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Liste des produits et biographie de Jazz GILLUM
Chanteur américain de blues
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JAZZ GILLUM
Le blues n'est pas que musique. Le blues est avant tout un monde de sentiments, de questions, de colères et de résignations, d'expressions et de renoncements, de luttes intérieures, le blues est une fatalité. Il hante tout un chacun quelque soit le nom qu'on lui colle, il se manifeste de toutes les façons.
Or, cette "expression silencieuse de la solitude", par une sorte de retournement de situation, est sorti de l'être intérieur pour entrer dans la communauté (noire) et devenir un langage de communication. Ces multiples blues, extraits du plus profond de chacun, se sont ainsi retrouvés sur quelques lignes porteuses, quelques fils conducteurs. Par un processus de transmutation, ils ont été mis en musique, en chansons et ont commencé à voyager de l'un à l'autre par la grâce de ses interprètes...
Même "connu", un chanteur de blues reste largement anonyme. Il n'existe souvent que par ses chants, que par ses disques. Le morceau terminé, il s'efface, il "ravale" son blues et le porte comme un fardeau jusqu'à la prochaine occasion. Jazz Gillum est un bluesman "connu" et pourtant il n'est rien. Il semble, malgré l'importance de son nom sur les catalogues — près de 100 titres publiés par Victor/Bluebird entre 1934 et 1949 —, n'être là que pour "porter" son blues, ce blues qui ne constitua probablement que son seul cadeau de naissance.
William McKinley Gillum naît à Indianola, dans le Mississippi, le 11 septembre 1904. Orphelin très jeune, il est recueilli par un oncle, Ed Buchanan, sorte d'autorité religieuse locale qui lui mène la vie dure. Comme il se débrouille sur l'harmonium de l'église, il montre un vif intérêt pour la chose musicale et, avec ses frères, apprend quelques airs à l'harmonica. En 1911, lassé des brimades du tonton, le petit Jazz, 7 ans — pourquoi lui a-t-on donné ce surnom dès l'enfance? — fait une fugue et s'en va vivre chez des parents éloignés à Charleston (Mississippi). Il est donc confronté très tôt avec la vie errante, misérable et les humiliations. A l'âge de 11 ans, il s'embauche comme journalier agricole à Minter City puis, vers 1918, il va occuper un emploi dans un drugstore de Greenwood. Harmonica toujours en poche, il fait la manche au coin des rues. En 1923, cet "exclu" comme on dit aujourd'hui en a soupé du Deep South. Il prend ses cliques et ses claques et se dirige vers Chicago : "On était traité si mal là-bas que j'ai voulu aller quelque part où si quelqu'un vous flanquait un coup, vous pouviez riposter. Dans le Mississippi, quand quelqu'un vous frappait, vous aviez juste le droit de décamper. On ne quitte pas le Mississippi, on "s'encourt"... s'en aller en marchant, c'est vraiment trop lent", déclara-t'il en 1961 à Roy et Lola Freelace (1). C'est ce thème de la fuite, du départ forcé, de l'évasion qu'il traitera plus tard et qu'il immortalisera dans Key To The Highway.
Installé à Chicago depuis plusieurs années, Jazz Gillum traine dans les clubs du ghetto et croise Big Bill Broonzy avec qui il va commencer à jouer de temps en temps. Malgré cette introduction dans le "monde du blues", il devra encore patienter jusqu'en 1934 pour graver un premier disque grâce à Big Bill qui le met en relation avec Lester Melrose, le producteur tout puissant du marché du blues. Début 1935, Gillum participe à une réunion de studio pour Okeh d'où sortiront plusieurs disques publiés sous le nom des State Street Boys. Enfin, en avril 1936, débute une longue série d'enregistrements pour Bluebird qui s'achèvera provisoirement avec la mobilisation du chanteur en 1942 (qui fera également deux brèves incursions chez ARC sous le nom de Bill McKinley).
Durant cette intense période discographique, on ne sait paradoxalement pas grand-chose sur les activités d'un bluesman qui ne semble pas avoir tenu les tous premiers rôles chez Bluebird contrairement à Walter Davis, Washboard Sam, Tampa Red ou Sonny Boy Williamson. Jazz Gillum apparait également très peu comme accompagnateur : une curieuse séance pour Curtis Jones en 1940 sur Okeh (cf. EPM/Blues Collection 158312) et la version que donna Broonzy de Key To The Highway en 1941, c'est tout.
Lorsqu'il est libéré en 1945, Jazz Gillum reprend régulièrement le chemin des studios Victor, mais malgré certaines adaptations au blues moderne, il marque le pas à l'instar de la plupart de ses anciens confrères et sa dernière séance, en 1950, restera dans les tiroirs. Puis il semble disparaître rapidement de la scène musicale. En 1959, lors de leur "Voyage au pays du Blues", Jacques Demêtre et Marcel Chauvard chercheront, en vain, à obtenir des nouvelles d'un bluesman dont personne ne semble se préoccuper beaucoup : "Nous interrogeons Eddie Boyd sur le sort du chanteur et harmoniciste vétéran Jazz Gillum, mais bien qu'Eddie ait souvent joué avec lui autrefois, il ignore complètement ce que Jazz (comme il l'appelle) a pu devenir. Tout au plus croit-il qu'il est gravement malade et hospitalisé dans un sanatorium du West Side." (2) Il est par ailleurs étrange de constater que Big Bill Broonzy, dans son autobiographie pourtant riche en anecdotes concernant ses collègues et amis, ne dise pas un mot sur un musicien qu'il a accompagné durant toutes ses séances d'enregistrements jusqu'en 1945! Oubli volontaire? contencieux? car comment expliquer que le nom de Jazz Gillum ait disparu de la mémoire du grand Bill en 1954?
