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JAZZ GILLUM
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1 CD - 25 TITRES / JAZZ GILLUM / KEY TO THE HIGHWAY 1935 - 1942 WITH BIG BILL BROONZY AND OTHERS / BLUES COLLECTION HISTORIC RECORDINGS
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1935-1942
With Big Bill Broonzy, Blind Jones Davis, George Barnes, John Cameron etc...
1 - Crazy about you
2 - Sarah Jane
3 - Don't ou scandalize my name
4 - My old Lizzie
5 - Reefer head woman
6 - Gillum's windy blues
7 - Sweet sweet woman blues
8 - Boar hog blues
9 - Worried and bothered
10 - Let her go. Stavin' chain
11 - She won't treat me kind
12 - Against my will
13 - Got to reap what you so
14 - It sure had a kick
15 - Key to the highway
17 - Muddy pond blues
18 - Riley springs blues
19 - It looks bad for you
20 - I go somewhere else
21 - You are doing me wrong
22 - Down South blues
23 - From now on
24 - I couldn't help it
25 - I'm gonna leave you on the outskirts of town
Le blues n'est pas que musique. Le blues est avant tout un monde de sentiments, de questions, de colères et de résignations, d'expressions et de renoncements, de luttes intérieures, le blues est une fatalité. Il hante tout un chacun quelque soit le nom qu'on lui colle, il se manifeste de toutes les façons.
Or, cette "expression silencieuse de la solitude", par une sorte de retournement de situation, est sorti de l'être intérieur pour entrer dans la communauté (noire) et devenir un langage de communication. Ces multiples blues, extraits du plus profond de chacun, se sont ainsi retrouvés sur quelques lignes porteuses, quelques fils conducteurs. Par un processus de transmutation, ils ont été mis en musique, en chansons et ont commencé à voyager de l'un à l'autre par la grâce de ses interprètes...
Même "connu", un chanteur de blues reste largement anonyme. Il n'existe souvent que par ses chants, que par ses disques. Le morceau terminé, il s'efface, il "ravale" son blues et le porte comme un fardeau jusqu'à la prochaine occasion. Jazz Gillum est un bluesman "connu" et pourtant il n'est rien. Il semble, malgré l'importance de son nom sur les catalogues — près de 100 titres publiés par Victor/Bluebird entre 1934 et 1949 —, n'être là que pour "porter" son blues, ce blues qui ne constitua probablement que son seul cadeau de naissance.
William McKinley Gillum naît à Indianola, dans le Mississippi, le 11 septembre 1904. Orphelin très jeune, il est recueilli par un oncle, Ed Buchanan, sorte d'autorité religieuse locale qui lui mène la vie dure. Comme il se débrouille sur l'harmonium de l'église, il montre un vif intérêt pour la chose musicale et, avec ses frères, apprend quelques airs à l'harmonica. En 1911, lassé des brimades du tonton, le petit Jazz, 7 ans — pourquoi lui a-t'on donné ce surnom dès l'enfance? — fait une fugue et s'en va vivre chez des parents éloignés à Charleston (Mississippi). Il est donc confronté très tôt avec la vie errante, misérable et les humiliations. A l'âge de 11 ans, il s'embauche comme journalier agricole à Minter City puis, vers 1918, il va occuper un emploi dans un drugstore de Greenwood. Harmonica toujours en poche, il fait la manche au coin des rues. En 1923, cet "exclu" comme on dit aujourd'hui en a soupé du Deep South. Il prend ses cliques et ses claques et se dirige vers Chicago : "On était traité si mal là-bas que j'ai voulu aller quelque part où si quelqu'un vous flanquait un coup, vous pouviez riposter. Dans le Mississippi, quand quelqu'un vous frappait, vous aviez juste le droit de décamper. On ne quitte pas le Mississippi, on "s'encourt"... s'en aller en marchant, c'est vraiment trop lent", déclara-t'il en 1961 à Roy et Lola Freelace (1). C'est ce thème de la fuite, du départ forcé, de l'évasion qu'il traitera plus tard et qu'il immortalisera dans Key To The Highway.
Installé à Chicago depuis plusieurs années, Jazz Gillum traine dans les clubs du ghetto et croise Big Bill Broonzy avec qui il va commencer à jouer de temps en temps. Malgré cette introduction dans le "monde du blues", il devra encore patienter jusqu'en 1934 pour graver un premier disque grâce à Big Bill qui le met en relation avec Lester Melrose, le producteur tout puissant du marché du blues. Début 1935, Gillum participe à une réunion de studio pour Okeh d'où sortiront plusieurs disques publiés sous le nom des State Street Boys. Enfin, en avril 1936, débute une longue série d'enregistrements pour Bluebird qui s'achèvera provisoirement avec la mobilisation du chanteur en 1942 (qui fera également deux brèves incursions chez ARC sous le nom de Bill McKinley).
Durant cette intense période discographique, on ne sait paradoxalement pas grand-chose sur les activités d'un bluesman qui ne semble pas avoir tenu les tous premiers rôles chez Bluebird contrairement à Walter Davis, Washboard Sam, Tampa Red ou Sonny Boy Williamson. Jazz Gillum apparait également très peu comme accompagnateur : une curieuse séance pour Curtis Jones en 1940 sur Okeh (cf. EPM/Blues Collection 158312) et la version que donna Broonzy de Key To The Highway en 1941, c'est tout.
