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Arthur RIMBAUD
Poète français
Arthur Rimbaud est un poète français, né le 20 octobre 1854 à Charleville et mort le 10 novembre 1891 à Marseille. Bien que brève, son œuvre poétique est caractérisée par une prodigieuse densité thématique et stylistique, faisant de lui une des figures majeures de la littérature française. Arthur Rimbaud écrit ses premiers poèmes à quinze ans. Après une brève phase d'initiation, par assimilation du style des grands poètes contemporains (Charles Baudelaire, Victor Hugo, Théodore de Banville...), développant déjà une franche originalité dans l'approche de thèmes classiques (« Le Dormeur du val », « Vénus Anadyomène »), il cherche à dépasser ces influences en développant ses propres conceptions théoriques, déclarant que le poète doit se faire « voyant », c'est à dire chercher et décrire l'inconnu par delà les perceptions humaines usuelles, quitte à y sacrifier sa propre intégrité mentale ou physique. Dès lors il se met à innover radicalement en matière d'audace formelle, jusqu'à aborder le genre du poème en prose, alors à ses balbutiements (parsemant ses œuvres d'apophtegmes énigmatiques, comme « changer la vie », « posséder la vérité dans une âme et un corps » ou « il faut être absolument moderne », qui seront repris comme des slogans par les poètes du xxe siècle, en particulier le mouvement surréaliste). Il entretient parallèlement une aventure amoureuse tumultueuse avec le poète Paul Verlaine, qui influence profondément son œuvre. Vers l'âge de vingt ans, il renonce subitement à la littérature (n'ayant alors publié qu'un seul ouvrage à compte d'auteur — Une saison en enfer — et quelques poèmes épars dans des revues confidentielles), ce qui contribue encore à son mythe. Il se consacre alors dans un premier temps à l'apprentissage de plusieurs langues, puis, mû par ses idées marginales, anti-bourgeoises et libertaires, choisit une vie aventureuse, dont les pérégrinations l'amènent jusqu'en Abyssinie, où il devient négociant (quincaillerie, bazar, vêtements, café, etc.) et explorateur. Sa tentative d'armer Ménélik avec l'aval du Consul de France s'avère désastreuse pour lui ; son unique « trafic d'armes » n'eut véritablement qu'une incidence politique symbolique, mais contribua à sa légende. De cette seconde vie, exotique, les seuls écrits connus consistent en près de 180 lettres (correspondance familiale et professionnelle) et quelques descriptions géographiques. Des poèmes comme « Le Bateau ivre », « Le Dormeur du val » ou « Voyelles » comptent parmi les plus célèbres de la poésie française. La précocité de son génie, sa carrière littéraire fulgurante, sa vie brève et aventureuse, contribuent à forger sa légende et faire de lui l'un des géants de la littérature mondiale. Biographie Arthur Rimbaud naît le 20 octobre 1854 à Charleville. Son père, Frédéric Rimbaud, capitaine d'infanterie, est né le 7 octobre 1814 à Dole. Sa mère, Vitalie Rimbaud, née Marie Catherine Vitalie Cuif le 10 mars 1825 à Roche-et-Méry, est paysanne. Ils se sont mariés le 8 février 1853 à Charleville et habitent un appartement à Charleville, au 12, rue Napoléon6 (dans une maison avec un libraire au rez-de-chaussée). Le couple n'est réuni qu'au gré de rares permissions du mari, mais cinq enfants naîtront Se déclarant veuve, la mère déménage avec ses enfants, en 1861, pour habiter au 73, rue Bourbon, dans un quartier ouvrier de Charleville (qui sera le décor du poème « Les Poètes de sept ans »). En octobre, le jeune Arthur entame sa scolarité, il entre en neuvième (équivalent du CE2) à l'institution Rossat (école délabrée mais prisée de l'élite de Charleville), où il se révèle rapidement un élève brillant, récoltant les premiers prix. Figure rigide et soucieuse de respectabilité, vigilante quant à l'éducation de ses enfants, Vitalie Rimbaud rend le climat familial étouffant. Fin 1862, la famille déménage à nouveau pour un quartier bourgeois au 13, cours d'Orléans. En 1865, à la rentrée de Pâques, Arthur Rimbaud quitte l'institution Rossat où il a passé le début de sa sixième, et entre au collège municipal de Charleville, où il confirme ses aptitudes exceptionnelles, collectionnant les prix d'excellence en littérature, version et thème latins. Il rédige en latin avec aisance, des poèmes, des élégies, des dialogues. Mais il bout intérieurement, comme il transparaît dans « Les Poètes de sept ans » Tous les jours avant la classe, Arthur et Frédéric montent dans une barque amarrée aux rives16, chose que l'on peut voir dans un de ses dessins intitulé Navigation, où l'un des personnages crie « au-secours ». En juillet 1869, il participe aux épreuves du Concours académique où il remporte facilement le premier prix de vers latins sur le thème « Jugurtha ». Le principal du collège Jules Desdouets aurait dit de lui : « Rien d'ordinaire ne germe dans cette tête, ce sera le génie du Mal ou celui du Bien. » En obtenant tous les prix dès l'âge de quinze ans, il s'affranchit des humiliations de la petite enfance[précision nécessaire]. Pendant ces années, il a comme ami Ernest Delahaye, avec qui il échange de nombreuses lettres. En janvier 1870, alors en classe de rhétorique, Arthur Rimbaud se lie d'amitié avec Georges Izambard, son professeur de rhétorique, qui commence sa carrière à 22 ans. Ce dernier lui prête de nombreux livres, notamment Les Misérables de Victor Hugo, qui font bondir sa mère — qu'il surnomme « la Mother », « La bouche d'ombre» ou encore, « La Daromphe ». De cette époque datent ses premiers vers publiés : « Les Étrennes des orphelins », parus dans la Revue pour tous en janvier 1870. L'orientation poétique est alors celle du Parnasse, sous l'influence de la revue collective Le Parnasse contemporain. Le 24 mai 1870, Arthur Rimbaud, alors âgé de quinze ans et demi, écrit au chef de file du Parnasse, Théodore de Banville. Dans cette lettre, il transmet ses volontés de « devenir Parnassien ou rien » et de se faire publier. Pour cela, il joint trois poèmes : « Ophélie », « Sensation » et « Credo in unam ». Banville lui répond, mais les poèmes en question ne paraîtront pas dans la revue. Rimbaud songe alors à se rendre à la capitale pour goûter à l'esprit révolutionnaire du peuple parisien[réf. nécessaire]. Le collégien vient de rafler les prix les plus prestigieux. Au cours des vacances scolaires de 1870, le 29 août, quelques jours avant la bataille de Sedan, Arthur trompe la vigilance de sa mère (le poème « Mémoire » en décrit possiblement la scène) et se sauve avec la ferme intention de se rendre à Paris. Contrôlé à son arrivée gare du Nord, il ne peut présenter qu'un billet de transport irrégulier. Les temps troublés n'invitent pas à la clémence. Tandis que les armées prussiennes se préparent à faire le siège de Paris et que la Troisième République est sur le point d'être proclamée, le voilà détenu dans la prison Mazas. De sa cellule, il écrit à Georges Izambard, à Douai, pour lui demander de payer sa dette. Le professeur exécute sa demande et lui paie également le voyage pour se rendre à Douai, lui offrant l'hospitalité avant de le laisser retourner à son foyer. Rimbaud débarque à Douai vers le 8 septembre. Redoutant le retour à Charleville, il y reste trois semaines. Pendant ce temps, l'armée prussienne encercle la capitale à partir du 19 septembre. Jusqu'ici antimilitariste déclaré, Rimbaud est pris d'élans martiaux depuis la capitulation de Sedan, si bien qu'il est décidé à suivre son professeur parti s'engager volontairement dans la Garde nationale. N'étant pas majeur, il en sera empêché malgré ses protestations. Par ailleurs, Rimbaud fait la connaissance du poète Paul Demeny, un vieil ami de son hôte. Celui-ci est codirecteur d'une maison d'édition : La Librairie artistique, où il a fait paraître un recueil de poésies (Les Glaneuses). Rimbaud saisit l'occasion et, dans l'espoir d'être