Liste des produits et biographie de Dickie WELLS
William "Dickie" Wells est né le 10 juin 1909 à Centerville (Tennessee). Au moment de ses 10 ans, sa famille s'installe à Nashville puis à Louisville (Kentucky). C'est là qu'il rejoint l'orchestre de l'école Booker T. Washington où se trouvent déjà de jeunes musiciens qui deviendront connus par la suite, comme Jonah Jones (trompette), Bill Beason (drums) et Buddy Lee (trompette) ; il y avait aussi Helen Humes, la grande chanteuse que Dickie devait retrouver dans les rangs de l'orchestre de Count Basie. Elle chantait bien sûr, mais jouait aussi de la trompette et du piano ! Avant de faire des débuts professionnels, Dickie Wells acquiert une solide culture musicale au contact de multiples musiciens et orchestres (Jimmy Harrison étant son modèle au trombone) avant d'arriver à New York vers 1926 pour jouer avec Lloyd et Cecil Scott d’abord, puis chez Luis Russell et Elmer Snowden. Il reste deux ans avec Benny Carter avant de rejoindre la prestigieuse formation de Fletcher Henderson en 1933. C'est à cette époque qu'il participe à une importante série de disques dirigée par le musicien anglais Spike Hughes aux côtés de grands du jazz comme Coleman Hawkins, Chu Berry, Henry Allen, Benny Carter, Big Sid Catlett... où ses nombreux et fulgurants solos le feront connaître des amateurs. Puis ce seront deux années au sein de l'orchestre de Teddy Hill qui viendra en tournée en France et en Angleterre en 1937. C'est là que Hugues Panassié a l'idée d'organiser pour la jeune marque Swing deux séances légendaires groupées autour de Dickie Wells, au cours desquelles on l'entend abondamment, dans un climat très favorable qui lui permet de démontrer qu'il est une des voix les plus importantes de son instrument, et plus simplement un des grands improvisateurs du jazz. C'est en 1938 qu'il entre dans l'orchestre de Count Basie, mais il faut dire qu'il eut un certain mal à se faire une place, car l'orchestre de Basie a toujours été axé sur la mise en évidence des solos de saxo-ténor et de trompette, la part réservée aux solos de trombone étant souvent bien mince ! Mais petit à petit il saura s'imposer, notamment en devenant l'incontournable accompagnateur des vocaux de Jimmy Rushing sur le blues. Il reste chez Basie jusqu'en 1949, sauf durant une interruption de deux années en 1946-47. Par la suite il se produira avec d'anciens partenaires de l’orchestre comme Jimmy Rushing, Buck Clayton ou Buddy Tate. Il sera aussi membre de l'orchestre de Earl Hines puis de celui de Ray Charles. Il décèdera en 1985.
Dickie Wells est un des plus grands trombones de jazz, un des plus émouvants aussi ! Par l'audace et la richesse de ses idées, la puissance de son jeu et la perfection de son exécution, il s’affirme comme l’un des grands improvisateurs de cette musique. Dès ses premiers enregistrements, Dickie se signale par un style véhément, une attaque tranchante, un vibrato poignant, une imagination débordante, bref, un jeu vibrant qui atteint parfois une force expressive exceptionnelle ! Il en sera ainsi pendant la première partie de sa carrière, disons jusqu'en 1941-42, alors qu'ensuite son jeu deviendra plus nonchalant, plus legato, plus léger, plus excentrique parfois, utilisant des développements très originaux. Lorsqu'il souffle à pleins poumons, enchaînant avec un punch renversant les phrases les plus audacieuses, mais aussi les plus aptes à être swinguées avec souplesse et tension, on ne peut trouver de trombones qui lui soient supérieurs !! Basie, qui avait une grande admiration pour le musicien et une grande affection pour l'homme qu'il surnommait "Mister Bones" (Monsieur Trombone), lui avait confié tous les accompagnements des vocaux de Jimmy Rushing sur le blues. Leur entente était telle qu'on aurait pu penser que chant et accompagnement étaient dus à un même musicien, la sensibilité et le feeling pour le blues étant en parfaite harmonie chez ces deux artistes, comme dans le beau Harvard Blues de 1944 sélectionné ici.