Lorsqu'il est libéré en 1945, Jazz Gillum reprend régulièrement le chemin des studios Victor, mais malgré certaines adaptations au blues moderne, il marque le pas à l'instar de la plupart de ses anciens confrères et sa dernière séance, en 1950, restera dans les tiroirs. Puis il semble disparaître rapidement de la scène musicale. En 1959, lors de leur "Voyage au pays du Blues", Jacques Demêtre et Marcel Chauvard chercheront, en vain, à obtenir des nouvelles d'un bluesman dont personne ne semble se préoccuper beaucoup : "Nous interrogeons Eddie Boyd sur le sort du chanteur et harmoniciste vétéran Jazz Gillum, mais bien qu'Eddie ait souvent joué avec lui autrefois, il ignore complètement ce que Jazz (comme il l'appelle) a pu devenir. Tout au plus croit-il qu'il est gravement malade et hospitalisé dans un sanatorium du West Side." (2) Il est par ailleurs étrange de constater que Big Bill Broonzy, dans son autobiographie pourtant riche en anecdotes concernant ses collègues et amis, ne dise pas un mot sur un musicien qu'il a accompagné durant toutes ses séances d'enregistrements jusqu'en 1945! Oubli volontaire? contencieux? car comment expliquer que le nom de Jazz Gillum ait disparu de la mémoire du grand Bill en 1954?
Incidemment c'est Memphis Slim qui retrouve un Gillum chiffonier à Hammond, au sud de Chicago. Il le fait venir à New York en compagnie du chanteur-guitariste Arbee Stidham et, ensemble, ils enregistrent plusieurs microsillons en 1961 pour Folkways et Candid. Cette redécouverte permet à Jazz Gillum, aux moyens musicaux pourtant fort diminués, de refaire quelques apparitions scéniques — on l'entend en 1963 au Fickle Pickle à Chicago — mais il rejoint bien vite les arrières cours du ghetto où, après avoir reçu une balle dans la tête au cours d'une dispute, il succombera à ses blessures le 29 mars 1966.
La vie (comme la mort) de Jazz Gillum semble bien typique de l'image d'Epinal que le blues véhicule : le pauvre Noir du Sud, toujours sur la route, en bute aux brimades, puis récoltant un brin de gloire locale et fugace avant de mourir dans les bas-fonds tandis que ses compositions, devenues des classiques, sont reprises dans le monde entier.
Encore une fois, c'est l'oeuvre du bluesman, et elle seule, qui peut nous éclairer sur la personnalité d'un être qu'il n'est pas facile de cerner, que l'on sent toujours en retrait. A entendre chanter Jazz Gillum, nous le croyons volontiers austère, renfermé et résigné alors que sa voix, avare des effets sensibles, grave et sombre, ne sert que de relais, au second degré, à des thèmes forts, à la fois traditionnels quant à leur approche, leur morale, leurs allusions (par exemple aux superstitions), et découlant d'une observation et d'une confrontation quotidiennes des situations contemporaines (notamment sociales) et des évènements d'actualité. Gillum chante avec un détachement apparent qui semble masquer une grande profondeur de sentiments et aussi, sans doute, de la rancoeur et de l'amertume vis à vis des difficultés de son existence passée. Si la joie perce rarement dans son chant, il ne néglige pas pour autant les tempos vifs et swinguants et une vue d'ensemble de son répertoire (airs de country dance au début, blues de huit, douze, seize ou... neuf mesures) montre une étonnante variété dans un cadre, le Bluebird beat, qu'on dit souvent monolytique.
Son jeu d'harmonica est des plus singuliers. Contrairement à la plupart des spécialistes de la "musique à bouche" qui triturent l'objet dans tous les sens à l'aide d'effets gutturaux, de glissandos, d'écho, de vibrato, de sons groupés, etc., Jazz Gillum utilise son instrument un peu à la manière de certains joueurs de country music, de façon straight, exclusivement tonale et en suivant la ligne mélodique approximative que permet l'instrument diatonique. Il n'exécute jamais de contrechants — c'est sans doute pour cette raison qu'on ne l'utilise pas comme accompagnateur — mais s'exprime très largement en solo, lors des introductions et des chorus finals. Ses interventions "rustiques" tranchent d'ailleurs, et c'est tout l'intérêt du contraste, avec celles de ses partenaires, lesquels font partie de la crème des bluesmen qui écumait alors les studios. On suivra ainsi avec une vive attention les solos et contrechants des pianistes Blind John Davis, Horace Malcolm et, surtout, Joshua Altheimer, de même que les brillantes interventions jazzy/bluesy stupéfiantes de maîtrise de George Barnes à la guitare électrique en 1938, tandis que le rythme est parfois souligné par Washboard Sam ou tissé par Amanda Sortier qui fait de la dentelle avec ses dés à coudre! Et, au milieu de tout cela et en osmose complète avec le chanteur-harmoniciste, le suivant pas à pas, l'omniprésent Big Bill Broonzy.
C'est Broonzy qui, copyright oblige, est considéré comme étant l'auteur présumé de Key To The Highway avec le pianiste Charles Segar. Ce dernier enregistra le 23 février 1940, le fameux thème que s'appropriera de manière définitive Jazz Gillum deux mois et demi plus tard; Gillum qui soufflera pour la seule et unique fois en tant que sideman derrière Big Bill lorsque celui-ci gravera à son tour le morceau sur disque un an après.
Sans doute ne connaîtra-t'on jamais la clef d'une histoire qui ressemble pourtant si fort à celle de Jazz Gillum :
J'ai pris la clef pour la grand-route,
Oui, je suis décidé et je dois partir,
Je m'en vais d'ici, je m'en vais en courant,
Parce que marcher, c'est beaucoup trop lent." (1)
Jean Buzelin
Nous remercions Jacques Demêtre qui a bien voulu nous prêter quelques anciens disques.
(1) Cité dans Giles Oakley, Devil's Music/Une histoire du Blues (Denoël, Paris 1985).
(2) Jacques Demêtre et Marcel Chauvard, Voyage au Pays du Blues (CLARB/Soul Bag, Paris 1994).
The blues is more than just music, it’s a whole world in itself. Ruled by such deepdown emotions as love, anger, doubt and despair, it is, too, a world that concerns us all. Among America’s black community, however, the blues — transformed into song and set to music — fought free of the confines of man’s inner soul to become a valid means of expression, a useful mode of communication.
