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Liste des produits et biographie de Curtis JONES
Chanteur et pianiste de blues américain
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Lorsqu'on cherche, sinon à "définir" le blues, du moins à l'appréhender, à en saisir le climat, l'essence, à en approcher l'authenticité, la pureté originelle, il faut se tourner vers des gens comme Curtis Jones. Mieux que toute étude, toute exégèse, toute tentative d'explication et de classification, la seule écoute de sa musique et de son chant nous plonge immédiatement au coeur du blues pur. Le bluesman Curtis Jones, aussi insaisissable et secret que le blues lui-même, semble n'être présent que pour égrener ses blues profondément mélancoliques, comme s'il n'existait plus une fois le rideau tombé, une fois le dernier verre vidé. Eternel vagabond, Curtis Jones ne s'est jamais fixé, jamais établi quelque part, n'a jamais échafaudé de "plan de carrière" ou même, tout bêtement, d'existence. Assis sur une chaise à trois pieds, l'apparence fragile, ne possédant rien, vivant en dehors de toutes contingences matérielles, il n'a pour tout bagage que ses lointaines et fortes racines texanes. Big Bill Broonzy, dans son livre (*), insiste sur la distraction de cet individu charmant qui s'attire des ennuis de toutes sortes avec l'Union des musiciens à qui il oublie de payer ses cotisations: "Un jour, il vint chez moi pour me demander de les aider à déménager, lui et sa femme. Il n'avait en tout et pour tout qu'une grande boîte, un très petit coffre, une valise et un appareil de radio(...) Il partait habiter du côté de Morgan Park, à une bonne trentaine de kilomètres de chez moi (...) - C'est dans quelle rue, que tu vas habiter? - Je ne sais pas encore, répondit-il." Et Big Bill de narrer les recherches effectuées par Jones pour enfin dénicher une chambre à louer... pour hommes seuls, avant de confier son épouse à la protection de Big Bill! Au delà de cette anecdote souriante, c'est, plus que l'inconstance, la solitude de l'être qui transparaît et, surtout, l'inadaptation de l'homme (pauvre, paysan, Noir et tout ce qu'on voudra) à un monde pas fait pour lui et qui lui donne le blues : Lonesome Bedroom Blues.
Curtis Jones voit le jour à Naples, au Texas, le 18 août 1906 dans une famille de fermiers. Il perd sa mère très jeune et doit, comme ses six frères et soeurs, travailler très tôt à la terre. Ayant appris la guitare à l'âge de dix ans, il commence à monter des petits spectacles de vaudeville avant de quitter la maison familiale en 1922. Il a seize ans, cherche à dégotter des engagements par-ci par-là dans les bars et les juke-joints de Dallas et, pour se faire, se met au piano. A l'instar de Houston et de San Antonio, Dallas possède à cette époque une solide tradition pianistique animée par les K.D. Johnson, Willie Tyson, Bill Day et autres Whistlin' Alex Moore, instrumentiste fantasque et siffloteur avec qui Curtis va se lier (ils auraient, paraît-il, gravé ensemble quelques cires jamais publiées et bel et bien perdues). Si Dallas reste son point de chute, Curtis Jones voyage à travers les états de l'ouest américain, se produisant au gré des étapes dans les cabarets, salles de jeu, barrelhouses... partout où peut traîner un piano...
En 1929, il quitte Dallas pour de bon et entreprend une vie itinérante qui le mène à Wichita (Kansas) puis à Kansas City (Missouri) où il se produit au Nate's Club et au Panama. Il s'intègre ensuite, en 1932, à une troupe de minstrels de Cheyenne (Wyoming), The Georgia Colored Strollers dont il est le seul musicien du spectacle. Durant neuf mois, Curtis suivra le show à travers les états du Midwest pour le quitter au sud d'Omaha (Nebraska). Cette même année 1932/33, on l'apercevra aussi à Reno (Nevada), Kansas City de nouveau, Oklahoma City, Texarcana (Texas), Shreveport et Bâton Rouge (Lousiane) avant qu'il n'atterrisse à la Nouvelle-Orléans. Curtis Jones joue dans divers endroits de la ville (dont l'Astoria Hotel) et travaille notamment avec le trompettiste Lee Collins avant de réunir son propre orchestre (Lawrence Hall, trompette, Jasper Edward, sax ténor, Bob Harris, batterie) et de le faire jouer à New Orleans et Bâton Rouge. Puis c'est la grande migration à Chicago en 1936 où l'équipage déniche des contrats dans le South Side. Les conditions de vie obligent Jones à exercer quelques activités extra-musicales mais son assiduité dans les rent parties, les bars, les petits clubs finit par payer et il est remarqué par le producteur Lester Melrose qui lui procure une séance d'enregistrement le 28 septembre 1937 pour Vocalion et une autre le 11 octobre suivant pour le Bluebird.