édité, lui dépose une liasse de feuillets où il a recopié quinze de ses poèmes. Izambard, qui a prévenu Vitalie Rimbaud de la présence de son fils à Douai, en reçoit la réponse : « chassez-le, qu'il revienne vite ! » Pour calmer les esprits, il décide de raccompagner son élève jusqu'à Charleville. À leur arrivée, l'accueil est rude : une volée de gifles pour le fils, une volée de reproches, en guise de remerciements pour le professeur qui, ébahi, « s'enfuit sous l'averse ». Le 6 octobre, nouvelle fugue. Paris étant en état de siège, Arthur Rimbaud part à Charleroi — il relate cette arrivée dans le sonnet, « Au Cabaret-Vert, cinq heures du soir »[réf. nécessaire]. Rêvant d'être journaliste, il tente, sans succès, de se faire engager comme rédacteur dans le Journal de Charleroi. Dans l'espoir de retrouver Georges Izambard, il se rend à Bruxelles, puis à Douai où son professeur arrive quelques jours après, aux ordres de Vitalie Rimbaud, pour le faire revenir, escorté de gendarmes, le 1er novembre 1870. Entre-temps, il est passé chez Paul Demeny pour lui déposer les sept poèmes composés au cours de ce dernier périple (dont des versions antérieures ont été transmises à Théodore de Banville et à Georges Izambard). Le 10 juin 1871, Rimbaud écrira à Demeny : « … brûlez tous les vers que je fus assez sot pour vous donner lors de mon séjour à Douai ». Oubliés par Demeny, ces manuscrits seront retrouvés 17 ans plus tard28. Ceux-ci ont été répertoriés par les biographes sous l'appellation de « Cahiers de Douai » ou « Recueil Demeny ». La réouverture du collège est retardée d'octobre 1870 à avril 1871. Rimbaud collabore modestement sous le pseudonyme de Jean Baudry29 au journal Le Progrès des Ardennes, fondé en novembre 1870 et paru jusqu'en avril 1871. Il parvient à y faire publier, dans l'édition du 25 novembre 1870, un récit satirique, « Le Rêve de Bismarck », découvert en 2008. Rimbaud y développe, après Victor Hugo, la symbolique d'une ville de Paris, lumière de la Révolution, qui sera autrement difficile à combattre pour les Prussiens. Rimbaud prédit que Bismarck s'y brûlera le nez. En février 1871, à l'issue du siège de Paris, Rimbaud fait une nouvelle fugue vers la capitale du 25 février au 10 mars. La situation politique du pays est tendue et Rimbaud cherche à entrer en contact avec de futurs communards comme Jules Vallès et Eugène Vermersch, mais aussi avec le milieu des poètes ; il rencontre aussi le caricaturiste André Gill. Rimbaud revient à Charleville le 18 mars 1871, avant le début de la Commune. Le collège de Charleville annonce sa réouverture pour le mois d'avril. Bien que brillant élève, Arthur Rimbaud ne retourne pas au collège. Le 17 avril, il écrit à Paul Demeny qu'il dépouille la correspondance du Progrès des Ardennes. Plusieurs témoignages prétendent qu'il serait retourné à Paris à ce moment-là, bien que ceci reste impossible à démontrer dans l'état actuel des recherches. Quoi qu'il en soit, la Commune suscita l'enthousiasme du poète. Son ami Ernest Delahaye se rappelle le 20 mars 1871 où tous les deux ont lancé à la « figure décomposée » des boutiquiers de Charleville : « L'ordre est vaincu ! » Le poème « Chant de guerre parisien », que le poète a placé en tête de sa lettre à Paul Demeny du 15 mai 1871, célèbre « le printemps » qui a vu le peuple prendre le pouvoir ; quant aux « Mains de Jeanne-Marie », il les voit « merveilleuses […] / Sur le bronze des mitrailleuses. » Il ressentit ensuite très profondément la tragédie de la répression. Dans « L'Orgie parisienne » ou « Paris se repeuple », envoyé à Verlaine dans une lettre de septembre 1871, il évoque Paris après la Commune dont « les pieds ont dansé si fort dans les colères », Paris qui reçut « tant de coups de couteau ». Le poème dénonce la lâcheté des vainqueurs auxquels Rimbaud s'adresse (« Ô lâches, la voilà [Paris] ! Dégorgez dans les gares ! »). Pendant la Commune la poésie de Rimbaud se radicalise encore, devient de plus en plus sarcastique : « Les Pauvres à l'église », par exemple. L'écriture se transforme progressivement. Rimbaud en vient à critiquer fortement la poésie des romantiques et des Parnassiens, et, dans sa lettre à Georges Izambard du 13 mai 1871 (première lettre dite « du Voyant »), il affirme son rejet de la « poésie subjective ». C'est également dans la deuxième lettre dite « du Voyant », adressée le 15 mai à Paul Demeny, qu'il exprime sa différence en exposant sa propre quête de la poésie : il veut se faire « voyant », par un « long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens », « épuise[r] en lui tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences », jusqu'à « arrive[r] à l'inconnu » — faisant ainsi écho au dernier vers du poème « Le Voyage » de Charles Baudelaire : « Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau ! » ; Baudelaire qu'il cite d'ailleurs comme un des rares précurseurs sur cette voie exigeante : « le premier voyant, roi des poètes, un vrai Dieu », bien qu'il lui reproche une forme « mesquine », estimant que « les inventions d'inconnu réclament des formes nouvelles ». Le 15 août 1871, Rimbaud envoie à Théodore de Banville un poème parodique, « Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs », critiquant ouvertement la poétique selon lui dépassée de son ancien maître, qui y est cité nommément. Le 28 août, il écrit à Paul Demeny : il cherche un travail dans la capitale qui lui permette de continuer son activité de poète. Un ami de Rimbaud, Charles Auguste Bretagne (1837-1881), lui conseille d'écrire à Paul Verlaine qu'il avait connu auparavant dans le Pas-de-Calais. Il est difficile de situer précisément le début de la relation épistolaire avec Paul Verlaine. Verlaine prétend avoir reçu très peu de courriers de Rimbaud et ne parle que de l'envoi de deux poèmes (« Les Premières communions » et « Les Effarés »). Finalement, rentré à Paris de son exil après la Commune, il invite Rimbaud : « Venez chère grande âme, on vous appelle, on vous attend ! » Rimbaud arrive dans la capitale fin septembre 1871. Il est présenté et très bien accueilli par ses pairs plus âgés, au dîner des « Vilains Bonshommes » le 30 septembre. Il y rencontre quelques-uns des grands poètes de son temps. Il est successivement logé par les beaux-parents de Verlaine, rue Nicolet, non sans heurts avec sa femme Mathilde, puis chez Charles Cros, André Gill, Ernest Cabaner, et même quelques jours chez Théodore de Banville. Le 20 octobre 1871, Rimbaud a tout juste dix-sept ans. Au dîner des Vilains Bonshommes il lit ses œuvres récentes : « Les Premières communions » et surtout « Le Bateau ivre », lequel déroute son auditoire par ses audaces formelles. Début novembre, Rimbaud participe au Cercle des poètes zutiques qui vient d'ouvrir à l'hôtel des Étrangers. Il collabore, seul ou avec Verlaine, à l'Album zutique, produisant des pastiches d'auteurs en vogue, notamment des pièces au contenu scandaleux comme le « Sonnet du trou du cul ». En février ou en mars 1872, Rimbaud est peint par Henri Fantin-Latour, aux côtés de Verlaine, dans le tableau Un coin de table. Au fil des mois, les provocations de Rimbaud excèdent le milieu parisien. L'incident avec Étienne Carjat au dîner des Vilains Bonshommes du 2 mars 1872 le fait définitivement tomber en disgrâce : Rimbaud, complètement saoul, a blessé le célèbre photographe d'un coup de canne-épée. Pour sauver son mariage et rassurer ses amis, Verlaine se résigne à éloigner Rimbaud de Paris. Rimbaud se fait oublier quelque temps en retournant à Charleville. Verlaine lui écrit en secret et Rimbaud revient dans la capitale en mai 1872 ; le 7 juillet tous deux quittent Paris pour la Belgique, Verlaine ayant délaissé sa femme et son enfant. Mathilde rompt alors avec lui et effectue une demande de séparation de corps et de biens. Commence pour Rimbaud et son aîné une liaison amoureuse agitée de juillet 1872 à juin 1873 ; ils vivent un temps à Londres. Rimbaud revient occasionnellement en France en décembre 1872 et en avril 1873. Cette liaison tumultueuse se termine par ce que la chronique littéraire désigne sous le nom de « drame de Bruxelles ». En juin 1873, les deux amants sont à Londres et proposent des cours de français pour vivre. Verlaine quitte brusquement Rimbaud le 3 juillet, affirmant vouloir rejoindre sa femme, décidé à se tirer une balle dans la tête si elle ne l'accepte pas. Il retourne alors à Bruxelles et réside dans un hôtel. Rimbaud le rejoint le 8 juillet. Persuadé que Verlaine n'aura pas le courage de mettre fin à ses jours, Rimbaud annonce qu'il repart seul pour Paris. Le 10 juillet 1873, Verlaine, ivre, tire sur Rimbaud à deux reprises avec un revolver, le blessant légèrement au poignet. Rimbaud se fait soigner et, craignant pour sa vie, demande la protection d'un agent de police de la ville. Verlaine est incarcéré à la prison de Bruxelles puis transféré à Mons. Même si Rimbaud a retiré sa plainte, l'enquête révèle l'homosexualité « active et passive » de l'accusé, circonstance jugée aggravante, et Verlaine est condamné en août 1873 à deux ans de prison pour blessure avec arme à feu Une saison en enfer et Les Illuminations (1873-1874) Fin juillet 1873, Rimbaud rejoint la ferme familiale de Roche où il s'isole pour écrire Une saison en enfer, relatant sous forme de prose poétique cette période chaotique et douloureuse. Déjà, l'ouvrage s'achève par un premier « Adieu », comportant des formules restées célèbres comme « Il faut être absolument moderne » ou « posséder la vérité dans une âme et un corps ». Les volumes d'Une Saison en enfer sont imprimés à compte d'auteur, à Bruxelles, en octobre 1873. Ils seront réédités, sans l'autorisation de leur auteur, en septembre 1880 dans La Vogue. Fin mars 1874, Rimbaud retourne un temps à Londres en compagnie du poète Germain Nouveau, qui participe à la mise au net des manuscrits des Illuminations, recueil à la genèse confuse et à la forme radicalement novatrice. Venant d'avoir vingt ans en octobre 1874, Rimbaud a atteint l'âge du service militaire, mais il ne peut se rendre à temps devant le conseil de révision pour le tirage au sort, alors en vigueur. Le maire de Charleville s'en charge et n'a pas la main heureuse. De retour à Charleville le 29 décembre, Rimbaud fait valoir un article de la loi sur le recrutement du 27 juillet 1872, qui lui fait bénéficier d'une dispense grâce à son frère Frédéric, déjà engagé pour cinq ans. Il est donc dispensé du service militaire, mais pas de la période d'instruction, à laquelle il se dérobera néanmoins. Abandon de la poésie (1875) Après avoir étudié l'allemand depuis le début de l'année 1875, Rimbaud part pour l'Allemagne le 13 février37, pour se rendre à Stuttgart, afin de parfaire son apprentissage de la langue. Verlaine, libéré depuis le 16 janvier, après dix-huit mois d'incarcération, transformé par des accès mystiques, vient le voir « un chapelet aux pinces… Trois heures après on avait renié son dieu et fait saigner les quatre-vingt-dix-huit plaies de N.S. [Verlaine] est resté deux jours et demi […] [et] s'en est retourné à Paris.. » Rimbaud remet à Verlaine les manuscrits des Illuminations, afin qu'il les remette à Germain Nouveau, pour une éventuelle publication. Fin mars 1875, Rimbaud quitte Stuttgart avec, maintenant, le désir d'apprendre l'italien. Pour ce faire, il traverse la Suisse en train et, par manque d'argent, franchit le Saint-Gothard à pied. À Milan, une veuve charitable lui offre opportunément l'hospitalité. Il reste chez elle une trentaine de jours puis reprend la route. Victime d'une insolation sur le chemin de Sienne, il est soigné dans un hôpital de Livourne, puis est rapatrié le 15 juin à bord du vapeur Général Paoli. Débarqué à Marseille, il est à nouveau hospitalisé quelque temps. Après ces aventures « épastrouillantes », dixit Ernest Delahaye, il annonce à ce dernier son intention d'aller s'engager dans les rangs carlistes, histoire d'apprendre l'español (sic)40, mais ne la concrétisera pas. Redoutant les remontrances de la Mother, il traîne des pieds en vivant d'expédients dans la cité phocéenne.. Mi-août 1875, Rimbaud fait son retour à Charleville, où entre-temps sa famille a déménagé au 31, rue Saint-Barthélemy. À l'instar de son ami Delahaye, Rimbaud envisage de passer son baccalauréat ès sciences avec l'objectif de faire Polytechnique, ce qu'il ne peut réaliser, car, âgé de 21 ans en cet automne 1875, il a dépassé l'âge limite de 20 ans pour y accéder. Nouvelle foucade : il suit des cours de solfège et de piano, et obtient le consentement de sa mère pour installer l'instrument au logis. À ce moment, Verlaine, qui reçoit des nouvelles de Rimbaud par une correspondance assidue avec Delahaye, est en demande d'anciens vers d'Arthur. Delahaye lui répond : « Des vers de lui ? Il y a beau temps que sa verve est à plat. Je crois même qu'il ne se souvient plus du tout d'en avoir fait. » Le 18 décembre 1875, sa sœur Vitalie meurt à dix-sept ans et demi d'une synovite tuberculeuse43. Le jour des obsèques, les assistants observent avec étonnement le crâne rasé du fils cadet. Vers les Indes néerlandaises (1876) Après avoir mûri quelques projets pour découvrir d'autres pays à moindres frais, Rimbaud reprend la route en mars 1876, pour se rendre en Autriche. Le périple envisagé tourne court : à Vienne en avril, il est dépouillé par un cocher puis arrêté pour vagabondage, est expulsé du pays et se voit contraint de regagner Charleville. Vers le mois de mai, il repart, cette fois en direction de Bruxelles. Selon une hypothèse, il se serait fait racoler par les services d'une armée étrangère.[réf. nécessaire] Toujours est-il qu'il se présente au bureau de recrutement de l'armée coloniale néerlandaise, pour servir dans les Indes orientales néerlandaises. Muni d'un billet de train, il aboutit le 18 mai 1876 — après un contrôle à la garnison de Rotterdam — dans la caserne d'Harderwijk, où il signe un engagement pour six ans. Rimbaud et les autres mercenaires, formés et équipés, sont chargés de réprimer une révolte dans l'île de Sumatra. Le 10 juin, riches de leur prime — 300 florins au départ du bateau et 300 florins à l'arrivée à destination, ils sont transportés à Den Helder, pour embarquer à bord du Prins van Oranje, direction Java. Après une première escale à Southampton et le contournement de Gibraltar, le voyage connaît quelques désertions lors d'escales ou de passages près des côtes : Naples, Port-Saïd, traversée du canal de Suez, Suez, Aden et Padang. Le 23 juillet, le bateau vapeur accoste à Batavia (aujourd'hui Jakarta). Une semaine après, les engagés reprennent la mer jusqu'à Semarang dans le Centre de Java pour être acheminés en train à la gare de Tuntang, et de là à pied jusqu'à la caserne de Salatiga. En possession de la seconde partie de sa prime, goûtant peu la discipline militaire, Rimbaud déserte. Quelques semaines lui sont nécessaires pour se cacher et retourner à Semarang où il se fait enrôler sur le Wandering Chief, un voilier écossais qui appareille le 30 août pour Queenstown, en Irlande. Au bout d'un mois de mer, le navire essuie une tempête en passant le cap de Bonne-Espérance. La mâture détériorée, il continue néanmoins sa route sur Sainte-Hélène, l'île de l'Ascension, les Açores… Arrivé à Queenstown le 6 décembre, « Rimbald le marin » (comme le surnommera Germain Nouveau quand il le rencontrera plus tard à Paris) poursuit par les étapes suivantes : Cork, Liverpool, Le Havre, Paris et « Charlestown » (ainsi qu'il appelait Charleville). 