Yet even “well-known” blues singers have tended to remain anonymous, shadowy figures. They existed through their songs and their records, but, once the performance over, they seemed to pack up their blues and bear them as a burden until the next occasion, in the meantime simply disappearing into a universe of their own. Jazz Gillum was a “well-known” bluesman, and yet he was nobody. Despite the importance of his name in blues catalogues — he recorded almost 100 published titles for Victor/Bluebird in the period 1934 to 1949 —, it seems he existed for no other purpose than to transmit his blues, the blues which no doubt stalked him from birth.
William McKinley Gillum was born in Indianola, Mississippi, on 11 September 1904. Orphaned as a young child, he was taken in by his uncle, Ed Buchanan, a local church deacon who imposed strict discipline upon his charge. The youngster, who had already shown a keen interest in the church harmonium, soon revealed a distinctly musical bent, and along with his brothers he learned to play several tunes on harmonica. In 1911, weary of his uncle’s harsh treatment, the seven-year old “Jazz” (a curious nickname for a child) fled home to go and live with some distant relatives in Charleston, Mississippi. Despite his tender years, he thus already found himself exposed to a precarious life of hoboing and humiliation. At the age of eleven, he began work as a field hand in Minter City, then, around 1918, took on a job in a Greenwood drugstore. His harmonica ever handy, in his spare time he did not hesitate to perform in the streets. By 1923, thoroughly weary of the ways of the Deep South, he headed for Chicago, a city, he believed, where a man could look after himself instead of having to yield ignominiously to blows and insults. “You don’t just walk away from Mississippi,” he once declared, “you run, ‘cos walkin’s too slow!” It was this theme of enforced flight that would later inspire the immortal Key To The Highway.
Once settled in Chicago, Jazz Gillum started hanging out in the ghetto clubs. Here he came across Big Bill Broonzy, with whom he began to play the occasional date. But it would be 1934 before he got the chance to cut his first record, again thanks to Broonzy, who put him in touch with Lester Melrose, the most powerful producer in a cut-throat blues market. In early 1935, Gillum took part in a session for Okeh that produced several sides subsequently released under the name of the State Street Boys. April 1936 at last witnessed the start of a long series of recordings under his own name for the Bluebird label, a series temporarily interrupted in 1942 when the singer (who also undertook two brief sessions for ARC under the name of Bill McKinley) was drafted for military service.
Despite this period of intense recording activity, Gillum is a bluesman about whom we know curiously little, except that he seems to have occupied a less illustrious role for Bluebird than such colleagues as Walter Davis, Washboard Sam, Tampa Red and Sonny Boy Williamson. Nor, unlike his stable-mates, did he constantly pop up as accompanist. Just one strange session with Curtis Jones for Okeh in 1940 (cf. EPM/Blues Collection 158312), plus backing Big Bill Broonzy on his 1941 rendering of Key To The Highway, and that was all.
Demobbed in 1945, Jazz Gillum returned to the Victor studios, but, despite his efforts to adapt to modern blues, he (like most of his prewar confrères) seemed stuck in a time-warp, and his final session in 1950 did not get beyond the archives. Following which, he seems to have disappeared from the music scene. In 1959, during their trip to the “Land of the Blues” [1], French blues-specialists Jacques Demêtre and Marcel Chauvard attempted in vain to trace this apparently totally-forgotten artist: “We asked Eddie Boyd about Jazz Gillum, the old harmonica player. Although he had played with him often in the past, he had no idea of his present whereabouts. He just knew that he was sick and stayed somewhere in the West Side in a sanatorium.” Surprisingly, Big Bill Broonzy, in his richly anecdotal autobiography, makes not a single mention of Gillum, a musician he had nevertheless accompanied on every one of his recording sessions until 1945. A voluntary omission, perhaps? The result of some ill-feeling? How else can one explain why the name of Jazz Gillum should elude Big Bill in his 1954 memoirs?
It was Memphis Slim who finally stumbled across Gillum, now working as a rag-and-bone man in Hammond, just south of Chicago. Memphis took him to New York, along with singer-guitarist Arbee Stidham, and in 1961 they recorded several LPs together for Folkways and Candid. This rediscovery opened the way for a musically-diminished Jazz Gillum to make some further stage appearances — he could be heard at Chicago’s Fickle Pickle in 1963 —, but he soon disappeared once more into the murky backwaters of the ghetto. A couple of years later he was shot in the head during an argument, and he died of his wounds on 29 March 1966.
The life (like the death) of Jazz Gillum corresponds to the typical image of the bluesman: a poor black from the South, soon a harassed hobo, who suddenly encounters glory as modest as it is ephemeral, only to die in abject neglect while his compositions, become classics, live on around the world, generating big money for others.
Yet again, it is the music of the bluesman, and the music alone, that sheds some light on the personality of a virtually secret human-being, one constantly living in the shadows. Listening to Jazz Gillum, we sense the man is austere, withdrawn and resigned, while his sombre, almost expressionless voice is no more than a means of transmitting a powerful message. That message, while traditional in approach, moral content and allusion (to superstitions, for example), derives from careful observation of, and direct confrontation with, daily troubles, social problems and contemporary events. Gillum sings with a seeming detachment that surely conceals some very profound feelings, as well, no doubt, as all the accumulated rancour and bitterness of his past life. Although joy and gaiety are rarely present in his work, here is an artist who by no means neglects lively, swinging tempos, and his repertoire (country-dance tunes at first, then 8-bar, 12-bar, 16-bar — and even 9-bar! — blues) reveals an astonishing variety within what is often considered the restrictive framework of the so-called Bluebird beat.
Jazz Gillum’s harmonica playing is most unusual. Contrary to most specialists of what is also known as the mouth harp, who make abundant use of guttural effects, glissando, echo, vibrato, grouped notes and so on, he uses the instrument straight, rather in the manner of some country-music performers, playing in purely tonal fashion and following just the approximate melodic line obtainable from the diatonic instrument. Never does he stray into the domain of counter-melody — no doubt the reason he was so rarely called upon as an accompanist —, but he does make frequent solo excursions, mainly during introductions and closing choruses. This somewhat rustic approach certainly stands in fascinating contrast to the playing of his partners, most of them the very cream of the Chicago studios. It is thus well worthwhile paying attention here to the work of pianists Blind John Davis, Horace Malcolm and, above all, Joshua Altheimer, as well as to the brilliant jazz-blues contributions from the masterly George Barnes, already playing electric-guitar back in 1938. The rhythm is often given added impetus by washboard wizards Washboard Sam or Amanda Sortier, while, last but certainly not least, we have the omnipresent guitar of Big Bill Broonzy, skilfully and sensitively supporting Jazz Gillum in his every move.
