King Oliver
Joseph "King" Oliver est né à Donaldville en Louisiane le 11 Mai 1885. Il débute dans un orchestre de fanfare vers sa 15ème année et s'impose vite comme un des meilleurs musiciens de la Nouvelle-Orléans. Il devient rapidement chef d'orchestre, souvent en collaboration avec un autre pionnier de la région : Edward "Kid" Ory, le célèbre trombone que l'on trouve dans les neuf premiers titres sélectionnés ici. En 1917, c'est le départ vers Chicago lors de la fermeture de Storyville, le quartier des plaisirs et de la musique du grand port louisianais. Il ne tarde pas à y fonder son propre orchestre avec Johnny Dodds à la clarinette. En 1922, il fait venir à Chicago le jeune Louis Armstrong qu'il avait déjà chaperonné en Louisiane, pour tenir le poste de 2ème trompette dans son mythique "King Oliver & His Creole Jazz Band" (EPM/Jazz Archives 157462). On connaît l'importance historique des disques enregistrés en 1923 par cette formation, peut-être la meilleure de pur style Nouvelle-Orléans!
En 1925-1926, il réorganise son orchestre qui comprendra alors une dizaine de musiciens : les "Dixie Syncopators". La fin des années 20, avec la Dépression, le trouve à New-York. Il enregistre encore avec un nouvel orchestre quelques disques où on peut l'entendre jouer magnifiquement de la trompette, mais son succès diminue devant la vague du commercialisme qui envahit alors le jazz. Puis il souffre des dents et très vite ne peut plus jouer de son instrument. Oliver déménage alors pour Savannah (Georgie) où il mènera jusqu'à sa fin, le 12 avril 1938 une vie solitaire et misérable!
King Oliver est certainement un des plus anciens et des plus importants musiciens des premiers temps du jazz que l'on connaisse bien grâce au disque. On a beaucoup parlé des trompettistes légendaires du début du siècle, mais les documents phonographiques, seuls irréfutables témoins, sont souvent absents et seuls nous sont parvenus des témoignages nostalgiques de certains musiciens. Or, avec King Oliver, cela est tout à fait différent, ses nombreux disques sont là pour nous prouver qu'il a été le premier grand soliste de la musique de jazz, un précurseur, mais aussi un des plus grands trompettistes (on sait bien qu'à l'époque Joe jouait du cornet, mais simplifions…). Son influence a été considérable notamment sur le plus grand de tous : Louis Armstrong, mais également sur les Tommy Ladnier, Lee Collins, George Mitchell, Joe Smith, Bubber Miley, Ward Pinkett… De plus, "Papa Joe" était un compositeur prolifique, à qui l'on doit de magnifiques thèmes tous imprégnés de l'esprit musical de la Nouvelle-Orléans : West End blues, Doctor Jazz, Camp Meeting Blues, Snag it, Snake Rag… et c'est très certainement lui l'arrangeur des ensembles joués par ses Dixie Syncopators! Vers la fin des années 20, il souffrait des dents, ce qui lui occasionnait des difficultés pour jouer lors de certaines séances, ce qui a accrédité, pendant longtemps auprès des amateurs la rumeur que King Oliver ne jouait pas lui-même de trompette dans ses disques des Dixie Syncopators et surtout de son orchestre des années 30. Le critique Hugues Panassié, après de nombreuses écoutes minutieuses et enquêtes auprès des musiciens, notamment Louis Armstrong et Tommy Ladnier, les deux trompettes qui ont le mieux connus King Oliver, a pu parfaitement identifier les titres contenant ses solos. Nous pouvons ainsi affirmer que tous les solos de trompettes qui se trouvent dans les disques que nous avons sélectionnés ici ont pour auteur le seul et unique King Oliver.
L'occasion nous est donc offerte de découvrir la trompette émouvante de King Oliver, musicien sensible qui savait allier dans ses improvisations délicatesse et fermeté, sens aigu de la mélodie et swing implacable. Toujours élégant, chantant, vibrant, son jeu était bien installé sur le temps (I Must Have It). Dans les blues lents, il pèse sur les notes, les travaille pour en tirer un maximum d'intensité comme dans son introduction et ses breaks de Death Sting Me Blues avec Sara Martin. Un regret au passage, on aurait souhaité qu'un tel interprète de blues, enregistre avec des chanteuses de son envergure, les Ma Rainey ou Bessie Smith!
Nous retrouvons avec lui, le jeu lazy, expressif des premiers musiciens de jazz qui dès leurs débuts cherchèrent à reproduire sur leurs instruments le chant, les inflexions et le vibrato des chanteurs de blues et autre prédicateurs (Black Snake Blues, Jackass Blues). L'utilisation habile de la sourdine "wa-wa" était pour lui un moyen supplémentaire et efficace pour arriver à cette éloquence (Bozo avec Clarence Williams)! En enfant de la Nouvelle-Orléans, il était passé maître pour mener les ensembles et les improvisations collectives (Sobbin' Blues). King Oliver avait le culte de la mélodie que les musiciens, disait-il, ne devaient jamais perdre de vue au cours de leurs improvisations. Chaque phrase était parfaitement construite, développée, clairement exprimée (You're Juste My Rype, Bimbo).