1877 : voyages en Europe La belle saison revenue, Arthur Rimbaud quitte à nouveau Charleville en 1877. Son entourage et ses amis peinent à suivre son itinéraire durant cette année. Les seules sources de renseignements, souvent contradictoires, viennent de son ami Ernest Delahaye et de sa sœur Isabelle. Seule certitude : sa présence le 14 mai à Brême où il a rédigé une lettre en anglais au consul des États-Unis d'Amérique, lettre signée John Arthur Rimbaud, et dans laquelle il demande « à quelles conditions il pourrait conclure un engagement immédiat dans la Marine américaine », en faisant valoir sa connaissance des langues anglaise, allemande, italienne et espagnole. Il ne reçut apparemment pas de réponse favorable, car, selon Delahaye, il se serait rendu à Cologne puis à Hambourg, pour divers projets inaboutis. En juin, le nom de Rimbaud est cité sur le registre des étrangers à Stockholm. Le 16 juin, Delahaye écrit à Verlaine : « Du voyageur toqué pas de nouvelles. Sans doute envolé bien loin, bien loin… » Le 9 août, le même épistolier informe son ami Ernest Millot « qu'il a été signalé dernièrement à Stockholm, puis à Copenhague, et pas de nouvelles depuis ». Dix-neuf ans plus tard, Delahaye rapportera dans une lettre à Paterne Berrichon, du 21 août 1896, qu'à Hambourg, Arthur s'engagea « dans la troupe du cirque Loisset, comme interprète, il passa ainsi à Copenhague, puis à Stockholm d'où rapatrié par consul français49 ». Pour sa part, Isabelle Rimbaud, réfutera l'épisode du cirque, mais citera un emploi dans une scierie en Suède, dans une lettre du 30 décembre 189650 à Paterne Berrichon (qu'elle épousera par la suite). Isabelle révélera également que son frère « visita les côtes du Danemark, de la Suède et de la Norvège, puis revint par mer jusqu'à Bordeaux, sans passer le moins du monde par Hambourg ». Après un passage à Charleville, Rimbaud se rend en septembre à Marseille où il embarque pour Alexandrie en Égypte. Pris de douleurs gastriques, peu après le début de la traversée, il est débarqué à Civitavecchia, en Italie. Il retourne à Marseille, puis en direction des Ardennes pour y passer l'hiver. À cette période, Vitalie Rimbaud habite à Saint-Laurent, dans une propriété héritée de sa famille (les Cuif). 1878-1879 : départ pour l'Égypte et Chypre Si l'on fait abstraction d'hypothétiques témoignages (voyage à Hambourg et périple en Suisse selon Berrichon, aurait été « vu dans le Quartier latin, vers Pâques » par un ami d'Ernest Delahaye), les neuf premiers mois de l'année 1878 ne sont pas plus riches de renseignements fiables que ceux de l'année précédente. En avril, les fermiers de Roche ne désirant pas renouveler leur bail, Vitalie Rimbaud a décidé de prendre en mai elle-même la gestion de la ferme54. Fin juillet, Ernest Delahaye écrit : « L'homme aux semelles de vent est décidément lavé. Rien de rien. »[précision nécessaire] Pendant l'été 1878, Arthur revient à Roche et participe aux moissons auprès de son frère Frédéric, de retour de ses cinq années d'armée. Le 20 octobre 1878, jour de ses vingt-quatre ans, Rimbaud reprend la route ; il passe les Vosges, en particulier le col de Bussang, traversé « dans cinquante centimètres de neige en moyenne et par une tourmente signalée ». Il franchit le Saint-Gothard dans « l'embêtement blanc qu'on croit être le milieu du sentier » et traverse l'Italie jusqu'à Gênes. Le dimanche 17 novembre, il décrit les péripéties de son périple dans une longue lettre à sa famille. Le même jour, son père meurt à Dijon. Le 19 novembre, Rimbaud s'embarque de Gênes pour Alexandrie. Arrivé vers le 30 novembre, il se met à chercher du travail. Un ingénieur français lui propose de l'employer sur un chantier situé sur l'île anglaise de Chypre. Pour conclure l'affaire, il demande un indispensable certificat de travail à sa mère (lettre écrite d'Alexandrie, en décembre 1878). Le 16 décembre, Rimbaud est chef de chantier à 30 kilomètres à l'est du port de Larnaca à Chypre, dans l'entreprise Ernest Jean & Thial fils. Chargé de diriger l'exploitation d'une carrière de pierres, il tient les comptes et s'occupe de la paie des ouvriers. En 1879, atteint de fièvres (possiblement dues au paludisme), il quitte Chypre muni d'une attestation de travail, datée du 28 mai. En convalescence à Roche, il se rétablit suffisamment pour apporter son aide aux moissons d'été. Après une ultime visite de son ami Delahaye en septembre, Arthur n'attend pas la saison froide et part avec l'intention de retourner à Alexandrie. Repris par un accès de fortes fièvres à Marseille, il se résout à passer l'hiver chez sa famille — hiver qui se révèle particulièrement rigoureux. Sa santé recouvrée en mars 1880, Rimbaud rejoint de nouveau Alexandrie. Ne trouvant pas d'emploi, il débarque à Chypre. Ses anciens employeurs ont fait faillite ; il réussit à décrocher un travail de surveillant sur un chantier de construction. Il s'agit de la future résidence d'été du gouverneur anglais, que l'on bâtit au sommet des monts Troodos. À la fin du mois de juin, Arthur Rimbaud quitte l'île « après des disputes […] avec le payeur général et [son] ingénieur ». Rendu dans le port d'Alexandrie, il n'envisage plus de retour en France. Après avoir navigué le long du canal de Suez jusqu'en mer Rouge, il cherche du travail dans différents ports : Djeddah, Souakim, Massaouah61… À Hodeidah, au Yémen, où il tombe à nouveau malade, il rencontre Trébuchet, un représentant d'une agence marseillaise importatrice de café. Constatant qu'il connaît suffisamment la langue arabe, ce dernier lui conseille de se rendre à Aden et le recommande à P. Dubar, un agent de la maison Mazeran, Viannay, Bardey et Cie. (L'exportation de café connaissait alors un commerce florissant, grâce à quoi le port de transit de Moka avait connu son heure de gloire avant qu'il fût supplanté par Hodeidah.) Après avoir débarqué à Steamer Point, le port franc anglais d'Aden, Arthur Rimbaud entre en contact avec Dubar, adjoint d'Alfred Bardey (parti explorer le continent africain pour implanter une succursale). Après quelques jours d'essai, il est embauché le 15 août 1880 comme surveillant du tri de café. « Aden est un roc affreux, sans un seul brin d'herbe ni une goutte d'eau bonne : on boit de l'eau distillée. La chaleur y est excessive. » Ayant le sentiment de se faire exploiter, Rimbaud compte partir à Zanzibar ou sur les côtes d'Abyssinie après avoir gagné suffisamment d'argent63. Revenu en octobre, Alfred Bardey lui propose de seconder Pinchard, l'agent du comptoir qu'il vient d'établir au Harar, une région d'Éthiopie colonisée par les Égyptiens. Un contrat de trois ans (1880-1883) est signé le 10 novembre. Accompagné du Grec Constantin Rhigas, un employé de Bardey, il effectue la traversée du golfe d'Aden les jours suivants En terres africaines, Rimbaud et son acolyte forment une caravane pour transporter des marchandises pour le Harar. Ils doivent parcourir trois cent cinquante kilomètres : traverser le territoire des Issas — réputés belliqueux — puis entrer dans celui des Gallas où les attaques ne seront plus à craindre. Les portes de la cité fortifiée de Harar sont franchies en décembre « après vingt jours de cheval à travers le désert somali »64 ; ils sont accueillis dans l'agence Bardey par l'agent Pinchard et un autre employé grec, Constantin Sotiro. La tenue des comptes et la paie des démarcheurs lui sont imparties. Le 15 février 1881, il relate aux siens en quoi consiste le commerce : « [des] peaux […], du café, de l'ivoire, de l'or, des parfums, encens, musc, etc. » ; leur fait part de ses déceptions : « je n'ai pas trouvé ce que je présumais […] Je compte trouver mieux un peu plus loin » ; se plaint aussi d'une maladie qu'il aurait « pincée ». En mars 1881, Pinchard, atteint de paludisme, s'en va. Rimbaud assure l'intérim du comptoir jusqu'à l'arrivée d'Alfred Bardey. Bardey arrive avec l'idée d'ouvrir un magasin de produits manufacturés. Ainsi, les indigènes venant vendre leur récolte de café dépensent leur argent en achetant toutes sortes d'ustensiles. Parmi la poignée d'occidentaux sur place, il eut son rôle à jouer dans l'adoption en Éthiopie d'un certain type de vaisselle (des