Parcourons maintenant la carrière discographique de Dickie Wells grâce à certains de ses grands solos, en commençant par le robuste chorus de Goin' To Town de 1931 avec l'orchestre de Luis Russell. D'emblée on est frappé par la puissance, le swing et la formidable énergie du tromboniste ! Avec ses compères de l'orchestre de Fletcher Henderson, nous avons retenu I Wish I Could Shimmy... qui, outre Dickie, donne au lyrique ténor de Coleman Hawkins l'occasion de se signaler. C'est Horace Henderson qui dirige l'orchestre de son frère aîné Fletcher pour Happy Feet qu'il a arrangé. Dickie joue un solo mettant en évidence son magnifique vibrato et l'audace de son phrasé. Défilé de grands solistes pour Fanfare, ma foi bien arrangé par le Britannique Spike Hughes, avec d'abord Chu Berry, immédiatement suivi par Coleman Hawkins et ce sont deux formidables chorus de trombone de Mister Wells. Voilà un grand solo de trombone : tout y est, les idées, le vibrato, le punch, les inflexions, la véhémence, le volume sonore !!! Une réussite absolue. Puis c'est le tour d'Henry Allen et de Benny Carter à la clarinette avec un robuste soutien de Big Sid Catlett à la batterie. Un beau disque bien tonique ! De son passage dans l'orchestre de Teddy Hill, retenons My Marie, dont le principal atout est bien le solo primesautier et bourré de gags de Dickie. Et nous arrivons aux fameuses séances de juillet 1937 pour la marque française Swing. Hugues Panassié eut la bonne idée de demander à Bill Coleman et à Django Reinhardt de venir renforcer le contingent de musiciens de Teddy Hill prévus pour entourer Dickie Wells. Dans chaque titre, celui-ci est admirable, on aurait rêvé qu'une pareille chance ait pu être offerte à tous les musiciens qui ont marqué le jazz ! Enregistré abondamment dans un climat détendu et euphorique, il n'est pas étonnant que nous ayons là une large partie de ce que Wells a gravé de plus inoubliable ! Ses exposés de Sweet Sue ou de Between The Devil sont splendides, ses duos avec Bill Coleman également à souligner. Pour la seconde séance, Django et Bill ne sont pas là, mais l'excellent alto Howard Johnson brille d'un bel éclat dans I Found A New Baby. Quant à Lady Be Good et Dicky Wells Blues, ce sont deux sublimes solos de trombones au cours desquels Dickie donne l'impression qu'il peut improviser avec un égal bonheur, sans une seule baisse de tension, pendant des heures. Ces séances parisiennes prouvent sans nul doute que Dickie Wells est bien l’un des plus importants improvisateurs qu'ait connu le jazz !
Sur la recommandation, notamment d'Herschel Evans qui l'admirait beaucoup, Count Basie contacte Dickie Wells et lui propose d'entrer en 1938 dans son orchestre. Il lui annonça simplement : "tant que les gars de l'orchestre aimeront jouer avec toi, ce sera OK !" Ils démarrent dans un club du New Jersey et Basie lui dit alors :
"Prend ton biniou, assieds toi et souffle avec les gars et vois si ça te plait.
— Mais où est ma partition ? demande Dickie.
— Assied toi et vois ce qui arrive" répond Basie toujours aussi laconique, en ajoutant "quand les autres se lèvent, tu y vas aussi, tu prends ton derby (chapeau métallique utilisé par les cuivres), tu souffles en faisant avec l'éventail devant ton pavillon !"
L'orchestre de Basie modifiait souvent les arrangements en suivant les suggestions et les améliorations des uns et des autres. Les partitions étaient alors souvent dépassées et rarement actualisées. Dickie avait peu de place pour s'exprimer en solo, mais dès son arrivée, lors d'une émission de radio en juillet 1938, à la fin de One O'Clock Jump, il ne se dégonfle pas, se lève et se lance dans un splendide solo s'étendant sur trois chorus ! Immédiatement l'orchestre, avec les saxos, remet la sauce, collant parfaitement à son improvisation, et le morceau se termine par quatre chorus de riffs harcelants, moment magique ! Quel orchestre, quelle entente ! Nous trouvons ensuite plusieurs grands solos de Dickie avec l'orchestre dont Texas Shuffle d'abord, puis Panassié Stomp. Peu après, Taxi War Dance contient un solo d'une articulation exceptionnelle et d'une inspiration magnifique. Dickie's Dream est du même niveau.
En 1943, Dickie Wells dirige une séance avec son ami Bill Coleman à la trompette, Lester Young au saxo-ténor et une belle section rythmique avec Freddie Green et Jo Jones. Lester est dans une forme remarquable, enchaînant les chorus sans que son inspiration ne faiblisse un seul instant, quant à Dickie il joue deux chorus absolument fous sur I Got Rhythm, larges glissandos, grandes clameurs, le tout avec un punch renversant ! I'm Fer It Too (une de ses compositions) commence par deux chorus de trombone pleins de majesté et d'intensité sur le blues lent qui prouvent bien à quel point il est un exceptionnel interprète de blues! Dickie était également un fort bon compositeur et arrangeur, et certains de ses ouvrages comme Tush ou Kansas City Stride ont figuré longtemps dans le répertoire de l'orchestre de Count Basie.
Dickie Wells est bien l’un de ces 30 à 40 "grands du jazz" qui formèrent, à eux seuls, l'ossature de cette musique. C'est avec ces magnifiques musiciens, entourés par bien d'autres artistes de moindre importance, que cet art populaire fût créé et put s'épanouir au cours du 20e siècle. Dickie Wells a, à coup sûr, sa place dans ce petit nombre de super-improvisateurs à la fécondité exceptionnelle. "Mr Bones" est un Maître !
Jacques Morgantini
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