Il est difficile de décrire avec des mots l'émotion qui se dégage de ses solos. Deep Henderson est, à ce titre, un disque incontournable pour qui veut ressentir la chaleur qui est perceptible dans chaque mesure jouée par Joe Oliver. Peut-on exprimer plus, avec une telle sobriété de moyens? C'est certainement la limpidité et l'émotion de son jeu qui ont séduit les jeunes trompettistes qui formaient leur style à cette époque. Influence considérable de King Oliver, relayée, bien sûr, par le génie de Louis Armstrong qui devint le modèle, non seulement des trompettistes, mais de tous les instrumentistes de son temps.
Louis Armstrong qui ne cachait pas sa véritable dévotion pour celui qui avait été son mentor, n'a-t-il pas écrit : "Je suis persuadé que sans ce grand maître, jamais tant de routes ne se seraient ouvertes devant nous, quelques-unes des phrases les plus fameuses qui vous entendez aujourd'hui dans le jazz, viennent tout droit de Papa Joe Oliver!" Musicien au jeu tendre et émouvant, tel était King Oliver, mais c'était aussi un vrai swingman à la pulsation élastique : Wa Wa Wa ou Sugar Foot Stomp qui est justement célèbre, car ce blues pris sur un tempo vif contient 3 chorus de trompette, tellement parfaits, qu'ils sont entrés dans la tradition du jazz. Ce solo fût, en effet, un des plus copiés, autant par Louis Armstrong lui-même que par tous les autre trompettistes qui jouèrent ce thème!!
Dans les neuf premiers titres des Dixie Syncopators King Oliver est épaulé par le trombone truculent de Kid Ory, toujours aussi éloquent et exemplaire dans toutes ses interventions. Par contre, pour les séances de Septembre 1928, c'est un jeune musicien prometteur à la maîtrise bien affirmée, qui fait ici des débuts remarquables : Jay C. Higginbotham qui deviendra un as de l'instrument. (Speakeasy Blues, I'm Watching The Clock). On entend également d'autres musiciens de qualité, tous auteurs de brillantes intervention, d'abord Albert Nicholas à la clarinette (Wa Wa Wa, Jackass Blues, Sugar Foot Stomp), remplacé par Omer Simeon qui joue alternativement de la clarinette (Aunt Hagar's Blues) ou du saxo-soprano (Willie The Weeper). Quant à Barney Bigard qui devait, comme l'on sait, s'illustrer à partir de 1928 dans les rangs de l'orchestre de Duke Ellington ("Barney Bigard Story" EPM/Jazz Archives 158502) il tient généralement le saxo-ténor d'excellente façon, notamment dans son solo chaleureux, fluide et inspiré de Sobbin' Blues et prouve que cet instrument peut parfaitement s'intégrer dans une improvisation collective (Willie The Weeper). Pour Someday Sweetheart, King Oliver jugea que seul son ancien partenaire du "Creole Band", Johnny Dodds était capable de jouer, comme il le souhaiterait, la partie de clarinette de ce morceau. Il eut raison car ce fût à l'époque, un grand succès.
Les quatre derniers titres furent enregistrés en 1930 à New-York avec des musicien différents, dont le robuste trombone Jimmy Archey auteur de fougueux solos, qui comptes parmi ses meilleurs! Mais c'est surtout King Oliver, excellemment enregistré, qui est la vedette de ces faces qui donnent aux amateurs l'occasion de réaliser la grandeur de ce musicien. Un solo comme celui de Don't You Think I Love You plein de fraîcheur, d'envolée, d'une construction exemplaire compte certainement parmi les grandes réussites du jazz enregistré!!
Ce solo sera un des derniers gravé par ce pionnier à qui le jazz doit tant : "Papa Joe King Oliver"!
Jacques Morgantini
Joseph “King” Oliver was born on 11 May 1885 in Donaldsville (Louisiana). When he was about fifteen years old he made his début in a brass band, making a name for himself as one of the best musicians in New Orleans and rapidly becoming a bandleader in his own right, often in collaboration with that other great pioneer, trombonist Edward “Kid” Ory who can be heard on the first 9 titles selected here. In 1917, after Storyville was closed down, Oliver moved to Chicago where he soon formed his own band with Johnny Dodds on clarinet. In 1922, he invited the young Louis Armstrong, whom he had already taken under his wing in Louisiana, to Chicago to play second trumpet in his legendary “King Oliver & His Creole Jazz Band” (EPM/Jazz Archives 157462). The historical importance of the sides recorded by this group in 1923 is well known—probably the best pure New Orleans style ever put on wax!
Between 1925-26, he reorganised his orchestra and its ten or so members now became the “Dixie Syncopators”. The end of the 20s and the Depression found him in New York where he recorded a few sides, again with a new band, on which he plays some magnificent trumpet. However, his popularity declined with the wave of commercialism that was now invading jazz. He had problems with his teeth and, no longer able to play his instrument, he moved to Savannah (Georgia) where he died on 12 April 1938, a lonely and unhappy man.