récipients d'importation en métal et verre coloré, remplaçant les récipients traditionnels en ivoire et terre-cuite), utilisée pour boire l'hydromel local, ou l'eau-de-vie plus tardivement, d'abord parmi l'élite (à la table de Ménélik II, Joseph Vitalien, etc.) ; des usages qui préfigurent l'ouverture des premiers débits de boisson (« bistrots ») destinés à la population… Arthur Rimbaud ayant toujours des velléités de fuite (Zanzibar, Panama), son patron l'envoie faire des expéditions commerciales à partir du mois de mai. Ces campagnes pour des trocs de cotonnades et bibelots contre peaux ou autres, s'avèrent risquées et peu rentables. Revenant épuisé à chaque fois, Rimbaud est à nouveau frappé de fièvre tout l'été. Le 22 septembre 1881, déçu de n'avoir pas été promu directeur de l'agence, il annonce à sa famille qu'il a « donné [sa] démission, il y a une vingtaine de jours ». Cependant, il est encore engagé pour deux ans selon son contrat… À la suite des missives qu'il reçoit de Roche, concernant sa période militaire qui n'est pas réglée et, pour pallier d'éventuelles difficultés qu'il rencontrerait pour se rendre dans d'autres pays, il fait valoir sa situation auprès du consul de France à Aden. De son côté, Alfred Bardey part pour le siège lyonnais de la société vers le début octobre. Le frère de celui-ci devant venir le remplacer, Rimbaud gère à nouveau le comptoir en l'attendant. Pierre Bardey arrivé, Rimbaud quitte le Harar en décembre 1881. Deuxième séjour à Aden (1882-1883) Après le retour d'Arthur Rimbaud à la factorerie de café d'Aden, c'est au tour d'Alfred Bardey de revenir en février 1882 à la suite du départ de P. Dubar pour la France (Lyon). Rimbaud en vient donc à seconder son patron durant toute l'année. En septembre, il commande tout le matériel nécessaire pour faire des photographies, car il compte partir pour le Choa, en Abyssinie, afin de réaliser un ouvrage sur cette contrée inconnue, avec cartes, gravures et photographies, et le soumettre à la Société de géographie de Paris, dont Alfred Bardey est membre. Ce projet d'expédition photographique ne verra pas le jour, car, le 3 novembre 1882, il annonce à sa famille son retour à Harar, prévu pour janvier 1883. Le début de l'année 1883 est marqué par une rixe entre Rimbaud et un magasinier indigène qui lui manque de respect. Ce dernier porte alors plainte pour coups et blessures. Rimbaud évite la condamnation grâce à l'intervention du vice-consul, auquel il écrit aussitôt (le 28 janvier 1883) pour résumer les faits et solliciter sa protection. De plus, son patron se porte garant de son comportement à venir. Son contrat — finissant en novembre 1883 — est renouvelé jusqu'à fin décembre 1885 et son prochain départ pour Zeilah est fixé au 22 mars 1883. Dans une lettre écrite le 6 mai 1883 à sa famille, il formule quelques réflexions sur sa vie actuelle, son avenir. Il songe à se marier, à avoir un fils. Il joint aussi ses premiers travaux photographiques : trois portraits en pied de lui-même (respectivement, 1. aux bras croisés, 2. sur une terrasse et 3. devant des caféiers). Secondé par Constantin Sotiro (Sotiros Konstantinescu Chryseus, alias Adji-Abdallah), Rimbaud prend l'initiative de l'envoyer explorer l'Ogadine ; à son retour (en août) il transcrit ses notes pour en rédiger un texte descriptif que Bardey expédie à la Société de géographie de Paris. Intitulé Rapport sur l'Ogadine, par M. Arthur Rimbaud, agent de MM. Mazeran, Viannay et Bardey, à Harar (Afrique orientale), ce mémoire, dans lequel les mérites de Sotiro sont quelque peu occultés, est publié par la Société de géographie en février 1884 et est apprécié par les géographes français et étrangers. Quant à Sotiro, Rimbaud exécute son portrait photographique, en tenue de chasseur parmi des bananiers. En tout, on possède actuellement de cette période huit photographies authentiquement prises par Rimbaud : sept sont conservées à la bibliothèque de Charleville-Mézières, une autre à la BnF (depuis 1969). À Paris, pendant ce temps, Verlaine publie une étude accompagnée de poèmes sur le poète Rimbaud, dans la revue Lutèce du 5 octobre au 17 novembre 1883. Cette étude paraît l'année suivante dans l'ouvrage Les Poètes maudits. Maison Rimbaud à Harar en Éthiopie. En réalité, Rimbaud n'y a pas habité. Au Harar, plusieurs caravanes de marchandises sont organisées jusqu'au moment où les répercussions de la guerre des mahdistes contre les occupants égyptiens et les Anglais obligent la société à abandonner le comptoir de Harar. L'évacuation de la cité est organisée par le gouverneur d'Aden, le major Frederick Mercer Hunter, arrivé en mars, à la tête d'une colonne d'une quinzaine de soldats. L'officier britannique, insatisfait de l'hébergement offert par le pacha d'Égypte, provoque un scandale en préférant loger dans la maison de Rimbaud71. Le retour pour Aden se fait en compagnie de Djami Wadaï, son jeune domestique abyssin, et de Constantin Sotiro. À la suite de la faillite de la société Mazeran, Viannay, Bardey et Cie, Rimbaud est licencié et se retrouve sans travail. Cependant, « selon les termes de [son] contrat, [il a] reçu une indemnité de trois mois d'appointements, jusqu'à fin juillet » et espère la réussite de Bardey, parti en France « pour rechercher de nouveaux fonds pour continuer les affaires ». Pendant cette période de désœuvrement, il vit avec une Abyssine chrétienne, prénommée Mariam. Le 1er juillet 1884, il est engagé jusqu'au 31 décembre 1884 dans la nouvelle société créée par les frères Bardey, « aux mêmes conditions ». Les mois passent et les affaires ne sont pas brillantes — ruinées par la politique menée par les Britanniques. Arthur Rimbaud va avoir vingt-neuf ans et sent qu'il se fait « très vieux, très vite, dans ces métiers idiots ». Aussi cherche-t-il une occasion pour changer d'emploi. Faute de mieux, le 10 janvier 1885, il se rengage pour un an avec la maison Bardey. Malgré la poursuite de l'offensive anglo-égyptienne au Soudan, Rimbaud continue donc à s'occuper des achats et des expéditions du moka. Sans aucun jour de congé, il endure à nouveau la chaleur étouffante de l'endroit et souffre de fièvre gastrique. « Trafic » d'armes au Choa (1885 à 1887) En septembre 1885, Arthur Rimbaud se voit proposer un marché par le Français Pierre Labatut, un trafiquant établi au Choa, royaume abyssin de Ménélik, négus du Shewa (Choa) jusqu'en 1889 et futur Roi des Rois (Negusä nägäst ou Negusse Negest) d'Éthiopie. Voyant là l'opportunité de faire une bonne affaire, et de changer le cours de sa vie tout en ayant un rôle géopolitique à jouer, Rimbaud n'hésite pas à s'associer avec Labatut pour acheter en Europe des armes (passablement obsolètes) et des munitions. Ainsi, ils comptent réaliser de substantiels bénéfices en satisfaisant une commande du négus du Shewa, qu'ils auront de cette façon contribué à établir comme unificateur de la région, et comme opposant aux harcèlements de l'armée italienne. L'intégrité du pays sera établie lors de la décisive bataille d'Adoua80 deux décennies plus tard81. Après avoir conclu cet accord, qui sera payé ensuite par le père du futur Haïlé Sélassié, Arthur rompt brutalement le contrat qui le lie avec la maison Bardey. Quant à Mariam, elle est renvoyée dans son pays avec quelques thalers en poche. Fin novembre 1885, Rimbaud débarque dans le petit port de Tadjourah, en terre dankalie, pour monter une caravane en attendant que les armes soient réceptionnées à Aden par Labatut. Lorsque ce dernier arrive fin janvier 1886 avec le chargement (deux mille quarante fusils et soixante mille cartouches), l'organisation de la caravane rencontre des difficultés. D'abord entravés par les exigences financières du sultan qui tire profit de tous convois en partance, les voilà empêchés d'entamer leur expédition à la mi-avril : l'interdiction d'importer des armes vient d'être signée entre Anglais et Français. Les