LE MENTEUR / PIERRE CORNEILLE
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LE MENTEUR
Comédie de : Pierre Corneille
Mise en scène : Nicolas Briançon
Assistante : Julie Grimoud
Production : Théâtre Hébertot
Créée au Théâtre Hébertot en avril 2002 et filmée en août 2002
Avec : Nicolas Vaude, Henri Courseaux, Pierre Maguelon, Marie Piton, Olivier Claverie, David Seigneur, Christelle Chollet, Anne Charrier, Fanny Herrero, Nicolas Biaud-Mauduit
Décor et Costumes : Pierre-Yves Leprince
Lumière : Gaëlle de Malglaive
Réalisation : Philippe Miquel
Technologie :16/9 numérique, son stéréo
Durée : 1h4
Interviews de Nicolas Briancon et Nicolas Vaude
Résumé :Dorante, jeune homme issu d’une bonne famille de province, sème une joyeuse pagaille dès son arrivée à Paris. Constamment il s’invente des personnages, se prête des sentiments, s’arroge des passés glorieux et joue avec la même sincérité tous les rôles que lui dicte son imagination féconde. La plus rocambolesque des comédies de Corneille.
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La Presse :
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LE MENTEUR / PIERRE CORNEILLE
Pierre Corneille, aussi appelé « le Grand Corneille » ou « Corneille l'aîné », né le 6 juin 16061 à Rouen et mort le 1er octobre 1684 à Paris (paroisse Saint-Roch), est un dramaturge et poète français du xviie siècle.
Issu d'une famille de la bourgeoisie de robe, Pierre Corneille, après des études de droit, occupa des offices d'avocat à Rouen tout en se tournant vers la littérature, comme bon nombre de diplômés en droit de son temps.
Il fait de brillantes études secondaires au collège de Bourbon (aujourd'hui lycée Corneille) dirigé par les jésuites. Il remporte plusieurs prix et se découvre une passion pour l'éloquence des stoïciens latins et pour la pratique théâtrale que les jésuites ont introduite dans leur collèges dans une perspective pédagogique
Puis, comme tous les membres de la famille Corneille, il fait des études de droit. Il prête serment comme avocat le 18 juin 1624 au Parlement de Rouen.
Au cours de l'année 1634, sans doute incité par le succès de la Sophonisbe de Jean Mairet et de Hercule mourant de Jean Rotrou qui marquent le retour de la tragédie régulière sur les scènes parisiennes après un effacement de plusieurs années, il écrit sa première tragédie, Médée, qui semble avoir été très bien accueillie, contrairement à une légende apparue au xviiie siècle (comme toujours) : Corneille critiquera sa grande irrégularité vingt ans plus tard dans l'« Examen » de la pièce, tout en rappelant que c'était l'usage à ce moment-là, sans laisser entendre que la pièce n'avait pas eu de succès ; en outre, le fait qu'il ne l'ait publiée qu'en 1639 pour en laisser l'exclusivité à la troupe du Marais qui l'avait créée quatre ans plus tôt, donne à penser que la pièce fut fréquemment reprise au théâtre, jusqu'à ce que l'apparition des nouvelles tragédies cornéliennes à partir de 1640 ne la démode.
Créé en janvier 1637 sur la scène du théâtre du Marais, Le Cid a été ressenti par les spectateurs contemporains comme une véritable révolution et produisit un choc de même nature que trente ans plus tard Andromaque de Jean Racine (1667), et dans le genre comique L'École des femmes de Molière (1662-1663). Cette révolution provoqua un véritable scandale chez les rivaux de Corneille et chez certains lettrés, ce qui déclencha la querelle du Cid et déboucha sur la condamnation de la pièce par la toute récente Académie française dans un texte intitulé Les Sentiments de l'Académie sur la tragi-comédie du Cid qui parut en décembre 1637. Corneille, ébranlé, se plongea dans les ouvrages de théorie dramatique (d'Aristote à ses commentateurs italiens de la Renaissance) et n'écrivit plus pour le théâtre jusqu'à la fin de 1639, époque vers laquelle il se lança dans sa première tragédie romaine Horace.
