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St. LOUIS BLUES
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BLUES FROM ST. LOUIS ORIGINAL RECORDINGS
1 MR. JOHNSON'S BLUES
Loonie Johnson
2 CAIRO BLUES
Henry Spaulding
3 BUILT RIGHT ON THE GROUND
Teddy Darby
4 FIRE DETECTIVE BLUES
Dobby Bragg
5 CAN'T MAKE ANOTHER DAY
Edith Johnson
6 THE DUCK-YAS-YAS-YAS
Jales "Stump" Johnson
7 BLACK MEN BLUES
Mary Johnson
8 IT HURTS SO GOOD
Ike Rodgers
9 DEEP MORGAN BLUES
Henry Brown
10 BLACK AND EVIL BLUES
Alice Moore
11 DON'T PUT THAT THING ON ME
Clifford Gibson
12 KEEP IT CLEN N°2
Charley Jordan
13 HENRY'S WORRIED BLUES
Henry Townsend
14 BAREFOOT BLUES
Jelly Jaw Short
15 HARVEST MOON BLUES
Charles "Speck" Partum
16 AS TRUE AS I'VE BEEN TO YOU
Willie Kelly
17 I HAVE MADE UP MY MIND
Jimmy Oden
18 AIN'T IT A PITY AND A SHAME?
Peetie Wheatstraw
19 SHAKE BULLY STOMP
Peetie Wheatstraw
20 DON'T TAKE AWAY MY P.W.A.
Jimmie Gordon
21 EVERYDAY I HAVE THE BLUES
Pine Top
22 SOMEBODY'S BEEN BORROWING THAT STUFF
Big Joe Williams
23 SWEET SIXTEEN
Walter Davis
24 THE ONLY WOMAN
Walter Davis
SAINT LOUIS BLUES
Saint Louis Blues. L'évocation de ce nom seul s'accompagne dans toutes les têtes de quelques mesures de musique, celles d'un illustre morceau portant ce titre composé par W. C. Handy et édité il y a plus de quatre-vingts ans. Preuve que, lorsque Handy séjourna à St.Louis en 1892, quelque chose qui devait ressembler fortement au blues existait déjà bel et bien dans cette grande ville du Midwest située au confluent du Mississippi et duBien avant le début du XXe siècle, l'activité musicale est très importante à St.Louis et l'on y entend dans les rues chanteurs et chanteuses de songs. Mais, dans les théatres et les endroits plus chics de la classe moyenne noire, c'est le ragtime qui est le style en vogue à l'époque. C'est de là que part une forte tradition pianistique qui, après l'extinction du ragtime, se prolongera underground, (car les formes comme les origines et le contexte social ont peu de points communs), avec le blues durant les années 20 et 30.
Côté Missouri, St.Louis, fondée par les Français en 1764, est une ville prospère qui comprend un fort pourcentage de population noire largement regroupée dans le quartier des digues. Ce ghetto sordide est bien sûr le terrain idéal du vice, du banditisme et autres activités parallèles que la misère engendre. Son repère est Morgan Street, "l'infâme" Deep Morgan qu'a si bien rendu le pianiste Henry Brown. Là le blues, évidemment, a élu domicile et c'est sur ce terreau que ses plus belles branches ont poussé. Important centre industriel, St.Louis attire pendant la première guerre une nombreuse main d'œuvre de couleur que l'on concentre principalement à East St.Louis, sur la rive gauche du Mississippi, côté Illinois, sorte de banlieue minable où, entretenue par un climat de violence, de meurtres et de désordre généralisé, la tension qui règne provoque de tragiques et sanglants affrontements raciaux en 1917 dont la ville portera longtemps les traces.
Terminus du traffic fluvial venant de la Nouvelle-Orléans, carrefour important situé au nord de Memphis, St.Louis continue à recevoir après la guerre de nombreux migrants noirs venus du Sud. Certains n'y font qu'une halte et poursuivent leur route vers Chicago ou Detroit, d'autres s'y fixent et grossissent les rangs de la population d'East St.Louis tandis que le blues se développe dans le Valley District, haut lieu de la corruption et de la contrebande en cette période de prohibition. Là comme en face, à Morgan Street, la musique résonne dans de nombreuses boîtes, night-clubs et tripots en tout genre qui fournissent du travail aux bluesmen, les soirées privées, les house rent parties et la rue faisant le reste... Ce brassage de population urbaine et rurale conduit la ville à s'affirmer, dès le début des années 20, comme l'un des principaux centres du city blues. Les plus grandes vedettes, Bessie Smith et Ethel Waters en tête, lors de leurs tournées, ne manquent pas de s'arrêter à St.Louis et se produire au Booker T. Washington Theatre. Cela crée une dynamique qui va contribuer à l'émergence d'une forme de blues originale vivifiée par la rencontre et l'interaction particulièrement réussie entre le piano, instrument "de la ville", et la guitare qui véhicule encore les sons campagnards du Tennessee, du Mississippi et de l'Arkansas. Les deux instruments semblent fonctionner ensemble à l'image des quartiers noirs de St.Louis et East St.Louis en étroite relation l'un l'autre dans un vaste va-et-vient musical qui ne cesse de franchir le fleuve.
