Liste des produits et biographie de Teddy WILSON
Theodore "Teddy" Wilson est né à Austin (Texas) le 24 novembre 1912. Il démarre par le violon, puis passe au piano simplement en s'installant au clavier qui restait inoccupé dans l'orchestre de son collège. Vers la fin des années 20, l'écoute des grands orchestres noirs de l'époque l'incite à entrer dans la carrière de musicien professionnel. Au début des années 30, il joue chez Erskine Tate, Louis Armstrong et Jimmie Noone, puis il se rend et s'installe à New York pour y faire ses grands débuts en disque dans les rangs de l'orchestre de Benny Carter. Il fait preuve déjà d'une belle technique et d'une grande maîtrise dans son long solo de Once Upon A Time après la trompette chaleureuse de Benny Carter. Au cours du vif Krazy Kapers, Benny Carter a repris son saxo-alto pour un solo flamboyant, puis Max Kaminsky intervient à la trompette avant un furieux solo de Chu Berry d'un swing écrasant ! Teddy entre à son tour en jeu et ne fait nullement baisser la tension, grâce à un solo qui montre son attachement à la musique d'Earl Hines.
Après un court séjour dans l'orchestre de Willie Bryant, Teddy Wilson est recruté en 1935 par Benny Goodman pour former un trio clarinette-piano-batterie, qui deviendra très vite, en 1936, un quartette avec l'adjonction d'un autre grand musicien noir, le célèbre Lionel Hampton qui fera les beaux jours du groupe tant au vibraphone que certaines fois à la batterie. Sweet Sue,Just You est un bel exemple de la musique jouée par cette petite formation, qui n'était cependant qu'une attraction jouant en marge du grand orchestre habituel de Benny Goodman. Par ailleurs, le critique et promoteur John Hammond, très influent auprès des studios américains, fait engager Teddy Wilson par la marque Brunswick pour une très longue série d'enregistrements. Plus de 140 faces seront gravées de 1935 à 1939. On demandait simplement à Teddy de venir au studio avec des musiciens de son choix.
L'influence première de Teddy Wilson a été celle d'Earl Hines dont il a adopté souvent les brisures de rythme, puis il a écouté et admiré Art Tatum qui l'a beaucoup marqué. Mais Teddy est un authentique créateur doué d'une technique instrumentale brillante, d'un exceptionnel sens de l'harmonie et d'une imagination immense ! Ses solos se déroulent avec aisance, calme, reposant sur une partie de main gauche très mobile, dont les accords et les ponctuations dans les graves du clavier soutiennent à la perfection le débit agile de la main droite (cf. Sweet Sue, Just One Of Those Things...). Il ne se laisse jamais dépasser, ne fait jamais preuve de fébrilité. Au contraire, son jeu dégage une impression d'élégance, de raffinement, car il est constamment maître de ses improvisations, toujours racées et sans la moindre mièvrerie ! Musicien et homme réservé, il n'y a cependant jamais dans ses disques, le feu et la folie souvent au rendrez-vous dans les faces gravées à la même époque par Lionel Hampton, qui lui est un meneur d'hommes exceptionnel. Par un fait curieux, la marque d'en face, RCA-Victor, avait demandé à Hampton de venir au studio avec les musiciens de son choix et d'utiliser la même formule que celle demandée à Wilson par Brunswick !
Pour les titres de Teddy Wilson choisis ici, on trouve ainsi Roy Eldridge, Chu Berry, Buster Bailey et Big Sid Catlett qui étaient en 1936 membres de l'orchestre de Fletcher Henderson. Ben Webster lui, est un habitué, souvent accompagné d’une belle section rythmique emmenée par Cozy Cole et John Kirby. Pour certaines séances, ce sont des solistes de Duke Ellington avec Cootie Williams et Johnny Hodges, ou encore de Chick Webb, ainsi que de Count Basie avec Buck Clayton et Lester Young et la section rythmique du Count au complet avec les inséparables Freddie Green, Walter Page et Jo Jones, c'est-à-dire les meilleurs solistes des orchestres noirs présents à l'époque à New York. Mais Teddy était obligé de prendre de temps en temps des musiciens blancs de l'orchestre de Benny Goodman qu'il côtoyait journellement. Et là, le résultat laisse souvent à désirer. De plus, pour des raisons commerciales évidentes dans ces années 1935-39, beaucoup de morceaux sont affublés de parties chantées par des vocalistes de classe inégale. Dans le meilleur des cas, il y avait souvent Billie Holiday et même, pour une seule séance, Ella Fitzgerald, mais on trouvait aussi des demoiselles au talent bien mince. Bien sûr nous écartons ces morceaux sans grand intérêt pour présenter les faces instrumentales tournées vers le swing, avec les grands solistes qui ont vraiment quelque chose à dire ! Outre Teddy, Roy Eldridge et Ben Webster sont les vedettes de Sweet Lorraine qui donne à Hilton Jefferson l'occasion de jouer un court solo d'alto d'une magnifique envolée. On retrouve Roy qui chante, en le déniaisant, Mary Had A Little Lamb, thème de peu d’intérêt mais magnifié par les improvisations de Teddy, Chu, Roy et Buster avec un remarquable soutien de Big Sid Catlett à la batterie. Pour l'intéressant et inattendu Blues In C Sharp Minor, Teddy Wilson n'a pas gâté ses partenaires en choisissant une tonalité infernale (un blues en Do dièse mineur qui implique pas moins de 6 dièses à la clef pour les instruments en Si Bémol comme le saxo-ténor, la trompette et la clarinette) ! Une galère, mais avec des supers techniciens comme Chu, Roy et Buster, rien à craindre, ils s'en tirent tous magnifiquement, alors que beaucoup d'autres auraient eu bien du mal à aller au bout de leurs variations ! À noter aussi, tout du long, la belle partie de contrebasse du jeune Israel Crosby et la sobriété du solo de Teddy Wilson. Easy To Love contient un prenant vocal de Billie Holiday et un solo de ténor chaleureux comme on pouvait s'y attendre de Ben Webster, lequel est également en évidence dans I'll See You In My Dreams, bien enlevé aussi par Teddy et Irving Randolph à la trompette. Oublions le solo, par trop hésitant, de Vido Musso. Alerte et bondissant solo de Johnny Hodges pour Fine And Dandy, suivi de Cootie Williams qui joue en pleine puissance, sans sourdine, avant Teddy et enfin Harry Carney au baryton. On constate à l'évidence que les Ellingtoniens conviennent fort bien à Mister Wilson. Le vif I've Found A New Baby est cette fois gravé avec les grands solistes de Count Basie, Buck Clayton et Lester Young, avec en plus Buster Bailey ; ils sont tous réellement à la fête avec une mention également pour Jo Jones. When You're Smiling reprend les mêmes avec Benny Morton au trombone à la place de Bailey. Billie Holiday chante très agréablement, mais c'est incontestablement Lester Young qui est la vedette de ce titre avec un solo d'une inspiration exceptionnelle !
