Bessie SMITH / SINGS THE BLUES
BLUES COLLECTION HISTORIC RECORDINGS
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BESSIE SMITH SINGS THE BLUES
1 BLACK WATER BLUES 3'17''
Smith
2 JAILHOUSE BLUES 3'23''
Smith / Williams
3 WEEPING WILLOW BLUES 3'07''
Carter
4 ST. LOUIS BLUES 3'09''
Handy
5 COLD IN HAND BLUES 3'12''
Gee / Longshaw
6 I USED TO BE YOUR SWEET MAMA 2'48''
Miller / Longshaw
7 EMPTY BED BLUES (PARTS 1-2) 6'19''
Johnson
8 ALEXANDER'S RAGTIME BAND 3'03''
Berlin
9 CARELESS LOVE 3'28''
Handy
10 CAKE WALKIN' BABIES FOR HOME 3'11''
Smith - Troy / Williams
11 AFTER YOU'VE GONE 2'59'
Creamer / Laylon
12 TROMBONE CHOLLY 3'13''
Brooks
13 ME AND MY GIN 2'52''
Burke
14 SAFETY MAMA 3'24''
Smith
15 IN THE HOUSE BLUES 3'00''
Smith
16 NOBODY KNOWS YOU WHEN YOU'R DOWN AND OUT 2'59''
Cox
17 TAKE IT RIGHT BACK 3'22''
Gray
18 HE'S GOT ME GOING 3'14''
Gray
19 KITCHEN MAN 2'57''
Razaf
20 DO YOUR DUTY 3'26''
L. & W. Wilson
21 GIMME A PIGFOOT 3'28''
L. & W. Wilson
22 I'M DOWN IN THE DUMPS 3'10''
L. & W. Wilson
Bessie SMITH
«Le jour de février 1923 où Bessie Smith pénètre en studio et reprend le Down Hearted Blues d'Alberta Hunter, c'est une révélation. Tout bascule d'un coup avec cette voix de contralto puissante, ce chant d'une profondeur dramatique inouïe, ce pouvoir de persuasion que n'appuie aucun sentimentalisme. Une sorte de beauté pure emplit le pavillon d'enregistrement, saisit le studio et se reproduit sur des centaines de milliers de 78 tours. L'Art vocal afro-américain s'impose réellement ce jour-là, il naît du dépassement et de la sublimation du combat quotidien de l'homme (et de la femme !) noir dans l'Amérique blanche.»(1) C'est précisément ce Down Hearted Blues , couplé à Gulf Coast Blues, premier disque de Bessie Smith publié, qui ouvre notre recueil entiièrement constitué de duos chant-piano. Curieuse idée dirons certains alors que la chanteuse a enregistré avec les plus grands jazzmen du moment, Louis Armstrong en tête. Mais ces faces ont été tellement rééditées, elles figurent sur tellement de "Best Of" qu'il nous a paru intéressant de faire ressortir cette voix extraordinaire uniquement soutenue, parfois stimulée ou simplement suivie par un pianiste ; accompagnement minimum, voix au premier plan présente dans toute sa force, sa puissance, sa majesté, voix magnifique et bouleversante, éclatante et douloureuse, rayonnante et grave. Nombre d'amateurs avaient fini par préférer, écouter d'abord les commentaires et les contrechants instrumentaux, négligeant presque la partie vocale. Voilà donc une occasion de corriger peut-être quelques habitudes d'écoute. La plus grande chanteuse de blues de l'Histoire mérite bien cela. Bessie Smith est née à Chattanooga (Tennessee) probablement le 15 avril 1894. Orpheline très jeune, livrée très tôt à elle-même, elle chante dans les rues de sa ville dès 1903 avant de se joindre à des troupes de spectacles itinérantes. Elle a l'occasion de croiser à Atlanta en 1910 la "Mère du Blues", Ma Rainey, puis joue le rôle du partenaire féminin dans le duo Burton & Burton en 1912/13. Chanteuse soliste en 1915, vedette de la troupe "Florida Blossoms", Bessie parcourt le Sud de long en large, ne s'aventurant dans le Nord qu'en 1922, à Philadelphie où elle monte son propre orchestre. Bien que le terrain soit déjà largement occupé par de nombreuses stars du vaudeville blues, elle est remarquée par Clarence Williams, jeune musicien et éditeur néo-orléanais aux dents longues qui lui obtient une séance chez Columbia et s'installe lui-même au piano, comme il le fera des quantités de fois auprès de chanteuses, chanteurs et musiciens en tout genre. Auteur-compositeur à succès, directeur artistique ambitieux, organisateur d'innombrables séances, Clarence Williams n'a jamais laissé un grand souvenir en tant que pianiste, chacun soulignant sa neutralité. Il accompagnait, point. Et surtout se chargeait d'apposer sa griffe sur de nombreuses partitions et savait signer les