Indeed, Broonzy is the man who, according to the copyright, actually composed Key To The Highway, in collaboration with pianist Charles Segar. Certainly, Segar it was who, on 23 February 1940, first recorded the piece, only to find it definitively appropriated by Jazz Gillum two and a half months later, the same Gillum who would back Big Bill for the first and last time when the blues star himself got round to recording the tune in 1941. No doubt we shall never know the entire truth about this matter of paternity, yet here is a story that unmistakably resembles that of Jazz Gillum:
“I got the key to the highway,
Billed out and bound to go,
I’m gonna leave here runnin’
Because walkin’ is most too slow.”
Adapted by Don Waterhouse from the French text of Jean BUZELIN
1935-1942
With Big Bill Broonzy, Blind Jones Davis, George Barnes, John Cameron etc...
1 - Crazy about you
2 - Sarah Jane
3 - Don't ou scandalize my name
4 - My old Lizzie
5 - Reefer head woman
6 - Gillum's windy blues
7 - Sweet sweet woman blues
8 - Boar hog blues
9 - Worried and bothered
10 - Let her go. Stavin' chain
11 - She won't treat me kind
12 - Against my will
13 - Got to reap what you so
14 - It sure had a kick
15 - Key to the highway
17 - Muddy pond blues
18 - Riley springs blues
19 - It looks bad for you
20 - I go somewhere else
21 - You are doing me wrong
22 - Down South blues
23 - From now on
24 - I couldn't help it
25 - I'm gonna leave you on the outskirts of town
Le blues n'est pas que musique. Le blues est avant tout un monde de sentiments, de questions, de colères et de résignations, d'expressions et de renoncements, de luttes intérieures, le blues est une fatalité. Il hante tout un chacun quelque soit le nom qu'on lui colle, il se manifeste de toutes les façons.
Or, cette "expression silencieuse de la solitude", par une sorte de retournement de situation, est sorti de l'être intérieur pour entrer dans la communauté (noire) et devenir un langage de communication. Ces multiples blues, extraits du plus profond de chacun, se sont ainsi retrouvés sur quelques lignes porteuses, quelques fils conducteurs. Par un processus de transmutation, ils ont été mis en musique, en chansons et ont commencé à voyager de l'un à l'autre par la grâce de ses interprètes...
Même "connu", un chanteur de blues reste largement anonyme. Il n'existe souvent que par ses chants, que par ses disques. Le morceau terminé, il s'efface, il "ravale" son blues et le porte comme un fardeau jusqu'à la prochaine occasion. Jazz Gillum est un bluesman "connu" et pourtant il n'est rien. Il semble, malgré l'importance de son nom sur les catalogues — près de 100 titres publiés par Victor/Bluebird entre 1934 et 1949 —, n'être là que pour "porter" son blues, ce blues qui ne constitua probablement que son seul cadeau de naissance.
William McKinley Gillum naît à Indianola, dans le Mississippi, le 11 septembre 1904. Orphelin très jeune, il est recueilli par un oncle, Ed Buchanan, sorte d'autorité religieuse locale qui lui mène la vie dure. Comme il se débrouille sur l'harmonium de l'église, il montre un vif intérêt pour la chose musicale et, avec ses frères, apprend quelques airs à l'harmonica. En 1911, lassé des brimades du tonton, le petit Jazz, 7 ans — pourquoi lui a-t'on donné ce surnom dès l'enfance? — fait une fugue et s'en va vivre chez des parents éloignés à Charleston (Mississippi). Il est donc confronté très tôt avec la vie errante, misérable et les humiliations. A l'âge de 11 ans, il s'embauche comme journalier agricole à Minter City puis, vers 1918, il va occuper un emploi dans un drugstore de Greenwood. Harmonica toujours en poche, il fait la manche au coin des rues. En 1923, cet "exclu" comme on dit aujourd'hui en a soupé du Deep South. Il prend ses cliques et ses claques et se dirige vers Chicago : "On était traité si mal là-bas que j'ai voulu aller quelque part où si quelqu'un vous flanquait un coup, vous pouviez riposter. Dans le Mississippi, quand quelqu'un vous frappait, vous aviez juste le droit de décamper. On ne quitte pas le Mississippi, on "s'encourt"... s'en aller en marchant, c'est vraiment trop lent", déclara-t'il en 1961 à Roy et Lola Freelace (1). C'est ce thème de la fuite, du départ forcé, de l'évasion qu'il traitera plus tard et qu'il immortalisera dans Key To The Highway.
Installé à Chicago depuis plusieurs années, Jazz Gillum traine dans les clubs du ghetto et croise Big Bill Broonzy avec qui il va commencer à jouer de temps en temps. Malgré cette introduction dans le "monde du blues", il devra encore patienter jusqu'en 1934 pour graver un premier disque grâce à Big Bill qui le met en relation avec Lester Melrose, le producteur tout puissant du marché du blues. Début 1935, Gillum participe à une réunion de studio pour Okeh d'où sortiront plusieurs disques publiés sous le nom des State Street Boys. Enfin, en avril 1936, débute une longue série d'enregistrements pour Bluebird qui s'achèvera provisoirement avec la mobilisation du chanteur en 1942 (qui fera également deux brèves incursions chez ARC sous le nom de Bill McKinley).
Durant cette intense période discographique, on ne sait paradoxalement pas grand-chose sur les activités d'un bluesman qui ne semble pas avoir tenu les tous premiers rôles chez Bluebird contrairement à Walter Davis, Washboard Sam, Tampa Red ou Sonny Boy Williamson. Jazz Gillum apparait également très peu comme accompagnateur : une curieuse séance pour Curtis Jones en 1940 sur Okeh (cf. EPM/Blues Collection 158312) et la version que donna Broonzy de Key To The Highway en 1941, c'est tout.