King Oliver is undeniably one of the oldest and most important early jazz musicians whom we are privileged to know through his recordings. Much has been said and written about other legendary trumpeters playing at the turn of the century but they rarely recorded and all we have to go on are certain nostalgic accounts handed down by contemporary musicians. This is not the case with King Oliver for his discographical legacy leaves no doubt that he was the first great jazz soloist, not only a precursor but also an outstanding trumpeter (we know that at the time he played cornet but let’s not split hairs…). He had considerable influence on later greats: Louis Armstrong, Tommy Ladnier (see EPM/Jazz Archives 159012 The Tommy Ladnier Story), Lee Collins, George Mitchell, Joe Smith, Bubber Miley, Ward Pinkett…
“Papa Joe” was also a prolific composer to whom we owe such magnificent New Orleans classics as West End Blues, Doctor Jazz, Camp Meeting Blues, Snag It, Snake Rag etc. and he was almost certainly responsible for the arrangements played by his “Dixie Syncopators”. Towards the end of the 20s he began to have problems with his teeth, making it difficult for him to play on some sessions. This led to the long-running rumour that King Oliver did not play trumpet himself on the “Dixie Syncopators” recordings, particularly with his group in the 30s. Critic Hugues Panassié, after hours of careful listening and discussions with other musicians, notably Louis Armstrong and Tommy Ladnier who were closest to King Oliver, has been able to pick out those titles containing solos by Oliver. Thus we can state with absolute certainty that, on all the sides presented here, the trumpet solos are taken by King Oliver himself!
Here is an opportunity to discover all the aspects of King Oliver’s playing: a sensitive musician, with a keen sense of melody and solid swing, whose improvisations are a blend of delicacy and power. His always elegant, lilting, vibrant trumpet firmly anchored to the beat (I Must Have It). On the slower blues he gives each note its full weight, drawing out a maximum of feeling, as in his introduction and breaks on Death Sting Me Blues with Sara Martin. What a pity he never recorded with some of the great female blues vocalists whose stature was equal to his own: Ma Rainey or Bessie Smith!
His occasionally “lazy”, laid-back approach is reminiscent of those early jazz musicians who attempted to reproduce the type of modulations and vibratos used by blues singers and preachers (Black Snake Blues, Jackass Blues). Oliver’s “wa wa” mute effects were renowned (Bozo with Clarence Williams). During his younger New Orleans days he had become a past master in leading ensembles and collective improvisations (Sobbin’ Blues). He never lost sight of the melody during an improvisation, each phrase perfectly constructed, developed and clearly expressed (You’re Just My Type, Bimbo).
It is extremely difficult to put into words the emotion inherent in his solos but you only have to listen to Deep Henderson to hear the warmth that emanates from each bar he plays. It was undoubtedly this clarity and depth of feeling that attracted young trumpeters in search of a style during this period. King Oliver’s influence, admittedly transmitted through the genius of Louis Armstrong, left its mark not only on the trumpet but on other instruments as well.
Louis Armstrong made no secret of his devotion to someone he considered his mentor. He was convinced that King Oliver had opened the way and that many of the most famous phrases heard in jazz today came directly from “Papa Joe”. His energetic, bouncing swing is evident on Wa, Wa, Wa or on his famous 3-chorus trumpet solo on Sugar Foot Stomp that has become a set piece, copied by countless artists including Louis Armstrong.
On the first 9 titles of the “Dixie Syncopators”, King Oliver is backed by the pungent trombone of the ever-reliable of Kid Ory, who is replaced on the September 1928 sessions by a young and up-and-coming musician who makes a brilliant debut: Jay C. Higginbotham (Speakeasy Blues, I’m Watching The Clock). The other members of the ensembles are all first-rate musicians: on clarinet Albert Nicholas (Wa Wa Wa Jackass Blues, Sugar Foot Stomp), followed by Omer Simeon who plays both clarinet (Aunt Hagar’s Blues) or soprano sax (Willie The Weeper). Barney Bigard who, in 1928 was to begin his long and successful collaboration with Duke Ellington’s Orchestra (cf EPM/Jazz Archives 158502 The Barney Bigard Story), turns in some excellent tenor sax, particularly his eloquent inspired solo on Sobbin’ Blues, and proves that a tenor sax can fit perfectly well into a collective improvisation (Willie The Weeper). King Oliver decided that only his old partner from the “Creole band” days, Johnny Hodges, was capable of taking the clarinet solo on Someday Sweetheart in the way he wanted it played. He was proved right for it was a great hit at the time.
The last four titles were cut in New York in 1930 with different musicians, some of the best and most spirited solos coming from the rugged trombone of Jimmy Archer. But it is King Oliver above all who stands out on these excellently recorded sides that reveal the musician in all his greatness. The beautifully-constructed, soaring solo on Don’t You Think I Love You, full of freshness, must certainly rank among some of the greatest jazz ever recorded!
This was one of the last titles cut by that outstanding innovator to whom jazz owes so much: Papa Joe King Oliver!
Adapted from the French by Joyce Waterhouse