Liste des produits et biographie de Henri GOUGAUD
Les débuts d’Henri Gougaud chanteur se situent à l'École Buissonnière, le cabaret de René-Louis Lafforgue fondé en 1962 au 10, rue de l'Arbalète, dans le 5e arrondissement de Paris : « Je chantais trois chansons. Il me payait 5 francs. » Il passe dans d’autres petits lieux de la rive gauche mais, précise-t-il, « mes ports d'attache étaient L'Écluse et La Colombe. »
Dans C’est pas tous les jours dimanche, une émission de Jacques Pradel diffusée en 1991 sur France Inter et dont Gougaud est l’invité, on peut entendre une archive audio datée du 28 janvier 1962 : c’est le premier passage radio d’Henri Gougaud qui chante Les Chevaux de bois, une chanson qui figure sur son tout premier enregistrement, un 25 cm enregistré à compte d’auteur en 1959 ou 1960 à Lyon. Réalisé en souscription et tiré à seulement 100 exemplaires, ce 25 cm est une rareté dans la discographie d’Henri Gougaud que le label EPM réédite pour la première fois !
Auteur et compositeur des huit titres (à l’exception de la chanson Polichinelle, mise en musique par Raymond Busquet), Henri Gougaud s’accompagne à la guitare. Deux des chansons de cet album seront enregistrées par Jean Arnulf quelques années plus tard (Le Roi de Bramelune et Polichinelle). « C'était un disque fait des chansons que j'écrivais à l'époque, mais il n'a pas eu de diffusion commerciale. »
En 1964, il participe au disque collectif « Les belles soirées de la Butte Montmartre » (en compagnie d’autres artistes comme Jacques Boyer, Odile Ezdra, Jean-Pierre Mottier, Marie-Thérèse Orain, Annette Poivre et Raymond Bussières...), sur un 30 cm publié par le label Capri. Accompagné au piano par José Cana, il chante Les cinq sens.
C’est José Cana, un compositeur également imprésario, qui présente Henri Gougaud aux disques Polydor. « Je l'avais rencontré à l'époque où je courais les cabarets pour me faire engager. J'avais fait une audition au Concert Pacra qui se trouvait à la Bastille. José Cana m'avait entendu là et m'avait dit : “J'aimerais bien m’occuper de vous.” Comme j'étais tout seul à Paris, j'avais été très content. Puis il s’est occupé de moi. Lui, il ne connaissait pas du tout le genre de chansons que je pratiquais. À l’époque, il s’occupait de Maria Candido et avant d’un chanteur qui s’appelait Pierre Malar. On n'était pas du tout dans le même univers, mais c’est lui qui m'a amené chez Polydor et qui m'a fait faire mon premier disque. Puis on a travaillé ensemble pendant longtemps. Il m'a fait plusieurs musiques. Pour la chanson Espagne, José Cana avait signé de son vrai nom : Armand Fort. » Chez Polydor, Gougaud enregistrera six super 45 tours, deux 25 cm et un 30 cm.
En février 1964 paraît un premier 25 cm Polydor avec huit chansons publiées également sur deux EP. Henri Gougaud est accompagné par les orchestres de Mario Bua et de Jean Bouchéty. On y remarque dans des registres différents des chansons comme Les cinq sens, Les copains, Midi au moulin, Vieux Sam, Élysée ou J’aime.
Au verso du disque, c’est son ami René-Louis Lafforgue qui le présente : « Préfacer un disque, c’est conventionnellement dire tout le bien que l’on pense de l’artiste qui l’a enregistré. Avec Henri Gougaud, je ne vous ferai pas l’injure de croire qu’il vous faut un dessin. Je vous estime assez grand pour vous passer de curriculum vitae. Écoutez ses chansons. Vous deviendrez fraternellement complice car, comme dit un brave homme qui me fait chaud au cœur : tout ce qui est humain est nôtre. »
Paris, ma rose
Parue en septembre 1964 sur son troisième EP, la chanson Carcassonne obtient le Grand Prix de la Critique à la Rose d’Or d’Antibes. C’est un tableau ensoleillé de sa (presque) ville natale, joliment orchestré par François Rauber : « C’est le mois d’août qui va sans veste / Le soleil tombe tout d’un bloc / À l’ombre on fait un peu la sieste / C’est le mois d’août en Languedoc / À Carcassonne... »
Une autre chanson de ce disque va connaître un grand retentissement : Paris, ma rose, première version, un de ses « tubes » que rendra célèbre Serge Reggiani trois ans plus tard.