Lorsqu'il est libéré en 1945, Jazz Gillum reprend régulièrement le chemin des studios Victor, mais malgré certaines adaptations au blues moderne, il marque le pas à l'instar de la plupart de ses anciens confrères et sa dernière séance, en 1950, restera dans les tiroirs. Puis il semble disparaître rapidement de la scène musicale. En 1959, lors de leur "Voyage au pays du Blues", Jacques Demêtre et Marcel Chauvard chercheront, en vain, à obtenir des nouvelles d'un bluesman dont personne ne semble se préoccuper beaucoup : "Nous interrogeons Eddie Boyd sur le sort du chanteur et harmoniciste vétéran Jazz Gillum, mais bien qu'Eddie ait souvent joué avec lui autrefois, il ignore complètement ce que Jazz (comme il l'appelle) a pu devenir. Tout au plus croit-il qu'il est gravement malade et hospitalisé dans un sanatorium du West Side." (2) Il est par ailleurs étrange de constater que Big Bill Broonzy, dans son autobiographie pourtant riche en anecdotes concernant ses collègues et amis, ne dise pas un mot sur un musicien qu'il a accompagné durant toutes ses séances d'enregistrements jusqu'en 1945! Oubli volontaire? contencieux? car comment expliquer que le nom de Jazz Gillum ait disparu de la mémoire du grand Bill en 1954?
Incidemment c'est Memphis Slim qui retrouve un Gillum chiffonier à Hammond, au sud de Chicago. Il le fait venir à New York en compagnie du chanteur-guitariste Arbee Stidham et, ensemble, ils enregistrent plusieurs microsillons en 1961 pour Folkways et Candid. Cette redécouverte permet à Jazz Gillum, aux moyens musicaux pourtant fort diminués, de refaire quelques apparitions scéniques — on l'entend en 1963 au Fickle Pickle à Chicago — mais il rejoint bien vite les arrières cours du ghetto où, après avoir reçu une balle dans la tête au cours d'une dispute, il succombera à ses blessures le 29 mars 1966.
La vie (comme la mort) de Jazz Gillum semble bien typique de l'image d'Epinal que le blues véhicule : le pauvre Noir du Sud, toujours sur la route, en bute aux brimades, puis récoltant un brin de gloire locale et fugace avant de mourir dans les bas-fonds tandis que ses compositions, devenues des classiques, sont reprises dans le monde entier.
Encore une fois, c'est l'oeuvre du bluesman, et elle seule, qui peut nous éclairer sur la personnalité d'un être qu'il n'est pas facile de cerner, que l'on sent toujours en retrait. A entendre chanter Jazz Gillum, nous le croyons volontiers austère, renfermé et résigné alors que sa voix, avare des effets sensibles, grave et sombre, ne sert que de relais, au second degré, à des thèmes forts, à la fois traditionnels quant à leur approche, leur morale, leurs allusions (par exemple aux superstitions), et découlant d'une observation et d'une confrontation quotidiennes des situations contemporaines (notamment sociales) et des évènements d'actualité. Gillum chante avec un détachement apparent qui semble masquer une grande profondeur de sentiments et aussi, sans doute, de la rancoeur et de l'amertume vis à vis des difficultés de son existence passée. Si la joie perce rarement dans son chant, il ne néglige pas pour autant les tempos vifs et swinguants et une vue d'ensemble de son répertoire (airs de country dance au début, blues de huit, douze, seize ou... neuf mesures) montre une étonnante variété dans un cadre, le Bluebird beat, qu'on dit souvent monolytique.
Son jeu d'harmonica est des plus singuliers. Contrairement à la plupart des spécialistes de la "musique à bouche" qui triturent l'objet dans tous les sens à l'aide d'effets gutturaux, de glissandos, d'écho, de vibrato, de sons groupés, etc., Jazz Gillum utilise son instrument un peu à la manière de certains joueurs de country music, de façon straight, exclusivement tonale et en suivant la ligne mélodique approximative que permet l'instrument diatonique. Il n'exécute jamais de contrechants — c'est sans doute pour cette raison qu'on ne l'utilise pas comme accompagnateur — mais s'exprime très largement en solo, lors des introductions et des chorus finals. Ses interventions "rustiques" tranchent d'ailleurs, et c'est tout l'intérêt du contraste, avec celles de ses partenaires, lesquels font partie de la crème des bluesmen qui écumait alors les studios. On suivra ainsi avec une vive attention les solos et contrechants des pianistes Blind John Davis, Horace Malcolm et, surtout, Joshua Altheimer, de même que les brillantes interventions jazzy/bluesy stupéfiantes de maîtrise de George Barnes à la guitare électrique en 1938, tandis que le rythme est parfois souligné par Washboard Sam ou tissé par Amanda Sortier qui fait de la dentelle avec ses dés à coudre! Et, au milieu de tout cela et en osmose complète avec le chanteur-harmoniciste, le suivant pas à pas, l'omniprésent Big Bill Broonzy.
C'est Broonzy qui, copyright oblige, est considéré comme étant l'auteur présumé de Key To The Highway avec le pianiste Charles Segar. Ce dernier enregistra le 23 février 1940, le fameux thème que s'appropriera de manière définitive Jazz Gillum deux mois et demi plus tard; Gillum qui soufflera pour la seule et unique fois en tant que sideman derrière Big Bill lorsque celui-ci gravera à son tour le morceau sur disque un an après.
Sans doute ne connaîtra-t'on jamais la clef d'une histoire qui ressemble pourtant si fort à celle de Jazz Gillum :
J'ai pris la clef pour la grand-route,
Oui, je suis décidé et je dois partir,
Je m'en vais d'ici, je m'en vais en courant,
Parce que marcher, c'est beaucoup trop lent." (1)
Jean Buzelin
Nous remercions Jacques Demêtre qui a bien voulu nous prêter quelques anciens disques.