Le premier disque publié, Lonesome Bedroom Blues, écrit par Curtis après sa rupture avec sa femme Lulu Stiggars, obtient un gros succès comercial et deviendra plus tard un véritable classique du blues. Une longue série d'enregistrements va suivre, essentiellement pour Vocalion puis, après un second intermède Bluebird en 1940, pour Okeh - Blues And Trouble, Highway 51, Lonesome Bedroom Blues N°2, Black Gypsy Blues, Blue And Lonesome, Blue Memories, Low Down Worried Blues, Tin Pan Alley... tous de la plume de Jones, sont quelques-uns des titres souvent désenchantés et où perce l'irrémédiable sentiment de solitude qui ponctuent la quarantaine de 78 tours publiés en l'espace de quatre ans. En 1942, Curtis joue régulièrement avec le chanteur-guitariste Johnny Shines au Don's Den à Chicago puis, victime d'ennuis de santé, doit réduire ses activités.
S'il joue vers 1946/47 avec Robert Lockwood, autre guitariste du Mississippi, il ne retrouve pas le chemin des studios et ses prestations scéniques s'espacent. La double coupure de la guerre et de la grève des enregistrements a fait son effet et le jeu discret, peu spectaculaire et très personnel de Curtis Jones ne trouve pas sa place au milieu des formations électrifiées du Chicago Blues moderne. Il grave quatre morceaux sans lendemain en 1953 puis se produit en club à Toledo (Ohio) avant de retrouver quelques temps Lee Collins à l'Olympic Hotel et au Victory Club de Chicago. Après avoir tenté de reformer un groupe, c'est un Curtis Jones bien seul que Jacques Demêtre et Marcel Chauvard découvert en 1959, vivant misérablement dans une petite chambre d'hôtel à Chicago (voir photo du recto). Cette rencontre, entre autres, permet à Curtis Jones de se "remettre en selle" au moment où débute le blues revival : un abum réalisé pour Prestige/Bluesville en 1960, au autre pour Delmark en 1962 tandis qu'il s'envole pour le Vieux Continent. Grâce à Champion Jack Dupree qui l'a précédé, Curtis obtient des engagements à Zurich et en Suisse. Il s'installe à Paris à l'automne 1962 et joue aux Trois Mailletz, déjà le port d'attache de Memphis Slim qui lui témoigne une grande estime, puis au Blues Bar et au Riverboat. En 1963, il tourne en Belgique (festival de Comblain-la-Tour) en Allemagne, en Angleterre avec Chris Barber; en novembre, il réalise un album à Londres avec Alexis Korner. Il voyage en Espagne, en Suisse, en Yougoslavie, en Pologne où il reste presqu'un an, puis il honore une série d'engagements au Maroc, principalement à Casablanca dans les bars, les night-clubs, les casinos et à la télévision.
Après l'Espagne et la Grèce, Curtis Jones retrouve la France, les 3 Maillet (1967) et l'hôtel La Louisiane, rue de Seine à Paris, là où sont descendus les jazzmen les plus fameux. Un nouvel album pour Blues Horizon suivi d'une participation à l'American Folk Blues Festival 1968 donnent un petit coup de pouce à une carrière restée discrète en offrant, aux jeunes amateurs de blues, un éclairage sur son nom et sa musique. Cette reconnaissance tardive ne durera pas et c'est en Allemagne où il réside alors qu'un arrêt cardiaque aura raison de sa santé délicate le 11 septembre 1971. Et c'est dans l'anonymat que Curtis Jones sera enterré dans un cimetière de Munich, cruelle image signifiant la fin d'une vie de hobo, le fin d'une vie de bluesman.
