Superfrancofête, le 13 août 1974, est offert en direct sur l'album J'ai vu le loup, le renard, le lion.
À la Saint-Jean-Baptiste de 1976, le 24 juin, Gilles Vigneault chante sur le mont Royal devant 300 000 spectateurs, en compagnie de Robert Charlebois, Claude Léveillée, Jean-Pierre Ferland et Yvon Deschamps33. De ce spectacle, Les 5 Jean-Baptistes, est tiré l'album Une fois cinq, qui obtient un nouveau prix Charles Cros.
(merci wikipedia)
ENTRE FER ET RUBIS…
Je me souviens d’une soirée à Québec, au mois de juillet de l’année 1992. Gilles Vigneault chantait ce soir-là, dans le cadre du Festival d’Eté, et la scène était dressée en plein air, au coeur de la vieille ville. Il pleuvait comme jamais et l’orage roulait ses tambours de guerre du côté de l’Île d’Orléans ; mais plusieurs milliers de personnes patientaient, debout sous l’averse, en attendant l’arrivée de celui qui leur avait dit un jour : « Il n’est chanson de moi / Qui ne soit toute faite / Avec vos mots, avec vos pas, / Avec votre musique… ».
Soudain Vigneault fut là ! Tanguant sous l’ovation, comme une barque essuyant le grain vent debout. Tout en crinière de neige… Tout en bras grand ouverts, en jambes et en gigues. Tout en chant, en verbe, en verve, en humour, en tendresse, en belle complicité et en cargaison de mots roulant comme des billes de bois flottés. Alors, dans la nuit trempée de juillet, le bonheur devint soudain palpable… comme un caillou brillant au fond d’un torrent.
Quelques chansons plus loin, alors que le vieux « portageur » reprenait son souffle entre deux efforts, cinq ou dix mille voix entonnèrent ensemble, spontanément, deux vers détournés d’une de ses chansons les plus fameuses (Gens du pays), pour lui exprimer haut et fort leur ferveur collective : « Mon cher Vigneault, c’est votre tour / De vous laisser parler d’amour… »
Peut-on mieux exprimer le pacte d’affection et de confiance qui unit cet homme et ce pays toujours en devenir, dont il dit : « Il est trop grand à chanter : je le crie… / Il est trop long à marcher : je le cours… » ?
Une course de longue haleine, comme celles de ces coureurs de pistes ou ces meneurs de traîneaux dont Jack London et James Oliver Curwood ont fait des héros d’épopées, mais que Vigneault restitue en quelques vers dans leur simple dimension d’homme au quotidien ; avec tout ce que ce mot peut parfois recouvrir de banal et de merveilleux. « Parce que Vigneault c’est nous. A sa manière peut-être. Mais c’est nous quand même… », ainsi que l’écrivait fort justement le journaliste québécois Claude Daigneault.
Une course commencée au tout début des années 60, dans les premières boîtes à chansons de Québec, à l’époque de « La révolution tranquille ». Avec le temps le chemin s’est révélé pavé d’embûches, de deuils, de chagrins, de désillusions, de paris manqués sur l’Histoire et de colères… mais aussi de beaux coups de gueule, d’amitiés lumineuses, de belles poignées de mains, d’espoirs inlassablement partagés et de regards chargés de sourires…
Une longue histoire d’amour courant sur quarante ans… Quarante années de chanson, de tournées et de Voyagements… Tant de départs… suivis d’autant de retours, depuis que Gilles Vigneault exerce ce métier qui « demande au voyageur de laisser partout où il fait escale, un peu de son bagage ».
Or sa prochaine escale est justement Paris. Et l’Opéra comique, pour fêter avec nous cet anniversaire qui, comme tous les comptes ronds, prend des allures de symbole. Noces de quoi, déjà ? Entre rubis et fer… Et le fragment de bagage qu’il nous laisse cette fois-ci est un double album (Voyagements) enregistré en public au Théâtre du Petit Champlain, à Québec, en mai dernier. Une espèce de carnet de voyage, où se retrouvent en vrac les idées, les notes, les images, les rires et les trouvailles collectées en tant d’années de voyageries, d’inlassable curiosité, de mémoire partagée et d’engagement lucide entre racines nourricières et avenir à construire. Un gros morceau de bonheur, tout aussi palpable que l’autre.
Marc Robine