(1) Cité dans Giles Oakley, Devil's Music/Une histoire du Blues (Denoël, Paris 1985).
(2) Jacques Demêtre et Marcel Chauvard, Voyage au Pays du Blues (CLARB/Soul Bag, Paris 1994).
The blues is more than just music, it’s a whole world in itself. Ruled by such deepdown emotions as love, anger, doubt and despair, it is, too, a world that concerns us all. Among America’s black community, however, the blues — transformed into song and set to music — fought free of the confines of man’s inner soul to become a valid means of expression, a useful mode of communication.
Yet even “well-known” blues singers have tended to remain anonymous, shadowy figures. They existed through their songs and their records, but, once the performance over, they seemed to pack up their blues and bear them as a burden until the next occasion, in the meantime simply disappearing into a universe of their own. Jazz Gillum was a “well-known” bluesman, and yet he was nobody. Despite the importance of his name in blues catalogues — he recorded almost 100 published titles for Victor/Bluebird in the period 1934 to 1949 —, it seems he existed for no other purpose than to transmit his blues, the blues which no doubt stalked him from birth.
William McKinley Gillum was born in Indianola, Mississippi, on 11 September 1904. Orphaned as a young child, he was taken in by his uncle, Ed Buchanan, a local church deacon who imposed strict discipline upon his charge. The youngster, who had already shown a keen interest in the church harmonium, soon revealed a distinctly musical bent, and along with his brothers he learned to play several tunes on harmonica. In 1911, weary of his uncle’s harsh treatment, the seven-year old “Jazz” (a curious nickname for a child) fled home to go and live with some distant relatives in Charleston, Mississippi. Despite his tender years, he thus already found himself exposed to a precarious life of hoboing and humiliation. At the age of eleven, he began work as a field hand in Minter City, then, around 1918, took on a job in a Greenwood drugstore. His harmonica ever handy, in his spare time he did not hesitate to perform in the streets. By 1923, thoroughly weary of the ways of the Deep South, he headed for Chicago, a city, he believed, where a man could look after himself instead of having to yield ignominiously to blows and insults. “You don’t just walk away from Mississippi,” he once declared, “you run, ‘cos walkin’s too slow!” It was this theme of enforced flight that would later inspire the immortal Key To The Highway.
Once settled in Chicago, Jazz Gillum started hanging out in the ghetto clubs. Here he came across Big Bill Broonzy, with whom he began to play the occasional date. But it would be 1934 before he got the chance to cut his first record, again thanks to Broonzy, who put him in touch with Lester Melrose, the most powerful producer in a cut-throat blues market. In early 1935, Gillum took part in a session for Okeh that produced several sides subsequently released under the name of the State Street Boys. April 1936 at last witnessed the start of a long series of recordings under his own name for the Bluebird label, a series temporarily interrupted in 1942 when the singer (who also undertook two brief sessions for ARC under the name of Bill McKinley) was drafted for military service.
Despite this period of intense recording activity, Gillum is a bluesman about whom we know curiously little, except that he seems to have occupied a less illustrious role for Bluebird than such colleagues as Walter Davis, Washboard Sam, Tampa Red and Sonny Boy Williamson. Nor, unlike his stable-mates, did he constantly pop up as accompanist. Just one strange session with Curtis Jones for Okeh in 1940 (cf. EPM/Blues Collection 158312), plus backing Big Bill Broonzy on his 1941 rendering of Key To The Highway, and that was all.
Demobbed in 1945, Jazz Gillum returned to the Victor studios, but, despite his efforts to adapt to modern blues, he (like most of his prewar confrères) seemed stuck in a time-warp, and his final session in 1950 did not get beyond the archives. Following which, he seems to have disappeared from the music scene. In 1959, during their trip to the “Land of the Blues” [1], French blues-specialists Jacques Demêtre and Marcel Chauvard attempted in vain to trace this apparently totally-forgotten artist: “We asked Eddie Boyd about Jazz Gillum, the old harmonica player. Although he had played with him often in the past, he had no idea of his present whereabouts. He just knew that he was sick and stayed somewhere in the West Side in a sanatorium.” Surprisingly, Big Bill Broonzy, in his richly anecdotal autobiography, makes not a single mention of Gillum, a musician he had nevertheless accompanied on every one of his recording sessions until 1945. A voluntary omission, perhaps? The result of some ill-feeling? How else can one explain why the name of Jazz Gillum should elude Big Bill in his 1954 memoirs?
It was Memphis Slim who finally stumbled across Gillum, now working as a rag-and-bone man in Hammond, just south of Chicago. Memphis took him to New York, along with singer-guitarist Arbee Stidham, and in 1961 they recorded several LPs together for Folkways and Candid. This rediscovery opened the way for a musically-diminished Jazz Gillum to make some further stage appearances — he could be heard at Chicago’s Fickle Pickle in 1963 —, but he soon disappeared once more into the murky backwaters of the ghetto. A couple of years later he was shot in the head during an argument, and he died of his wounds on 29 March 1966.
The life (like the death) of Jazz Gillum corresponds to the typical image of the bluesman: a poor black from the South, soon a harassed hobo, who suddenly encounters glory as modest as it is ephemeral, only to die in abject neglect while his compositions, become classics, live on around the world, generating big money for others.
Yet again, it is the music of the bluesman, and the music alone, that sheds some light on the personality of a virtually secret human-being, one constantly living in the shadows. Listening to Jazz Gillum, we sense the man is austere, withdrawn and resigned, while his sombre, almost expressionless voice is no more than a means of transmitting a powerful message. That message, while traditional in approach, moral content and allusion (to superstitions, for example), derives from careful observation of, and direct confrontation with, daily troubles, social problems and contemporary events. Gillum sings with a seeming detachment that surely conceals some very profound feelings, as well, no doubt, as all the accumulated rancour and bitterness of his past life. Although joy and gaiety are rarely present in his work, here is an artist who by no means neglects lively, swinging tempos, and his repertoire (country-dance tunes at first, then 8-bar, 12-bar, 16-bar — and even 9-bar! — blues) reveals an astonishing variety within what is often considered the restrictive framework of the so-called Bluebird beat.