« Je me souviens très exactement comment est née Paris, ma rose parce que les circonstances étaient un peu particulières, raconte Henri Gougaud en 1990. J’ai écrit cette chanson, paroles et musique, très vite, en deux heures un dimanche après-midi, le texte et la musique sont venus à peu près en même temps... Le dimanche après-midi, j’allais souvent dans une librairie, la seule que je connaissais ouverte le dimanche, qui se trouvait rue Saint-Séverin, et qui s'appelait Le Pont traversé. C'était la librairie de Marcel Béalu, qui a émigré ailleurs plus tard. Béalu était un libraire-écrivain que j'aimais beaucoup. Sa boutique était un fouillis de bouquins rares, de poésie... Après avoir écrit cette chanson, ce dimanche-là, je suis allé me balader rue Saint-Séverin. Je suis rentré dans la boutique de Béalu, et je suis tombé sur une plaquette de poèmes qui s'appelait “Paris ma rose”, dont l'auteur était Nazim Hikmet, le poète turc. Évidemment, ses poèmes n'avaient rien à voir avec ma chanson, sinon le titre, mais ça m'avait tellement frappé que j'avais acheté la plaquette. Et c'est comme ça que j'ai découvert Nazim Hikmet, que j'ai lu par la suite. Je lui ai d'ailleurs consacré une chanson. C'est une étrange coïncidence. »
Intitulée simplement Nazim Hikmet, cette chanson hommage au poète turc, né en 1901 à Salonique et mort à Moscou en juin 1963, Henri Gougaud l’enregistre en 1966 sur son cinquième EP Polydor (peu après qu’Yves Montand ait mis à son répertoire un des poèmes d’Hikmet mis en musique par M. Philippe-Gérard, Mon frère) : « Son nom est difficile à dire / Pour une fille de Paris / Nazim Hikmet il faut traduire / Son nom c’est la rose qui crie / Il est mort poète debout / Sa voix c’était la tramontane / Sa poésie entrait partout / Sans payer de droits de douane... »
Béton armé
Son dernier disque pour Polydor paraît en janvier 1967. Il révèle un autre grand titre de Gougaud : Béton armé, une chanson « coup de gueule » enregistrée sous la direction musicale de François Rauber. « Le texte est resté longtemps sans musique. Je n'arrivais pas à en mettre une dessus. J'avais fait une musique qui ne me plaisait pas. Max Rongier en a fait une autre, puis José Cana. On a eu du mal à mettre une musique sur ce texte... J'ai écrit Béton armé en 1965. Je ne crois pas me tromper en disant que ça doit être une des premières – sinon la première – chanson écologique. Sarcelles, c'était encore récent. Quelques années plus tard, j’ai participé à la création du premier journal écologiste qui s’appelait La Gueule ouverte et qui était une émanation du groupe Charlie Hebdo. C'était juste après Mai 68. »
« Béton Armé, soleil en berne / Hommes des nouvelles cavernes / Voilà ce que nous devenons / Dieu pardonnez-moi si j'en tremble / J’avais rêvé de grands ensembles / Ensemble est un si joli nom... » La chanson sera reprise par les Frères Jacques puis par Christine Sèvres en 1968 qui en fait une interprétation remarquable. De Gougaud, l’épouse de Jean Ferrat enregistrera aussi Salut Che, Cuba si et La Matinée.
Fin de la période Polydor, Gougaud signe avec les disques Disc’AZ. En décembre 1967 paraît le EP avec Viet-Nam, une chanson sur la guerre dans l’air du temps, que reprendra Francesca Solleville. Un an plus tard sort un 30 cm avec douze chansons presque toutes mises en musique par Jean Bertola. 1969 et 1970 : nouvelle maison de disques avec deux super 45 tours enregistrés à la Boîte à Musique (disques BAM), huit chansons sur des musiques de Bertola, notamment Le temps de vivre, qui sera reprise par Francesca Solleville, Monique Tréhard et Jacques Bertin : « À peine a-t-on le temps de vivre / On se retrouve cendre et givre / Adieu / Et pourtant j’aurais tant à faire / Avant que les mains de la terre / Me ferment à jamais les yeux... »
« Chants d’amour et de colère occitans », paru en 1972 sur étiquette Cavalier, le label d’Hélène Martin, est un album consacré aux troubadours. Henri Gougaud a traduit de l’ancien occitan des poèmes des XIIe et XIIIe siècles, les a adaptés et mis en musique. Les troubadours ? « Nous faisons le même métier. Ils étaient les auteurs-compositeurs du XIIème siècle. »
Enregistré en avril 1973 et sorti en août, l’album suivant est d’une toute autre couleur. Arrangé par Teddy Lasry, « Chansons pour la ville, chansons pour la vie » est bien ancré dans l’époque contemporaine. Gougaud y reprend, sur des nouvelles orchestrations, plusieurs de ses chansons : Paris, ma rose, Béton armé, Midi au moulin, Le temps de vivre ou Prière du vieux Paris, un texte mis en musique par Alain Goraguer et écrit pour le spectacle de Jean Ferrat au Palais des Sports en octobre 1972.
Après un autre album édité par les Disques du Cavalier en novembre 1974, où il chante en occitan (« Le Berger des mots »), Henri Gougaud enregistre en 1976 son dernier disque de chanson, « La Dérive », dix titres composés la plupart par Jean-François Gaël, notamment Madame Solki (repris par Mireille Rivat), Le Berger de paroles et Je n’éteins jamais la lumière (toutes deux reprises par Marc Ogeret).
C’est sous ce même titre – Je n’éteins jamais la lumière – que Gougaud publiera les textes de ses chansons aux éditions Silène en 2012. Extraits de la préface : « Les chansons de ce recueil ont été écrites entre 1960 et 1975. C’était un temps d’un autre rythme et si certaines (celles qui évoquent le Vietnam, Cuba, et le mai chimérique) peuvent aujourd’hui prêter à sourire, que ce soit avec indulgence. Je ne les regrette pas. J’ai cru à ce que je disais. » [...] « Nous, passé les années soixante, nous avons longtemps été risibles, parce que “non commerciaux”, ce qui, par les temps qui courent, suffit à vous jeter dans les limbes de la non-existence. » [...] « J’ai été de ces gens-là, de ces “cercle des poètes disparus”. Et je suis encore de ceux qu’une chanson peut émouvoir aux larmes, effet que ne m’ont jamais inspiré, je l’avoue, ni La Joconde ni La Flûte enchantée. C’est ainsi. Je me sens plus proche des poètes de rue que des artistes de cour. »
En conclusion, voilà ce que déclarait Henri Gougaud dans l’hebdomadaire Pilote : « Ce qui me paraît important, c’est la paix, la tranquillité, l’ambition de faire ce que l’on a envie de faire. Je suis finalement beaucoup plus ambitieux qu’on ne l’imagine ordinairement, parce que j’ai la volonté d’élaborer quelque chose plutôt que de faire des tubes. »
Raoul Bellaïche
Less