En 1939, Teddy Wilson décide de quitter Benny Goodman pour fonder un grand orchestre. Il recrute d'excellents musiciens comme Harold Baker et Doc Cheatham à la trompette, une belle section de saxes avec Maître Ben Webster au ténor et une solide et efficace section rythmique comprenant Al Casey à la guitare, Al Hall à la basse et J.C. Heard à la batterie. Mais ce grand orchestre n’aura qu’une très brève existence, ne vivant pas assez longtemps pour se bâtir un large répertoire et acquérir une personnalité, un vrai style qui le démarquerait des autres grandes formations de l'époque et un son bien à lui qui le ferait facilement identifier par les amateurs ! De cette période, nous conservons Liza, sorte de concerto pour piano et orchestre où Teddy se montre incisif et plus percutant que dans ses faces en petites formations. L’orchestre avait souvent recours à de bons arrangeurs comme les réputés Buster Harding et Edgar Sampson, des maîtres dans cette spécialité. Mais c'est 71 que nous avons choisi, avec un arrangement (un des très rares) dû à la plume de Ben Webster qui s'adjuge également un beau solo !
En 1940, Teddy Wilson abandonne la direction de sa grande formation pour se consacrer dorénavant à la direction de petits ensembles, jouant parfois même en trio avec seulement basse et batterie. Datant de 1943, How High The Moon est un V-Disc pour l'armée américaine, avec Edmond Hall à la clarinette, l'excellent Joe Thomas à la trompette et surtout l'irremplaçable Sidney Catlett à la batterie dont la partie est particulièrement mise en évidence par un enregistrement de qualité. Son solo avec les balais crée des figures rythmiques qui ne sont pas sans rappeler les pas des grands tap-dancers ! Une réussite ! En 1945, Teddy Wilson retrouve certains de ses musiciens favoris, Buck Clayton et Ben Webster, pour une séance qui offre une remarquable version de I Can't Get Started, avec d'abord Ben comme toujours presque sans rival pour jouer avec flamme et lyrisme les ballades, suivi par un long et très inspiré solo de Teddy, avant la conclusion de Buck. Coleman Hawkins appréciait beaucoup le jeu de Teddy Wilson et notamment la richesse et la pertinence de son accompagnement qui aidait beaucoup les solistes dans leurs variations, les nourrissant à chaque mesure par des accords judicieux. Dans Just One Of Those Things, Hawkins est déchaîné, poussé tant par le soutien harmonique de Teddy que par le soutien rythmique du grand Big Sid Catlett ! Écoutez attentivement comment l'agilité de la main gauche de Teddy stimule les broderies de sa main droite. Le grand bassiste John Kirby n'est pas en reste, poussant Hawkins à donner son meilleur avec la complicité de Big Sid. Hallelujah, pris sur tempo vif, donne à chacun l'occasion de briller : solo lumineux de Wilson qui cède la place à un Hawkins dominateur, puis c'est au tour de Kirby, très mobile, précédant un formidable Catlett aux balais pour un solo d'anthologie qui danse littéralement avant un intense duo Hawkins-Wilson pour terminer, véritable tour de force de deux musiciens complices à l'extrême ! Ouf ! Comme tous ses grands confrères, Teddy a souvent cédé à l'épreuve redoutable du solo de piano. Nous le trouvons ici dans quelques titres allant du méditatif Don't Blame Me au subtil et swinguant Them There Eyes que nous trouvons particulièrement réussi ! N'oublions pas Rosetta, la composition d'Earl Hines, qui est un brillant hommage de Teddy à celui qui fut sa première inspiration.
Teddy Wilson nous a quitté en 1986. Cet exceptionnel soliste du piano, cet accompagnateur attentif et vigilant, a fortement contribué à l'évolution de l’instrument, comme en témoignent l'admiration et le respect que lui ont voué de multiples adeptes du clavier à partir de la fin des années 30. Si son influence fut aussi considérable, cela était dû, sans nul doute, à son élégance, à sa musicalité et à la clarté de son jeu !
Jacques Morgantini
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