Jazz Gillum’s harmonica playing is most unusual. Contrary to most specialists of what is also known as the mouth harp, who make abundant use of guttural effects, glissando, echo, vibrato, grouped notes and so on, he uses the instrument straight, rather in the manner of some country-music performers, playing in purely tonal fashion and following just the approximate melodic line obtainable from the diatonic instrument. Never does he stray into the domain of counter-melody — no doubt the reason he was so rarely called upon as an accompanist —, but he does make frequent solo excursions, mainly during introductions and closing choruses. This somewhat rustic approach certainly stands in fascinating contrast to the playing of his partners, most of them the very cream of the Chicago studios. It is thus well worthwhile paying attention here to the work of pianists Blind John Davis, Horace Malcolm and, above all, Joshua Altheimer, as well as to the brilliant jazz-blues contributions from the masterly George Barnes, already playing electric-guitar back in 1938. The rhythm is often given added impetus by washboard wizards Washboard Sam or Amanda Sortier, while, last but certainly not least, we have the omnipresent guitar of Big Bill Broonzy, skilfully and sensitively supporting Jazz Gillum in his every move.
Indeed, Broonzy is the man who, according to the copyright, actually composed Key To The Highway, in collaboration with pianist Charles Segar. Certainly, Segar it was who, on 23 February 1940, first recorded the piece, only to find it definitively appropriated by Jazz Gillum two and a half months later, the same Gillum who would back Big Bill for the first and last time when the blues star himself got round to recording the tune in 1941. No doubt we shall never know the entire truth about this matter of paternity, yet here is a story that unmistakably resembles that of Jazz Gillum:
“I got the key to the highway,
Billed out and bound to go,
I’m gonna leave here runnin’
Because walkin’ is most too slow.”
Adapted by Don Waterhouse from the French text of Jean BUZELIN
JAZZ GILLUM
Le blues n'est pas que musique. Le blues est avant tout un monde de sentiments, de questions, de colères et de résignations, d'expressions et de renoncements, de luttes intérieures, le blues est une fatalité. Il hante tout un chacun quelque soit le nom qu'on lui colle, il se manifeste de toutes les façons.
Or, cette "expression silencieuse de la solitude", par une sorte de retournement de situation, est sorti de l'être intérieur pour entrer dans la communauté (noire) et devenir un langage de communication. Ces multiples blues, extraits du plus profond de chacun, se sont ainsi retrouvés sur quelques lignes porteuses, quelques fils conducteurs. Par un processus de transmutation, ils ont été mis en musique, en chansons et ont commencé à voyager de l'un à l'autre par la grâce de ses interprètes...
Même "connu", un chanteur de blues reste largement anonyme. Il n'existe souvent que par ses chants, que par ses disques. Le morceau terminé, il s'efface, il "ravale" son blues et le porte comme un fardeau jusqu'à la prochaine occasion. Jazz Gillum est un bluesman "connu" et pourtant il n'est rien. Il semble, malgré l'importance de son nom sur les catalogues — près de 100 titres publiés par Victor/Bluebird entre 1934 et 1949 —, n'être là que pour "porter" son blues, ce blues qui ne constitua probablement que son seul cadeau de naissance.
William McKinley Gillum naît à Indianola, dans le Mississippi, le 11 septembre 1904. Orphelin très jeune, il est recueilli par un oncle, Ed Buchanan, sorte d'autorité religieuse locale qui lui mène la vie dure. Comme il se débrouille sur l'harmonium de l'église, il montre un vif intérêt pour la chose musicale et, avec ses frères, apprend quelques airs à l'harmonica. En 1911, lassé des brimades du tonton, le petit Jazz, 7 ans — pourquoi lui a-t-on donné ce surnom dès l'enfance? — fait une fugue et s'en va vivre chez des parents éloignés à Charleston (Mississippi). Il est donc confronté très tôt avec la vie errante, misérable et les humiliations. A l'âge de 11 ans, il s'embauche comme journalier agricole à Minter City puis, vers 1918, il va occuper un emploi dans un drugstore de Greenwood. Harmonica toujours en poche, il fait la manche au coin des rues. En 1923, cet "exclu" comme on dit aujourd'hui en a soupé du Deep South. Il prend ses cliques et ses claques et se dirige vers Chicago : "On était traité si mal là-bas que j'ai voulu aller quelque part où si quelqu'un vous flanquait un coup, vous pouviez riposter. Dans le Mississippi, quand quelqu'un vous frappait, vous aviez juste le droit de décamper. On ne quitte pas le Mississippi, on "s'encourt"... s'en aller en marchant, c'est vraiment trop lent", déclara-t'il en 1961 à Roy et Lola Freelace (1). C'est ce thème de la fuite, du départ forcé, de l'évasion qu'il traitera plus tard et qu'il immortalisera dans Key To The Highway.
Installé à Chicago depuis plusieurs années, Jazz Gillum traine dans les clubs du ghetto et croise Big Bill Broonzy avec qui il va commencer à jouer de temps en temps. Malgré cette introduction dans le "monde du blues", il devra encore patienter jusqu'en 1934 pour graver un premier disque grâce à Big Bill qui le met en relation avec Lester Melrose, le producteur tout puissant du marché du blues. Début 1935, Gillum participe à une réunion de studio pour Okeh d'où sortiront plusieurs disques publiés sous le nom des State Street Boys. Enfin, en avril 1936, débute une longue série d'enregistrements pour Bluebird qui s'achèvera provisoirement avec la mobilisation du chanteur en 1942 (qui fera également deux brèves incursions chez ARC sous le nom de Bill McKinley).
Durant cette intense période discographique, on ne sait paradoxalement pas grand-chose sur les activités d'un bluesman qui ne semble pas avoir tenu les tous premiers rôles chez Bluebird contrairement à Walter Davis, Washboard Sam, Tampa Red ou Sonny Boy Williamson. Jazz Gillum apparait également très peu comme accompagnateur : une curieuse séance pour Curtis Jones en 1940 sur Okeh (cf. EPM/Blues Collection 158312) et la version que donna Broonzy de Key To The Highway en 1941, c'est tout.