L'originalité du blues de St.Louis provient en grande partie de cette assimilation des traditions rurales à l'intérieur des formes "classiques" urbaines. De caractères et de tempéraments aussi différents soient-ils, les bluesmen de St.Louis se rejoignent dans un même registre, souvent sombre — les tempos sont plutôt lents, la musique fortement accrochée aux lourdes réalités quotidiennes — qui rend crûment compte du terrain difficile sur lequel le blues s'exprime. C'est aussi un signe évident de la cohésion de leur communauté; d'ailleurs l'examen un peu attentif des séances d'enregistrements montre bien que les bluesmen s'accompagnent volontiers et se "soutiennent" les uns les autres. En l'absence de studios à St.Louis même, ils sont convoqués ensemble à Chicago ou ailleurs et, des années après, même si leurs carrières les ont éloigné, ils aiment se retrouver car ils savent qu'ils vibrent sur une seule longueur d'onde.
Paradoxalement, le seul bluesman qui enregistra à St.Louis lors de séances organisées par Okeh fut le grand musicien néo-orléanais Lonnie Johnson (1889 ou 94 ou 99-1970) qui effectuait de nombreux allers-retours sur les riverboats qui sillonnaient le Mississippi. Membre alors des Charles Creath's Jazz-O-Maniacs, il profite d'une séance de cet orchestre local pour graver ses premiers disques en 1925 au violon et à la guitare. Cette présence de Johnson à St.Louis durant les années 20 — il s'y produit notamment avec son frère, le pianiste James "Steady Roll" Johnson — n'est pas sans orienter de façon significative la musique locale. Aussi différents soient-ils, deux chanteurs-guitaristes comme Clifford Gibson (1901-1963) et Henry Townsend (né en 1909) profitent de son influence.
Le premier, originaire du Kentucky, reste un musicien insaisissable, guitariste virtuose s'accompagnant de contrechants complexes, tandis que le second laisse percer une étonnante maturité dans la série de pièces exceptionnelles qu'il grave dans sa vingtième année. Avec une conception personnelle de la progression harmonique alors qu'il reste dans le cadre rigoureux du blues, "Mule" Townsend, natif du Mississippi, va devenir l'archétype du bluesman de St.Louis, ville qu'il n'a jamais quitté, accompagnant les pianistes locaux comme Roosevelt Sykes et Walter Davis (il jouait lui-même fort bien du piano).
Townsend avait également fréquenté un chanteur-guitariste mythique, Henry Spaulding (vers 1905-v.1938) qui ne grava qu'un seul disque en 1929 (Cairo Blues qui deviendra un classique) mais fut un musicien influent auprès de guitaristes d'origine plus rurale comme Blind Teddy Darby (1906-?) ou Hi Henry Brown; tandis qu'échappent largement à l'urbanisation les guitaristes originaires du Delta J.D. "Jelly Jaw" Short (1902-1962) et surtout le fameux Big Joe Williams (1903-1982), bluesman inclassable dont la guitare à 9 cordes a fait le tour du monde et qui n'a jamais fait que jouer sa propre musique, tant à St.Louis, qui fut son principal port d'attache entre 1928 et 1949, que partout ailleurs.
En fait, le chanteur-guitariste le plus "typé St.Louis" en dehors de Townsend fut Charley Jordan (v.1890-1954), originaire de l'Arkansas, fabricant d'alcool de contrebande durant la prohibition et infirme (séquelles d'une fusillade), lequel avait élaboré un style à mi-chemin entre tradition et modernité qui se maria particulièrement bien avec le jeu de piano simple et charpenté de Peetie Wheatstraw dont il fut le plus fidèle complice.