Incidemment c'est Memphis Slim qui retrouve un Gillum chiffonier à Hammond, au sud de Chicago. Il le fait venir à New York en compagnie du chanteur-guitariste Arbee Stidham et, ensemble, ils enregistrent plusieurs microsillons en 1961 pour Folkways et Candid. Cette redécouverte permet à Jazz Gillum, aux moyens musicaux pourtant fort diminués, de refaire quelques apparitions scéniques — on l'entend en 1963 au Fickle Pickle à Chicago — mais il rejoint bien vite les arrières cours du ghetto où, après avoir reçu une balle dans la tête au cours d'une dispute, il succombera à ses blessures le 29 mars 1966.
La vie (comme la mort) de Jazz Gillum semble bien typique de l'image d'Epinal que le blues véhicule : le pauvre Noir du Sud, toujours sur la route, en bute aux brimades, puis récoltant un brin de gloire locale et fugace avant de mourir dans les bas-fonds tandis que ses compositions, devenues des classiques, sont reprises dans le monde entier.
Encore une fois, c'est lœuvre du bluesman, et elle seule, qui peut nous éclairer sur la personnalité d'un être qu'il n'est pas facile de cerner, que l'on sent toujours en retrait. A entendre chanter Jazz Gillum, nous le croyons volontiers austère, renfermé et résigné alors que sa voix, avare des effets sensibles, grave et sombre, ne sert que de relais, au second degré, à des thèmes forts, à la fois traditionnels quant à leur approche, leur morale, leurs allusions (par exemple aux superstitions), et découlant d'une observation et d'une confrontation quotidiennes des situations contemporaines (notamment sociales) et des évènements d'actualité. Gillum chante avec un détachement apparent qui semble masquer une grande profondeur de sentiments et aussi, sans doute, de la rancoeur et de l'amertume vis à vis des difficultés de son existence passée. Si la joie perce rarement dans son chant, il ne néglige pas pour autant les tempos vifs et swinguants et une vue d'ensemble de son répertoire (airs de country dance au début, blues de huit, douze, seize ou... neuf mesures) montre une étonnante variété dans un cadre, le Bluebird beat, qu'on dit souvent monolytique.
Son jeu d'harmonica est des plus singuliers. Contrairement à la plupart des spécialistes de la "musique à bouche" qui triturent l'objet dans tous les sens à l'aide d'effets gutturaux, de glissandos, d'écho, de vibrato, de sons groupés, etc., Jazz Gillum utilise son instrument un peu à la manière de certains joueurs de country music, de façon straight, exclusivement tonale et en suivant la ligne mélodique approximative que permet l'instrument diatonique. Il n'exécute jamais de contrechants — c'est sans doute pour cette raison qu'on ne l'utilise pas comme accompagnateur ¬— mais s'exprime très largement en solo, lors des introductions et des chorus finals. Ses interventions "rustiques" tranchent d'ailleurs, et c'est tout l'intérêt du contraste, avec celles de ses partenaires, lesquels font partie de la crème des bluesmen qui écumait alors les studios. On suivra ainsi avec une vive attention les solos et contrechants des pianistes Blind John Davis, Horace Malcolm et, surtout, Joshua Altheimer, de même que les brillantes interventions jazzy/bluesy stupéfiantes de maîtrise de George Barnes à la guitare électrique en 1938, tandis que le rythme est parfois souligné par Washboard Sam ou tissé par Amanda Sortier qui fait de la dentelle avec ses dés à coudre! Et, au milieu de tout cela et en osmose complète avec le chanteur-harmoniciste, le suivant pas à pas, l'omniprésent Big Bill Broonzy.
C'est Broonzy qui, copyright oblige, est considéré comme étant l'auteur présumé de Key To The Highway avec le pianiste Charles Segar. Ce dernier enregistra le 23 février 1940, le fameux thème que s'appropriera de manière définitive Jazz Gillum deux mois et demi plus tard; Gillum qui soufflera pour la seule et unique fois en tant que sideman derrière Big Bill lorsque celui-ci gravera à son tour le morceau sur disque un an après.
Sans doute ne connaîtra-t-on jamais la clef d'une histoire qui ressemble pourtant si fort à celle de Jazz Gillum :
J'ai pris la clef pour la grand-route,
Oui, je suis décidé et je dois partir,
Je m'en vais d'ici, je m'en vais en courant,
Parce que marcher, c'est beaucoup trop lent." (1)
Jean Buzelin
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