contrats à son avantage, Bessie en fit les frais. Car si Down Hearted Blues se vendit à 780.000 exemplaires, paraît-il, le verso, Gulf Coast Blues qui porte sa signature, fit tomber autant de sous dans son tiroir-caisse personnel, la chanteuse n'ayant probablement reçu que le montant de la séance. «Une écoute comparative des premiers enregistrements de Bessie est, à cet égard, révélatrice, écrit Florence Martin, auteur d'un très beau livre sur Bessie Smith. Clarence Williams exécute au piano un accompagnement assez fort, sans pratiquement moduler le volume sur la voix de la chanteuse : l'auditeur ne perçoit pas de différence marquée entre le jeu de répons du pianiste (...) et son jeu d'accompagnement (...). C'est comme si Clarence Williams ne voulait pas "retenir" le son au cours de l'enregistrement. Sa présence demeure à tout moment envahissante et pèche par sa fadeur.»(2) On peut trouver le jugement un peu sévère car, en particulier dans ses faces en solo, Clarence savait s'impliquer dans son jeu quand il le voulait. Mais Florence Martin voit juste lorsqu'elle ajoute : «L'accompagnement de son successeur, Fletcher Henderson, est d'une tout autre facture, empreint de légèreté et se permettant d'exquises fantaisies. Nuancé, il établit un véritable jeu d'appel-et-répons entre Bessie et le pianiste. Quand son piano soutient le chant, il se fait discret, diminue le volume, réduit son accompagnement à une ligne mélodique simple et efficace. Quand, par contre, il s'agit d'illustrer le blues, c'est-à-dire de lui donner "du répondant", Fletcher Henderson multiplie les astuces : ainsi, dans Bleeding Hearted Blues, il suit le cheminement du texte, l'illustre et lui répond avec verve. (...). L'ouverture de Fletcher qui précède l'introduction de Bessie laisse présager une chanson triste : il s'agit de quelques phrases de blues assez typiques, exécutées avec lenteur, voire lourdeur, comme si le pianiste, lui aussi souffrant de ce mal-vivre que décrit la chanteuse, ne parvenait pas à l'exprimer. Puis, lorsque Bessie chante les trois premières lignes de l'introduction, Fletcher joue un accompagnement sobre qui répète un accord dissonant (...) à la main droite, comme pour faire écho aux mots de Bessie (...) ; il développe ensuite un petit modèle mélodique (ou riff) entre les deux tercets, et, sans abandonner le principe de la dissonnance (qui traduit le malaise profond de la narratrice), élabore un accompagnement qui "parle" un peu plus. De connivence avec la narratrice (...), le pianiste ne concentre plus son expression dans la réitération première des accords dissonnants, mais commence à "raconter", lui aussi, autour de ces accords originels. Les deux voix paraissent en parfaite entente : la voix du piano s'atténue pour mettre en majesté la voix de la chanteuse, puis retentit, seule, pour répondre en une envolée concise mais expressive à ses tristes paroles.»(2) Lors de ses futures séances, Bessie Smith retrouvera souvent, comme accompagnateurs soit en soliste soit en compagnie d'autres musiciens, Clarence Williams et Fletcher Henderson, l'un comme l'autre très présents dans les studios. Mais, tandis que Fletcher quitte provisoirement son clavier, deux musiciens qui n'ont pas laissé grand souvenir se partagent la tâche : Irving Johns, qui était alors son accompagnateur régulier sur scène et son directeur musical, et Jimmy Jones, bons professionnels l'un comme l'autre. Le premier, que le sens du blues n'étouffe pas, ne "pousse" pas la chanteuse mais décore volontiers le chant de quelques fioritures ; le second, vaguement plus jazzy, distille un accompagnement un peu plus présent, plus enveloppant. L'un comme l'autre plus Henderson vont se partager les séances suivantes en petites formations — on trouvera également le compositeur Porter Grainger qui n'accompagna jamais seul la chanteuse — jusqu'à l'apparition, à la fin de l'année 1924, d'un nouveau directeur musical, Fred Longshaw. Si celui-ci bénéficie auprès des amateurs d'un peu plus d'indulgence, c'est essentiellement grâce à sa présence, aux côtés de Louis Armstrong, dans les fameux St. Louis Blues et Reckless Blues où il joue de l'harmonium. Si le pianiste n'a rien d'un génie, il comprend assez bien sa patronne et fourni un accompagnement assez meublé qui ne laissa pas insensible un chroniqueur de l'époque comme Tony Langston :«Après la première chanson de Bessie (...), son pianiste, Fred Longshaw, se lança dans un solo époustoufflant qui laissa tout le monde pantois.»