deux associés écrivent alors au ministre des Affaires étrangères le 15 avril pour se sortir de cette impasse83. Ils obtiennent gain de cause, mais tout est remis en question quand Labatut, atteint d'un cancer, est obligé de rentrer en France (il mourra en octobre suivant). L'explorateur Ugo Ferrandi (it) rencontre Arthur Rimbaud à ce moment et le décrit ainsi : « Grand, décharné, les cheveux grisonnants sur les tempes, vêtu à l'européenne […] avec des pantalons plutôt larges, un tricot, une veste ample couleur kaki, il ne portait sur la tête qu'une petite calotte également grise et bravait le soleil torride comme un indigène. ». Avec l'aval officiel du Consul de France, et muni d'une procuration de Pierre Labatut, Rimbaud se tourne vers Paul Soleillet, célèbre commerçant et explorateur, qui lui aussi attend une autorisation pour faire partir sa caravane. En associant leurs convois, ils s'assurent d'une meilleure sécurité pour la traversée du territoire des redoutables guerriers Danakils. Hélas, frappé d'une embolie, Soleillet meurt le 9 septembre. En France, Illuminations et Une saison en enfer sont parus dans les numéros de mai à juin et de septembre 1886 de la revue symboliste La Vogue, sans que l'auteur en ait connaissance. Se retrouvant seul, Rimbaud part en octobre 1886, à la tête de sa caravane composée d'une cinquantaine de chameaux et d'une trentaine d'hommes armés. La route pour le Choa est très longue : deux mois de marche jusqu'à Ankober. Après avoir traversé les terres arides des tribus danakils sous une chaleur implacable, le convoi franchit la frontière du Choa sans avoir été attaqué par les pillards. Et c'est dans un environnement verdoyant que la caravane atteint Ankober le 6 février 1887. Rimbaud y trouve l'explorateur Jules Borelli86. Ménélik est absent, étant parti combattre l'émir Abdullaï pour s'emparer d'Harar. Rimbaud aussitôt arrivé, les chameliers, un créancier de Labatut et la veuve abyssinienne de ce dernier viennent lui réclamer avec insistance ce qui leur est soi-disant dû. Agacé par leur rapacité, il refuse de céder à leurs demandes. Ils s'en plaignent auprès de l'intendant du roi qui abonde en leur sens et le condamne à verser les sommes demandées. Au lieu d'Ankober, Ménélik va revenir en vainqueur à Entoto. Rimbaud se rend là-bas avec Borelli. Sur place, en attendant l'arrivée du roi, Rimbaud entre en contact avec son conseiller, un ingénieur suisse nommé Alfred Ilg avec qui il entretient de bons rapports. Suivi de sa colonne armée, Ménélik arrive triomphalement le 5 mars 1887. Il n'a plus vraiment besoin d'armes ni de munitions, car il en ramène en grande quantité. Il accepte néanmoins de négocier le stock à un prix très inférieur à celui escompté. De surcroît, il ne se prive pas d'exploiter la disparition de Labatut, à qui il avait passé commande, pour retrancher du prix la somme de quelques dettes supposées. Suivant cet exemple, « toute une horde de créanciers » (réels ou opportunistes) de Labatut viennent harceler Rimbaud pour être remboursés à leur tour88. Ménélik n'ayant pas d'argent pour le payer, Rimbaud est contraint d'accepter un bon de paiement devant lui être réglé à Harar par le ras Makonnen, cousin du roi.. Pour qu'il aille au plus court pour toucher son argent, Ménélik lui donne l'autorisation de prendre la route qu'il a ouverte à travers le pays des Itous. Cette route étant inexplorée, Borelli demande au roi la permission de l'emprunter. Rimbaud quitte donc Entoto le 1er mai 1887, en compagnie de Borelli. L'itinéraire traverse des régions inexplorées : ils furent ainsi les premiers européens à explorer l'Ogaden dans l'Éthiopie. Leurs observations et descriptions sont scrupuleusement relevées et consignées à chaque étape. Jules Borelli les retranscrit dans son journal de voyage90. Rimbaud, pour sa part, transmet ses notes à Alfred Bardey qui les communiquera à la Société de géographie91. Au bout de trois semaines, la caravane arrive à Harar. Borelli retourne à Entoto quinze jours après. Rimbaud, quant à lui, doit attendre pour se faire payer, mais le ras n'a pas d'argent et transforme son bon de paiement en deux traites payables à Massaoua. Après avoir repris la route en direction de Zeilah, Rimbaud regagne Aden le 25 juillet 1887. Le 30 juillet, il fait un compte-rendu détaillé de la liquidation de sa caravane au vice-consul de France, Émile de Gaspary. Résultat de « cette misérable affaire » : une perte de 60 % sur son capital, « sans compter vingt et un mois de fatigues atroces ». Avec l'intention de prendre un peu de repos en Égypte, Rimbaud embarque avec son domestique au début du mois d'août 1887 pour encaisser ses traites à Massaouah. Lorsqu'il est arrêté à son arrivée le 5 août 1887 pour défaut de passeport, l'intervention de Gaspary est nécessaire pour lui permettre de poursuivre sa route. Il est alors nanti d'un passeport, de l'argent de ses traites et d'une recommandation du consul de France de Massaouah à l'attention d'un avocat du Caire. Il débarque à Suez pour se rendre en train jusqu'à la capitale, où il arrive le 20 août 1887. Dans une lettre aux siens du 23 août, il se plaint de rhumatismes à l'épaule droite, au bas du dos, à la cuisse et au genou gauche. Rimbaud entre en relation avec Borelli Bey (Octave Borelli), frère aîné de Jules Borelli et directeur du journal, Le Bosphore égyptien. Il lui adresse les notes de son expédition du Choa, publiées dans ce journal les 25 et 27 août 1887. Après avoir placé sa fortune dans une succursale du Crédit lyonnais, Rimbaud ne sait où aller pour travailler à nouveau ; il pense à Zanzibar et à Madagascar. Il sollicite une mission en Afrique à la Société de géographie à Paris, sans succès. Il retourne à Aden début d'octobre 1887. Dans cette ville, les déconvenues de sa livraison d'armes le poursuivent. Il doit encore justifier le paiement d'une dette de Pierre Labatut à un certain A. Deschamps (l'affaire sera soldée le 19 février 1891, après d'interminables échanges de courriers). Il souffre toujours de douleurs au genou gauche. En décembre 1887, malgré divers contacts entrepris, Rimbaud est toujours sans travail. Il revoit Alfred Ilg, de passage à Aden avant de se rendre à Zurich (à la suite de quoi ils correspondront fréquemment). Par ailleurs, le stock d'armes de Paul Soleillet, resté à Tadjourah après sa mort, a été racheté par Armand Savouré. Malgré l'embargo sur ce commerce, celui-ci compte les livrer au roi Ménélik. Pour former sa caravane, il propose à Rimbaud de tenter de se procurer des chameaux auprès du ras de Harar. Pour cela, Arthur retourne sur les terres africaines mi-février 1888, de la côte à Harar ; mais, n'ayant pu convaincre le ras Makonnen, il en revient bredouille un mois plus tard, le 14 mars 1888. Dans le milieu littéraire parisien, le silence et la disparition inexpliqués du poète Jean-Arthur Rimbaud entourent son nom de mystère et les interrogations qu'il suscite donnent libre cours à toutes sortes de fables — en 1887 on l'a dit mort, ce qui inspire Paul Verlaine pour écrire Laeti et errabundi. En janvier 1888, le même publie à nouveau une étude biographique dans un numéro de la revue Les Hommes d'aujourd'hui consacré au poète disparu. La route d'Entoto à Harar étant maintenant ouverte, la cité harari devient une étape obligée pour commercer avec le royaume du Choa. Rimbaud est déterminé à s'y installer pour se consacrer à un commerce plus orthodoxe (café, gomme, peaux de bêtes, musc (de Civette), cotonnade, ivoire, or, ustensiles manufacturés, et fournisseur de chameaux pour caravanes). Il contacte César Tian, un important exportateur de café d'Aden, pour le représenter à Harar ; offre sa collaboration à Alfred Bardey à Aden ; à Alfred Ilg au Choa ; et à Constantin Sotiro, son ancien assistant, qui s'est établi à Zeilah. Ces accords conclus, il part édifier son comptoir : départ le 13 avril 1888 pour Zeliah, arrivée