Si Le Cid a bouleversé le paysage dramatique de l'époque, c'est qu'il s'agissait certes d'une tragi-comédie (le genre à la mode en ces années-là) — et l'on retrouve dans le cadre d'un obstacle venu séparer deux amoureux qui se marient à la fin, des duels, des batailles, un enjeu politique superficiel — mais d'une tragi-comédie d'un type nouveau : action physique rejetée dans les coulisses et traduite par les mots, personnages historiques, affrontement passionnel inouï jusqu'alors et surtout une conception nouvelle de l'obstacle tragi-comique. Alors que le principe de la tragi-comédie reposait sur une séparation des amoureux par un obstacle susceptible de se résoudre à la fin pour permettre leur mariage, Corneille choisit d'adapter Las Mocedades del Cid de Guilhem de Castro qui racontait l'histoire d'un héros légendaire espagnol qui avait épousé la fille de l'homme qu'il avait tué : c'est-à-dire un sujet fondé sur un obstacle qu'il est impossible de résoudre à la fin. En effet, Rodrigue et Chimène se marient à la fin (c'est pourquoi la pièce est bien une tragi-comédie), mais le père de Chimène est bel et bien mort. C'est la présence de ce mort à l'arrière-plan qui crée les si beaux affrontements passionnels entre Chimène et Rodrigue, qui ravirent le public de l'époque ; mais c'est aussi ce qui fut la source du scandale déclenché chez les lettrés. Car en racontant ainsi l'histoire d'une fille qui épouse le meurtrier de son père, Corneille avait enfreint la principale des règles de la dramaturgie classique en cours d'élaboration, la vraisemblance : sur le plan de l'intrigue, il était jugé invraisemblable qu'une fille épouse le meurtrier de son père (le fait peut être vrai, mais il est contraire au comportement attendu d'un être humain, donc invraisemblable), et sur le plan du caractère du personnage de Chimène, il était jugé invraisemblable qu'une fille présentée comme vertueuse ose avouer au meurtrier de son père qu'elle continue à l'aimer.
C'est donc au cours du second semestre de 1639 qu'il trouva son sujet et se lança dans la rédaction. On sait par une autre lettre de Chapelain que le 9 mars 1640 Horace a déjà été joué en privé devant le cardinal de Richelieu (ainsi qu'un comité de « doctes » qui ont suggéré des remaniements, refusés par Corneille) et qu'on attend sa création sur la scène du théâtre du Marais.
Horace, première tragédie historique et romaine de Corneille, ouvre ainsi la deuxième partie de sa carrière, et sera suivi de trois autres tragédies romaines Cinna (hiver 1641-1642), Polyeucte (hiver 1642-1643), La Mort de Pompée (hiver 1643-1644). Sujet puisé dans l'histoire antique, stricte régularité de l'action, du temps et du lieu, Corneille a en partie répondu aux vœux des doctes, tout en conservant le principe des sujets à la limite de la vraisemblance, la violence des passions et la construction de héros qui forcent l'admiration. En même temps il a rejoint et sublimé la thématique développée dès la décennie précédente dans les tragédies historiques de ses confrères : confrontation de l'héroïsme et de l'État doublant la confrontation de l'héroïsme et de l'amour, inscrite dans un devenir historique et dans une réflexion sur la portée des actes individuels.
En 1641, il épouse grâce à l'intervention de Richelieu une jeune aristocrate, Marie de Lampérière, fille de Matthieu de Lampérière, lieutenant-général des Andelys. De ce mariage naîtront huit enfants : trois filles, quatre garçons et un enfant mort prématurément dont on ne connaît pas le sexe. Son jeune frère Thomas épousera plus tard la seconde fille du lieutenant-général, Marguerite. Cette intervention de Richelieu en sa faveur, cinq ans après que le même Richelieu avait exigé de l'Académie française qu'elle donne son avis sur la conformité du Cid aux règles dramatiques, explique les sentiments mitigés de Corneille au lendemain de la mort du cardinal-ministre, exprimés dans un quatrain resté célèbre (1643) :
Qu’on parle mal ou bien du fameux cardinal
Ma prose ni mes vers n’en diront jamais rien ;
Il m’a trop fait de bien pour en dire du mal ;
Il m’a trop fait de mal pour en dire du bien.
Avec Rodogune (hiver 1644-45), Corneille abandonna la tragédie romaine pour explorer les confins du monde méditerranéen antique, ce qui lui offrit l'occasion de dramatiser les jeux politiques liés à la succession dynastique, s'orientant vers ce qu'il qualifia lui-même dans ses textes théoriques de « tragédie implexe », fondée sur la complexité de l'intrigue. Il approfondit cette dramaturgie « implexe » et cette thématique dynastique deux ans plus tard avec Héraclius, qui, reposant sur une double substitution d'enfants, est sans doute la première tragédie moderne de l'identité (la première tragédie antique de l'identité étant Œdipe), Corneille ayant établi une liaison étroite entre la quête de l'identité du héros et les questions de légitimité politique et d'amour princier. Cette problématique, qui s'esquisse même dans la grande et triomphale tragédie à machines Andromède (prévues pour le carnaval 1648, mais montée seulement en janvier 1650 à cause des troubles de la Fronde), se retrouve dans Don Sanche d'Aragon (comédie héroïque, 1649) et dans Pertharite (1652). Pour autant, Corneille ne renonce pas tout à fait à la comédie, profitant de la mode de la comédie à l'espagnole sur les deux théâtres parisiens pour lancer Le Menteur (premier trimestre 1644), dont le succès fut tel qu'il l'incita à lui donner une suite, qui fut un échec (La Suite du Menteur, premier trimestre 1645) et le détourna définitivement de la comédie.