(2) Quoique un peu septique, Florence Martin souligne la complicité musicale qui existe entre Bessie et son pianiste qu'on entendra ponctuellement avec elle sur disques jusqu'en 1928. Mais, en 1927, un musicien d'une toute autre envergure avait joint sa voix à celle de l'Impératrice, James P. Johnson, le grand pianiste stride. «Elle enregistre avec James P. Johnson (...) un blues de sa composition : Back Water Blues. Cette séance d'enregistrement est un véritable bonheur, en plus d'un scoop ! (...) Le piano de James P., s'il maintient la ligne de basse tandis que Bessie chante, se lance aussi dans des strides de toute beauté (...). Dans Back Water Blues, il peint le paysage lugubre décrit par Bessie dans la chanson : on entend le tonnerre gronder, le vent souffler en rafales, les torrents d'eau se déverser. Puis le piano de Johnson gémit avec la narratrice privée de maison et lui donne la réplique avec justesse.»(2) Nul doute que, de tous les pianistes qui enregistrèrent avec la chanteuse, James P. Johnson fût le plus passionnant. Non catalogué "pianiste de blues", son sens musical, sa technique et son expérience — il a accompagné d'autres chanteurs et chanteuses — écartaient facilement les obstacles que peut poser le blues à ceux qui ne "respirent" pas cette musique (voir les Johns et Jones cités plus haut). Il n'est pas le seul, d'autres pianistes issus du mouvement stride se montrèrent à l'occasion grands bluesmen : Fats Waller derrière d'autres chanteuses, Willie "The Lion" Smith et Art Tatum derrière Big Joe Turner... un grand jazzman est forcément un grand bluesman ! Si Back Water Blues, dans sa simplicité même, dans son dépouillement, demeure l'un des chefs-d'œuvre absolus de l'histoire du blues, d'autres titres gravés ultérieurement avec le grand pianiste atteignent des hauteurs impressionnantes, même si la «vie tumultueuse et nourrie d'excès semble avoir déjà brisé quelque chose en Bessie, dont la voix perd de l'ampleur en se chargeant d'une douleur pathétique.»(1) Après le tournage, en 1929, du film «St. Louis Blues» dont Johnson est d'ailleurs le chef d'orchestre, la carrière de Bessie Smith marque le pas. Crise économique, nouvelles modes musicales, l'âge d'or du "blues classique" est révolu. Et c'est encore Clarence Williams, toujours là, qui s'installera sur le tabouret du piano dans les dernières sessions Columbia jusqu'en 1931.(3) Bessie essaiera tant bien que mal de survivre, voire de s'adapter aux nouvelles formes — son ultime séance en 1933 en donne un éclairage — et continue à se produire dans les revues des grands music-halls de Harlem. Mais c'est en tournée dans le Sud, comme à ses débuts, que la fière Impératrice rendra l'âme, suite à un accident de voiture et au manque de soins qui a suivi, le 25 septembre 1937 aux environs de Clarksdale (Mississippi). À présent durablement installé sur les plus hautes marches du panthéon de l'Histoire, non seulement du blues, de la musique afro-américaine, mais de l'art vocal populaire du XXe siècle dans son ensemble, le nom de Bessie Smith est si connu qu'on ne prend peut-être plus la peine de réellement écouter la chanteuse. Ce modeste disque n'a d'autre ambition que, débarrassées des mythes et dépouillées de toute enjolivure instrumentale, ces quelques chansons rappellent à certains l'envergure d'une interprète et la dimension d'une voix. Celle qui véhicule le drame, la joie et la vie tout simplement