à Harar le 3 mai 1888 ; il ouvre alors un commerce à son nom. Les années 1888, 1889 et 1890 sont consacrées à l'exploitation de sa factorerie à Harar. Après la satisfaction des débuts, l'humeur devient maussade. Rimbaud s'ennuie, ainsi qu'il l'écrit à sa famille dans une lettre datée du 4 août 1888 : « Je m'ennuie beaucoup, toujours ; […] n'est-ce pas misérable, cette existence sans famille, sans occupation intellectuelle […] ? » Le 25 septembre 1888, il offre l'hospitalité à l'explorateur Jules Borelli qui, venant du Choa, fait une halte d'une semaine avant de regagner le port de Zeilah. Rimbaud lui obtient des chameaux. Quelques semaines après, c'est au tour d'Armand Savouré, qui a enfin réussi à livrer son stock d'armes au négus du Shewa, Ménélik. Dans leurs témoignages, tous deux décriront Rimbaud comme un être intelligent, peu causant, sarcastique, ne livrant rien sur sa vie antérieure, vivant très simplement, s'occupant de ses affaires avec précision, honnêteté et fermeté99. De retour de Zurich, Alfred Ilg est hébergé par Rimbaud du 23 décembre 1888 au 5 février 1889, le temps d'attendre la fin des affrontements entre Issas et Gallas pour transporter en toute sécurité ses marchandises et celles de son hôte jusqu'à Entoto. Les affaires avec le conseiller du roi marcheront en bonne entente jusqu'au bout. Une autre visite est celle d'Édouard Joseph Bidault de Glatigné (1850-1925), photographe-reporter dans la région, qui séjourne fin 1888, début 1889 dans la maison de Rimbaud située juste à côté de la Factorerie ; il écrit sur ce séjour à la Société de géographie de Paris, y joignant un cliché. Le ras Makonnen quitte la ville en novembre 1888 pour rejoindre son cousin le roi qui se prépare à entrer en guerre contre l'empereur Johannès IV. Cette guerre n'aura pas lieu, car au mois de mars 1889, l'empereur « eut l'idée d'aller d'abord flanquer une raclée aux mahdistes du côté de Metemma. Il y est resté, que le Diable l'emporte ! » L'empereur Jean (Johannès IV) est assassiné en mars 1889. Le 3 novembre 1889, Ménélik devient Negusä nägäst (Roi des Rois) d'Éthiopie sous le nom de Ménélik II. Il faut souligner ici que le mythe faisant de Rimbaud un négrier est infondé : « N'allez pas croire que je sois devenu marchand d'esclave », avait-il déjà écrit à sa famille le 3 décembre 1885. Il est seulement vrai qu'il demande à Ilg, dans une lettre datée du 20 décembre 1889, « deux garçons esclaves pour [son] service personnel ». Si la traite est interdite par Ménélik, elle se fait clandestinement et beaucoup d'européens possèdent des esclaves comme domestiques sans que cela soit considéré blâmable. Le 23 août 1890, l'ingénieur lui répond : « pardonnez-moi, je ne puis m'en occuper, je n'en ai jamais acheté et je ne veux pas commencer. Je reconnais absolument vos bon[ne]s intentions, mais même pour moi je ne le ferai jamais. » À la veille de Noël 1889, une caravane est attaquée par une tribu sur la route de Zeilah à Harar. Deux missionnaires et une grande partie des chameliers sont assassinés. À la suite des représailles qui se soldent par des pertes importantes dans les rangs anglais, les routes commerciales sont coupées jusqu'à la mi-mars 1890. Le manque à gagner que cela occasionne est sujet de conflit avec César Tian. En 1890, Rimbaud songe à se rendre à Aden pour liquider ses affaires avec César Tian. Ensuite, il se rendrait en France dans l'espoir de se marier. À Paris, Anatole Baju, rédacteur en chef de la revue Le Décadent, divulgue des renseignements reçus sur Arthur Rimbaud : il est vivant et vit à Aden. Le 17 juillet 1890, Laurent de Gavoty, directeur de la revue littéraire marseillaise La France moderne, lui écrit par le biais du consul de France à Aden pour dire qu'il a lu ses « beaux vers » et qu'il serait « heureux et fier de voir le chef de l'école décadente et symboliste » collaborer pour sa publication102. Edmond de Goncourt note dans son journal, à la date du 8 février 1891 : « Darzens nous apprend que Rimbaud est maintenant établi marchand à Aden et que dans les lettres qu'il lui écrivait il parlait de son passé comme d'une énorme fumisterie. » Dans une lettre écrite le 20 février 1891, Arthur Rimbaud demande à sa mère de lui faire parvenir un bas à varices, car il en souffre à la jambe droite depuis plusieurs semaines. Il lui signale aussi une « douleur rhumatismale » au genou droit. Il pense que cette infirmité lui a été causée « par de trop grands efforts à cheval, et aussi par des marches fatigantes ». Un médecin, consulté un mois plus tard, lui conseille d'aller se faire soigner en Europe le plus rapidement possible. Bientôt, ne pouvant plus se déplacer, il dirige ses affaires en position allongée. Au vu de l'aggravation rapide de son mal de genou et de l'état de raideur de sa jambe, il liquide à la hâte toutes ses marchandises pour quitter le pays. Il est transporté par des porteurs sur une civière construite selon ses plans ; la caravane prend le départ au matin du 7 avril 1891. Djami, son domestique, est du voyage. Malgré les souffrances, accentuées par l'inconfort, les intempéries et la longueur du déplacement, il note les faits marquants de chaque étape jusqu'à son arrivée au port de Zeïlah, le 18 avril104. Débarqué à Steamer Point trois jours après, Rimbaud est hébergé chez César Tian, le temps pour eux de régler leurs comptes. Il est hospitalisé aussitôt après ; les médecins lui diagnostiquent une synovite à un stade si avancé qu'une amputation semble inévitable. Cependant, on lui accorde quelques jours de repos pour en mesurer les éventuels bienfaits. Devant le peu d'amélioration, il lui est conseillé de rentrer en France. Le 9 mai, on l'embarque sur l'Amazone, un trois-mâts goélette à vapeur des Messageries maritimes, à destination de Marseille. Sa sœur, Isabelle Rimbaud, rapporte de son côté les délires mystiques d'Arthur sur son lit de mort : il se serait écrié à maintes reprises « Allah Kérim » (« Dieu est généreux » ou « c'est la volonté de Dieu »). En se fondant sur ses dires, Malcolm de Chazal affirme, contrairement à Alain Borer, que « Rimbaud au Harrar s'était converti à la foi musulmane et pratiquait »109. C'est aussi ce qu'affirme, peut-être exagérément, le Cheikh Si Hamza Boubakeur (orthographié à tort « Borbakeur » par Borer), dans la présentation de sa traduction du Coran. Mai à août 1891 : convalescence et opération Arthur Rimbaud est débarqué à Marseille le 20 mai 1891. « Me trouvant par trop faible à l'arrivée ici, et saisi par le froid, j'ai dû entrer ici à l'hôpital de la Conception […]. Je suis très mal, très mal, je suis réduit à l'état de squelette par cette maladie de ma jambe droite, qui est devenue à présent énorme… » Les médecins diagnostiquent un néoplasme de la cuisse. Le 22, on lui annonce qu'il va falloir l'amputer. Il envoie immédiatement un télégramme à sa famille pour que l'une ou l'autre vienne à Marseille régler ses affaires. Sa mère lui répond aussitôt en lui annonçant son arrivée pour le lendemain, 23 mai au soir. . Après l'opération, Rimbaud reçoit des lettres de sympathie de Constantin Sotiro et César Tian. Le 8 juin, madame Rimbaud écrit à sa fille pour lui annoncer son nécessaire retour à la ferme de Roche malgré les supplications de son fils pour qu'elle reste auprès de lui. La cicatrisation faite, il ne subsiste qu'une douleur localisée. Le 24 juin, il s'exerce à se déplacer avec des béquilles. Le 2 juillet il écrit qu'il a commandé une jambe de bois. D'autre part, maintenant qu'il se trouve en France, il s'inquiète inconsidérément, malgré son état, concernant sa période d'instruction militaire à laquelle il a réussi à se soustraire jusqu'à présent. Craignant de se faire piéger en retournant auprès des siens, il les charge de faire le nécessaire pour éclaircir sa situation. Le 8 juillet, sa sœur l'informe qu'il peut obtenir son congé définitif comme réformé en se présentant