C'est peut-être un curieux paradoxe de constater que l'inadaptation sans doute viscérable de Curtis Jones qui l'a desservi dans l'accomplissement de sa "carrière professionnelle" et aussi, probablement, dans son existence d'homme, est précisémment ce qui fait la force de sa musique aujourd'hui. Les "limites" de son champ d'expression, loin d'engendrer la monotonie comme chez nombre de bluesmen de son époque, invitent au contraire à entrer en profondeur dans son art pudique et douloureux, à approcher au plus près sa voix aigüe "naturellement" attristée et à saisir le drame qu'il exorcise par sa musique. Sur des formules très simples, il développe un jeu de piano contrasté, imprévisible et autodidacte (malgré une influence certaine, mais non formelle, d'Alex Moore), ce qui fit dire à Big Bill que "Curtis Jones joue du piano d'une manière tout-à-fait personnelle. Je n'ai jamais entendu personne jouer comme lui, ni même essayer de le faire."(*)
En fin de compte, l'itinéraire de ce bluesman singulier (mais quel véritable bluesman ne l'est pas?), qui quitta un jour sa terre natale pour affronter l'existence de plein fouet, qui connut les dures réalités du ghetto et finit par distraire les noctambules des cabarets chics sans jamais revenir sur ses pas - même la nostalgie semble intériorisée chez lui - est bien celui du blues tout entier. Ni vedette ni second rôle, Curtis Jones fut avant tout un acteur et un témoin capital d'une histoire qui n'en finit pas de finir...
Jean Buzelin
Le présent CD, le premier à notre connaissance à être consacré à ce bluesman majeur, tend à retracer, à l'aide de pièces significatives et, chaque fois que c'était possible, rares, la carrière discographique de Curtis Jones avant la guerre. Nous remercions vivement Jacques Demêtre, Jacques Morgantini et Etienne Peltier pour les 78 tours qu'ils ont eu, comme à l'habitude, la gentillesse de nous prêter spontanément.
(*) W.L.C. Broonzy et Yannick Bruynoghe, Big Bill Blues (Ludd, Paris, 1987).
In seeking, if not to define, at least to apprehend the climate and the essence of the blues, to sense their authenticity, there is no better way than turning to the music of Curtis Jones. No study or analysis can plunge us to the very heart of the blues in the way just listening to this man’s piano-playing and singing can.
Here is a bluesman as elusive and secret as the blues themselves, who, once he had distilled his profoundly melancholy music, seemed to disappear into another world, as if he had no everyday existence. An eternal nomad, Curtis just never settled, never actually seemed to lead a life. Fragile and without material belongings, he appeared to possess nothing beyond his distant, yet pronounced, Texan roots. Big Bill Broonzy, in his autobiography (Big Bill Blues, W.L.C. Broonzy & Yannick Bruynoghe), has recounted how vague Curtis always was: “One day he came round to ask me help him and his wife remove. All he had was one big box, a small trunk, a suitcase and a radio. […] He was leaving to go and live near Morgan Park, a good 20 miles from my place. […] I asked him what street, and he didn’t even know.” In the end, we are told, Curtis finally rented a room for himself and lodged his wife at Big Bill’s! An amusing anecdote, no doubt, but above all a revelation of the utter solitude of a social misfit. A poor country boy, and black into the bargain, Curtis lived in a world simply not designed for him, a world that gave him the blues, those Lonesome Bedroom Blues.
Curtis Jones was born into a farming family in Naples, Texas, on 18 August 1906. Having lost his mother at an early age, he and his six brothers and sisters were forced to work on the land from being kids. After learning to play the guitar at the age of ten, Curtis began putting on little vaudeville shows, and by 1922 had left the family home. By now a 16-year-old, and having transferred his instrumental talents to piano, he was able to pick up small-time gigs in the bars and juke joints of Dallas. For, like Houston and San Antonio, Dallas at this time possessed a strong pianistic tradition, sustained by such artists as K.D. Johnson, Willie Tyson, Bill Day and Whistlin’ Alex Moore. Curtis would subsequently work with Moore, and it is said they even recorded together, although no records have ever seen the light of day. With Dallas his base, Curtis Jones travelled the West, offering his wares in any of the gaming houses, cabarets and barrelhouses that could boast a piano.
In 1929 Curtis left Dallas for good, leading an itinerant life that took him to Wichita, Kansas, and then to Kansas City, Missouri, where he appeared at Nate’s Club and the Panama. In 1932 he joined a troupe of minstrels from Cheyenne, Wyoming, called The Georgia Colored Strollers. The only musician in their show, Curtis stayed with them for nine months as they toured the Midwest, ultimately abandoning them somewhere south of Omaha, Nebraska. By the turn of the year 1932-33, he was to be found in Reno, Nevada; later, in Kansas City, Oklahoma City and Texarcana, Texas; and then in Shreveport and Baton Rouge, Louisiana, before finally landing in New Orleans. Here Curtis played at various venues, among them the Astoria Hotel, and worked with trumpeter Lee Collins prior to forming his own group (with Lawrence Hall on trumpet, Jasper Edwards on tenor-sax and Bob Harris on drums), a band that played engagements in both New Orleans and Baton Rouge. In 1936 came the great migration to Chicago, where the Jones outfit managed to land a few bookings on the South Side. Ends did not always meet, however, and Curtis was obliged to take on the odd job outside music. But the reputation he gradually built up playing the rent party and club circuit at last paid off when he was spotted by producer Lester Melrose, who hooked him a first recording date for Vocalion on 28 September 1937 and another for Bluebird the following 11 October.