Lorsqu'il est libéré en 1945, Jazz Gillum reprend régulièrement le chemin des studios Victor, mais malgré certaines adaptations au blues moderne, il marque le pas à l'instar de la plupart de ses anciens confrères et sa dernière séance, en 1950, restera dans les tiroirs. Puis il semble disparaître rapidement de la scène musicale. En 1959, lors de leur "Voyage au pays du Blues", Jacques Demêtre et Marcel Chauvard chercheront, en vain, à obtenir des nouvelles d'un bluesman dont personne ne semble se préoccuper beaucoup : "Nous interrogeons Eddie Boyd sur le sort du chanteur et harmoniciste vétéran Jazz Gillum, mais bien qu'Eddie ait souvent joué avec lui autrefois, il ignore complètement ce que Jazz (comme il l'appelle) a pu devenir. Tout au plus croit-il qu'il est gravement malade et hospitalisé dans un sanatorium du West Side." (2) Il est par ailleurs étrange de constater que Big Bill Broonzy, dans son autobiographie pourtant riche en anecdotes concernant ses collègues et amis, ne dise pas un mot sur un musicien qu'il a accompagné durant toutes ses séances d'enregistrements jusqu'en 1945! Oubli volontaire? contencieux? car comment expliquer que le nom de Jazz Gillum ait disparu de la mémoire du grand Bill en 1954?
Incidemment c'est Memphis Slim qui retrouve un Gillum chiffonier à Hammond, au sud de Chicago. Il le fait venir à New York en compagnie du chanteur-guitariste Arbee Stidham et, ensemble, ils enregistrent plusieurs microsillons en 1961 pour Folkways et Candid. Cette redécouverte permet à Jazz Gillum, aux moyens musicaux pourtant fort diminués, de refaire quelques apparitions scéniques — on l'entend en 1963 au Fickle Pickle à Chicago — mais il rejoint bien vite les arrières cours du ghetto où, après avoir reçu une balle dans la tête au cours d'une dispute, il succombera à ses blessures le 29 mars 1966.
La vie (comme la mort) de Jazz Gillum semble bien typique de l'image d'Epinal que le blues véhicule : le pauvre Noir du Sud, toujours sur la route, en bute aux brimades, puis récoltant un brin de gloire locale et fugace avant de mourir dans les bas-fonds tandis que ses compositions, devenues des classiques, sont reprises dans le monde entier.
Encore une fois, c'est lœuvre du bluesman, et elle seule, qui peut nous éclairer sur la personnalité d'un être qu'il n'est pas facile de cerner, que l'on sent toujours en retrait. A entendre chanter Jazz Gillum, nous le croyons volontiers austère, renfermé et résigné alors que sa voix, avare des effets sensibles, grave et sombre, ne sert que de relais, au second degré, à des thèmes forts, à la fois traditionnels quant à leur approche, leur morale, leurs allusions (par exemple aux superstitions), et découlant d'une observation et d'une confrontation quotidiennes des situations contemporaines (notamment sociales) et des évènements d'actualité. Gillum chante avec un détachement apparent qui semble masquer une grande profondeur de sentiments et aussi, sans doute, de la rancoeur et de l'amertume vis à vis des difficultés de son existence passée. Si la joie perce rarement dans son chant, il ne néglige pas pour autant les tempos vifs et swinguants et une vue d'ensemble de son répertoire (airs de country dance au début, blues de huit, douze, seize ou... neuf mesures) montre une étonnante variété dans un cadre, le Bluebird beat, qu'on dit souvent monolytique.
Son jeu d'harmonica est des plus singuliers. Contrairement à la plupart des spécialistes de la "musique à bouche" qui triturent l'objet dans tous les sens à l'aide d'effets gutturaux, de glissandos, d'écho, de vibrato, de sons groupés, etc., Jazz Gillum utilise son instrument un peu à la manière de certains joueurs de country music, de façon straight, exclusivement tonale et en suivant la ligne mélodique approximative que permet l'instrument diatonique. Il n'exécute jamais de contrechants — c'est sans doute pour cette raison qu'on ne l'utilise pas comme accompagnateur ¬— mais s'exprime très largement en solo, lors des introductions et des chorus finals. Ses interventions "rustiques" tranchent d'ailleurs, et c'est tout l'intérêt du contraste, avec celles de ses partenaires, lesquels font partie de la crème des bluesmen qui écumait alors les studios. On suivra ainsi avec une vive attention les solos et contrechants des pianistes Blind John Davis, Horace Malcolm et, surtout, Joshua Altheimer, de même que les brillantes interventions jazzy/bluesy stupéfiantes de maîtrise de George Barnes à la guitare électrique en 1938, tandis que le rythme est parfois souligné par Washboard Sam ou tissé par Amanda Sortier qui fait de la dentelle avec ses dés à coudre! Et, au milieu de tout cela et en osmose complète avec le chanteur-harmoniciste, le suivant pas à pas, l'omniprésent Big Bill Broonzy.
C'est Broonzy qui, copyright oblige, est considéré comme étant l'auteur présumé de Key To The Highway avec le pianiste Charles Segar. Ce dernier enregistra le 23 février 1940, le fameux thème que s'appropriera de manière définitive Jazz Gillum deux mois et demi plus tard; Gillum qui soufflera pour la seule et unique fois en tant que sideman derrière Big Bill lorsque celui-ci gravera à son tour le morceau sur disque un an après.
Sans doute ne connaîtra-t-on jamais la clef d'une histoire qui ressemble pourtant si fort à celle de Jazz Gillum :
J'ai pris la clef pour la grand-route,
Oui, je suis décidé et je dois partir,
Je m'en vais d'ici, je m'en vais en courant,
Parce que marcher, c'est beaucoup trop lent." (1)
Jean Buzelin