devant les autorités militaires de Marseille ou de Mézières. En juillet, Rimbaud ne peut se servir de sa jambe artificielle, car elle enflamme le moignon. En attendant qu'il se renforce, il continue à « béquiller », mais, à la longue, cela lui occasionne de fortes névralgies dans le bras et l'épaule droite ainsi que dans sa jambe valide. Le 23 juillet, suivant le conseil de son médecin, il quitte l'hôpital. Arrivé le lendemain en gare de Voncq, il se fait conduire à la ferme de Roche. Ni ses anciens amis ni son frère ne sont avertis de son retour. Au lieu de s'améliorer, son état empire. Les insomnies et le manque d'appétit le reprennent. Les douleurs occasionnées par les béquilles, la jambe de bois ou les promenades en carriole le contraignent bientôt à l'inactivité. Le médecin constate une augmentation de volume du moignon et une rigidité du bras droi. Mais, ne renonçant pas à retourner au Harar, il prend la résolution de retourner se faire soigner à Marseille, ainsi il serait « à portée de se faire embarquer pour Aden, au premier mieux senti ». Le 23 août, il reprend le train pour Marseille accompagné d'Isabelle. Après le calvaire subi tout au long du voyage, il est admis à l'hospice de la Conception le lendemain soir. Isabelle, qui loge en ville, se rend tous les jours à son chevet. Un mois plus tard, elle rapporte à sa mère les réponses faites à ses questions par les médecins : « Sa vie est une question de jours, de quelques mois peut-être ». Le 20 octobre 1891, il a trente-sept ans. Selon la lettre exaltée qu'Isabelle écrit huit jours après à sa mère, son frère aurait manifesté une ferveur mystique exacerbée durant cette épreuve. Elle lui décrit aussi la progression du cancer : son bras droit enflé, le gauche à moitié paralysé, son corps en proie à de vives douleurs, sa maigreur. Elle raconte ses délires, lors desquels il l'appelle parfois Djami. Le 9 novembre, il dicte à sa sœur un message sibyllin, débutant par un inventaire obscur évoquant des « lots » de « dents » (dont on peut supposer qu'il s'agit en fait de défenses en ivoire) : « M. le Directeur, […] envoyez-moi donc le prix des services d'Aphinar à Suez. Je suis complètement paralysé donc je désire me trouver de bonne heure à bord. Dites-moi à quelle heure je dois être transporté à bord… » Il meurt le lendemain, mardi 10 novembre — à dix heures du matin selon l'état civilà deux heures de l'après-midi selon sa sœur, d'une « carcinose généralisée ». Son corps est ramené à Charleville. Les obsèques se déroulent le 14 novembre dans l'intimité la plus restreinte. Arthur Rimbaud est inhumé dans le caveau familial auprès de son grand-père, Jean Nicolas Cuif, et de sa sœur Vitalie. Œuvres Liste chronologique des poèmes en vers et en prose Couverture de la 1re édition des « Poésies complètes » de Rimbaud. Une saison en enfer, Alliance typographique (M.-J. Poot et Cie), Bruxelles, 1873131. Paul Verlaine, Les Poètes maudits : Tristan Corbière, Arthur Rimbaud (Voyelles, Oraison du soir, Les Assis, Les Effarés, Les Chercheuses de poux, Le Bateau ivre) et Stéphane Mallarmé, illustré de trois gravures de Thomas Blanchet, Léon Vanier libraire-éditeur, Paris, 1884, 56 p132. « Le Dormeur du val », in Anthologie des poètes français, tome IV, Lemerre, 1888. Reliquaire - Poésies, préface de Rodolphe Darzens, L. Genonceaux éd., Paris, 1891. Poésies complètes, préface de Paul Verlaine, Léon Vanier libraire-éd., Paris, 1895. Lettres de Jean-Arthur Rimbaud – Égypte, Arabie, Éthiopie, avec une introduction et des notes par Paterne Berrichon, Société du Mercure de France, Paris, 1899. Œuvres, vers et proses, Mercure de France, préface de Paul Claudel, notes de Paterne Berrichon, 1912. « Les Mains de Jeanne-Marie », dans la revue surréaliste, Littérature, numéro de juin 1919. Stupra : « Ange ou Pource », « Nos fesses ne sont pas les leurs », « L'Idole - Sonnet du trou du cul, dans la revue Littérature, numéro de mai 1922. « Un cœur sous une soutane », préfaces de Louis Aragon et André Breton, dans la revue Littérature, numéro de juin 1924. Éditions récentes des poèmes et de la correspondance Document utilisé pour la rédaction de l’article : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article. Rimbaud - Œuvres complètes, édition établie, présentée et annotée par Antoine Adam, NRF/Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, Paris, 1972, 1 250 p. Document utilisé pour la rédaction de l’article La première édition des Œuvres complètes dans la Pléiade, texte établi et annoté par André Rolland de René-ville et Jules Mouquet, date de 1946. Rimbaud - Œuvres complètes, édition établie, présentée et annotée par André Guyaux avec la collaboration d'Aurélia Cervoni, NRF/Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, Paris, 2009, 1 152 p. (ISBN 9782070116010). Document utilisé pour la rédaction de l’article Rimbaud, œuvres complètes, édition établie par Pierre Brunel, Le Livre de poche, coll. « La Pochotèque », 2004 (1re éd. 1960, présenté par Paul Claudel), 1040 p. (ISBN 978-2-253-13121-2). Document utilisé pour la rédaction de l’article Arthur Rimbaud - Œuvre-vie, édition du centenaire établie par Alain Borer, Arléa/Le Seuil, Paris, 1991, 1 338 p. (ISBN 978-2-86959-118-9). Arthur Rimbaud - Œuvres complètes - correspondance, édition établie par Louis Forestier, Robert Laffont, coll. « Bouquins », Paris, 2009 (1re éd. 1992), 608 p. (ISBN 978-2-221-11517-6). Document utilisé pour la rédaction de l’article Les Poètes maudits de Paul Verlaine, introduction et notes de Michel Décaudin, éd. CDU SEDES, 1995, 76 p. (ISBN 2-718-10554-2). Rimbaud – L’œuvre intégrale manuscrite, édition établie et commentée par Claude Jeancolas, Textuel/Le Seuil, 1997, 681 p. (3 cahiers) (ISBN 978-2-909317-27-4). Document utilisé pour la rédaction de l’article Les Lettres manuscrites de Rimbaud, d’Europe, d’Afrique et d’Arabie + commentaires, transcriptions et cheminements, édition établie et commentée par Claude Jeancolas, Textuel/Le Seuil, 1997, 544 p. (4 cahiers) (ISBN 978-2-909317-44-1). Document utilisé pour la rédaction de l’article Arthur Rimbaud - Correspondance, édition établie par Jean-Jacques Lefrère, Fayard, Paris, 2007, 1 020 p. (ISBN 978-2-213-63391-6). Document utilisé pour la rédaction de l’article Regards sur l'œuvre « Le Bateau ivre » Article détaillé : « Le Bateau ivre ». « Le Bateau ivre » rue Férou à Paris. Le poème a probablement été composé dans les Ardennes, avant le départ de Rimbaud pour Paris en septembre 1871. Il est vraisemblable qu'il ait voulu présenter aux poètes établis qu'il allait y rencontrer une œuvre qui fût l'aboutissement de sa période d'initiation, à la manière des apprentis présentant leur chef-d'œuvre133. Il aurait lu ce poème au dîner des Vilains Bonshommes le 30 septembre 1871134. Une copie en a été faite par Verlaine durant ce séjour parisien135. De nombreuses œuvres ont été citées comme ayant pu influencer ce texte mystérieux de Rimbaud, dont Les Aventures d'Arthur Gordon Pym d'Edgar Allan Poe, « Le Voyage » de Charles Baudelaire, ou encore Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne133. Les mots « Moi, l'autre hiver… » peuvent être une allusion à son propre parcours, et à cet hiver difficile entre 1870 et 1871, durant lequel il a rompu les amarres avec les études et la vie carolopolitaine135. Une saison en enfer Article détaillé : Une saison en enfer. Ce recueil présente la particularité d'être le seul dont Rimbaud ait lui-même géré la publication, se mettant, pour cela, en relation avec un éditeur de Bruxelles en août ou septembre 1873, pour une édition à compte d'auteur, grâce à une avance de fonds de sa mère136,137. Verlaine y voit une « prodigieuse autobiographie spirituelle » de Rimbaud138. C'est une succession de proses, en apparence différentes dans leurs thèmes et leurs intentions, où il retrace Less
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