The first side issued, Lonesome Bedroom Blues, a piece Curtis had written after breaking up with his wife, enjoyed great commercial success, subsequently developing into a real blues classic. A long series of recordings followed, principally for Vocalion, then — after a brief spell with Bluebird in 1940 — for Okeh. Blues And Trouble, Highway 51, Lonesome Bedroom No.2, Black Gypsy Blues, Blue And Lonesome, Blue Memories, Low Down Worried Blues and Tin Pan Alley, all from the Curtis Jones pen, are just a few of the titles that reveal the disenchantment and seemingly unrelieved solitude so evident in most of the 40-odd sides he cut over a four-year period. In 1942, Curtis played regularly with singer-guitarist Johnny Shines at Don’s Den in Chicago, following which, a victim of poor health, he reduced his activities.
When he re-emerged in 1946-47, it was in the company of another Mississippi guitarist, Robert Lockwood. But he did not record, and his stage appearances remained few and far between. The double break caused by the war and the Petrillo recording ban had had its inevitable effect, and Curtis’s intensely personal, unspectacular style could now prove no match for the electricity and excitement of modern Chicago Blues. He did cut four isolated sides in 1953, however, also playing a club engagement in Toledo, Ohio, before reuniting for a while with Lee Collins for bookings at Chicago’s Olympic Hotel and Victory Club. Although the pianist then tried to form another group, the Curtis Jones that Jacques Demêtre and Marcel Chauvard found in 1959, living miserably in a dingy Chicago hotel-room (see photo), was a solitary figure indeed.
But this encounter with the two Frenchmen was one of a number of events that enabled Curtis to get back on his feet just in time for the coming blues revival. He taped an album for Prestige/Bluesville in 1960, followed by another for Delmark in 1962 a mere few days before embarking for Europe at the suggestion of Champion Jack Dupree, who had prepared the way for him to fly to Zurich for various engagements in Switzerland. By 29 October 1962, the French newspaper “Combat” was reporting Curtis’s Paris début at the Trois Mailletz (one of Memphis Slim’s regular spots), a booking followed by others at the Blues Bar and the Riverboat. 1963 found Curtis touring Belgium (and appearing at the Comblain-la-Tour festival), Germany and, with the Chris Barber band, England. In November of that same year, he made a record in London in the company of Alexis Korner. Curtis then travelled Spain, Switzerland and Yugoslavia before spending almost a year in Poland. He later hooked a series of bookings in Morocco, playing mainly nightclub, casino, bar and TV dates in Casablanca.
After a repeat visit to Spain and a trip to Greece, Curtis Jones returned to France, playing the Trois Mailletz in 1967 and settling into the Hotel La Louisiane in Paris’s rue de Seine, postwar “home” to so many famous American jazzmen. A new album for Blue Horizon and a spot on the touring 1968 American Folk Blues Festival gave his always modest career fresh impetus by bringing him to the attention of Europe’s young blues fans. This belated recognition would be short-lived, however, for, by now installed in Germany, he died of cardiac arrest on 11 September 1971. Anonymous burial in a Munich cemetery provided a cruelly symbolic conclusion to the life of a blues hobo.
Paradoxically, the handicap of having been such a professional and social misfit is the very element that gives the music of Curtis Jones such immense emotional impact. His stylistic limitations, far from provoking the monotony engendered by so many of his contemporaries, arouse a desire to delve to the very core of his undemonstrative and harrowing art, to listen all the more carefully to his sad, high-pitched voice and to comprehend the personal drama he is attempting to exorcise through his music. Self-taught (despite the certain, though far from formal, influence of Alex Moore), he relies on simple, sincere, delightfully contrasted piano-lines, a style that inspired Big Bill Broonzy to exclaim: “He has a way of playing piano I haven’t heard nobody play, or even try to, nobody could learn his style.”
In truth, the career of this most singular bluesman, who ventured from his native territory to affront life in all its raw reality, and who finished up entertaining the fashionable club crowd without for a moment considering modifying his manner, represents the career of all genuine blues artists. Neither a star nor a supporting act, Curtis Jones was first and foremost a major character in a blues story that never quite comes to an end.
Adapted from the French by Don Waterhouse
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