Personnage haut en couleurs, Peetie Wheatstraw, né William Bunch (1902-1941), était passé par le Tennessee et l'Arkansas avant d'atterrir dans les tavernes d'East St.Louis en 1925 et de faire de ces bas-fonds son quartier général. C'est là qu'était connu comme le loup blanc ce "phénomène" qui se surnommait lui-même "Le gendre du Diable" (The Devil's Son-In-Law). Chanteur désinvolte, railleur et arrogant, à l'air rigolard et narquois, Wheatstraw se créa une sorte de personnage mythomane : caïd, fanfaron, fier-à-bras, bagarreur, buveur de whisky, coureur de jupons, blasé et revenu de tout qui masquait jusqu'à la caricature sa véritable personnalité, peut-être trop lucide et désabusée pour apparaître telle quelle. Ses blues cyniques et sarcastiques qu'il chante avec une indifférence étudiée obtinrent un succès considérable dans les années 30 bien au-delà de St.Louis.
Cette vogue des duos piano/guitare qui marque le blues urbain d'avant-guerre et que l'on retrouve également à Chicago avait été lancée par Leroy Carr et Scrapper Blackwell dont les disques avaient fait le tour de toutes les communautés noires des Etats-Unis. Wheatstraw et Jordan, Walter Davis et Townsend, les frères Milton et Aaron Sparks (1908-?) développèrent la formule tandis que, plus indépendants, d'autres pianistes firent aussi le blues de St.Louis. Parmi eux Wesley Wallace, Sylvester Palmer, Buck McFarland, Eddie Miller et plus particulièrement Henry Brown (1906-1981) et Roosevelt Sykes (1906-1983). Le premier, musicien introverti à l'accompagnement "économique" mais on ne peut plus bluesy, sût traduire à merveille l'atmosphère lourde de la ville tant dans ses soli de piano que dans ses accompagnements de chanteuses, lesquels se chargent d'une expressivité supplémentaire lorsque le tromboniste gutbucket Ike Rodgers (v.1903-1941) y ajoute ses grondements. Roosevelt Sykes semble au contraire l'exact opposé du taciturne Brown qui ne quitta jamais St.Louis. Personnage dynamique, coloré, à la rondeur joviale, il représente le pianiste barrelhouse nourri à la fois par les rudes syncopes polyrythmiques du Mississippi et par la puissance et l'entrain du boogie woogie. Tant pour lui-même — son oeuvre est considérable — qu'au service des autres, il fait preuve d'une grande efficacité. Pianiste, il joue avec à peu près tous les chanteurs locaux dont Charlie McFadden et son fidèle ami James B. Oden dit St.Louis Jimmy (1905-1977); découvreur de talents, il déniche Walter Davis qui végétait dans les cabarets minables d'East St.Louis, accompagne ses débuts et le conduit vers le succès. Le rôle de talent scout de Sykes renvoie à celui, primordial, d'un certain Jesse Johnson, propriétaire d'un magasin de disques, politicien et promotteur de spectacles — il a un temps managé Louis Armstrong et comptera dans ses relations Dean Martin et Frank Sinatra! — qui organise largement la scène "professionnelle" du blues à St.Louis.Son jeune frère James "Stump" Johnson (1902-1969) décrochera la timbale avec The Duck-Yas-Yas-Yas repris un peu partout dans le pays, et son épouse Edith Johnson, née North (1903-1988) chantera The Honey Dripper, immortalisant ainsi le surnom de Roosevelt Sykes.
Les chanteuses locales de blues "classique", avec leurs voix plaintives, nasillardes, leur chant mélancolique et intimiste, leurs tempos désespérément lents, évoquent bien plus l'atmosphère glauque des cabarets pauvres et vétustes que les théatres rutilants où paraissent les divas. Si la notoriété des Luella Miller, Dorothea Trowbridge ou Bessie Mae Smith (un temps l'épouse de Big Joe Williams) reste confidentielle, Mary Johnson (1905-v.1970), après son mariage avec Lonnie, obtient un certain succès avec Black Men Blues tandis que la plus attachante de toutes, Little Alice Moore (1903-v.1950) réalise, à partir de Black And Evil Blues, une assez belle carrière discographique. Toutes deux réussiront à franchir les années noires de la Grande Dépression, particulièrement ressenties dans des villes industrielles comme St.Louis avant que l'administration Roosevelt mette en place, à partir de 1934, un certain nombre d'opérations et d'organismes permettant l'embauche comme la Public Work Administration (P.W.A.) que chante Jimmie Gordon (né à St.Louis vers 1906).
On a beau faire, pour peu qu'on y ait simplement trempé le bout de ses doigts, le blues de St.Louis colle à la peau. Longtemps, après l'écoute, reste imprégné le chant mélancolique et nostalgique de Walter Davis (1912-1964), longtemps résonnent les notes profondes jouées simplement par ce grand bluesman, symbole, s'il en faut un, à la fois de la fragilité — son inexistence dans la société américaine triomphante — et de la force — son instinct de vie — d'un art populaire insaisissable et pourtant si présent cinquante ou soixante ans après.
Jean Buzelin