Malgré son peu de goût pour le mécénat, Mazarin fit mine de reprendre sur ce plan la politique de Richelieu et offrit à Corneille une pension de 1 000 livres. Cela n'empêcha pas le poète de subir deux échecs à l'Académie française ; la raison invoquée étant que, habitant en province, il ne pourrait assister aux réunions. Mais il fut finalement élu le 22 janvier 1647 au fauteuil 14, qui sera occupé par son frère Thomas après sa mort.
En novembre 1651 sont achevés d'imprimer presque en même temps sa tragédie de Nicomède et un volume regroupant les vingt premiers chapitres de sa traduction de l’Imitation de Jésus Christ qui va se révéler un extraordinaire succès de librairie avec 2 300 éditions et près de 2.4 millions d'exemplaires en circulation à la fin du xviiie siècle, ce qui en fait à cette époque le livre le plus souvent imprimé après la Bible. Et c'est probablement le mois suivant qu'est créé Pertharite (décembre 1651 ou janvier 1652), une puissante tragédie qui chute brutalement sans qu'on en connaisse la raison exacte ; l'absence à peu près totale de créations de nouvelles tragédies dans les deux théâtres parisiens au cours des quatre années suivantes incite à penser que les spectateurs, lassés par les complexes enjeux politiques de la Fronde, se sont détournés de la tragédie du fait de son cadre historique et de sa thématique politique (l'action de Pertharite se déroule en pleine guerre civile). En somme, Pertharite serait la première tragédie qui aurait fait les frais de cette lassitude du public, sans que le talent créateur de Corneille soit en cause. Il en profite cependant pour annoncer sa retraite du théâtre — il peut se le permettre puisqu'il est au comble d'une gloire qui court d'un bout à l'autre de l'Europe — et pour se consacrer entièrement à la très pieuse et très lucrative entreprise de traduction de l’Imitation de Jésus-Christ. La fin du livre I et le début du livre II paraissent à la fin d'octobre 1652 ; en juin 1653, les deux premiers livres complets paraissent, augmentés de gravures au commencement de chaque chapitre. Suit le livre III en 1654 et le livre IV (et dernier) en 1656 qui donnera l'occasion d'une édition, cette fois complète, de l'ensemble, avec une dédicace au pape Alexandre VII.
À la mi-mai 1658 Thomas Corneille écrit à un de leurs amis parisiens, le galant abbé de Pure (auteur d'un vaste roman intitulé La Précieuse) : « Nous attendons ici les deux beautés que vous croyez pouvoir disputer cet hiver d’éclat avec la sienne [la beauté de Mlle Baron, actrice parisienne]. Au moins ai-je remarqué en Mlle Béjart grande envie de jouer à Paris, et je ne doute point qu’au sortir d’ici, cette troupe n’y aille passer le reste de l’année. Je voudrais qu’elle voulût faire alliance avec le Marais, cela en pourrait changer la destinée. Je ne sais si le temps pourra faire ce miracle. » L'abbé de Pure sait donc déjà que Molière et sa troupe ont annoncé leur intention de tenter de prendre pied à Paris durant l'hiver 1658-1659, et Thomas Corneille le lui confirme après en avoir parlé avec Madeleine Béjart, arrivée à Rouen avant le reste de la troupe (« les deux beautés », Catherine de Brie et Marquise Du Parc étaient restées en arrière parce que Marquise venait d'accoucher à Lyon). Ce choix de se rapprocher de Paris en séjournant à Rouen était d'autant plus logique que Rouen était alors constamment visitée par des troupes de comédiens qui y faisaient des séjours de plusieurs semaines, et pas seulement des troupes de campagne comme celle de Molière ; en 1674, Samuel Chappuzeau rapporte dans son ouvrage intitulé Le Théâtre françois que même la troupe du théâtre du Marais y faisait de fréquents séjours : « Cette Troupe allait quelquefois passer l’Été à Rouen, étant bien aise de donner cette satisfaction à une des premières Villes du Royaume. De retour à Paris de cette petite course dans le voisinage, à la première affiche le Monde y courait, et elle se voyait visitée comme de coutume. » Et l'on sait par ailleurs que Molière et les Béjart avaient déjà séjourné quelques semaines à Rouen avec leur première troupe (« L'Illustre théâtre ») pendant qu'on aménageait leur théâtre à Paris (automne de 1643), quelques mois avant la troupe du Marais dont la salle brûla en janvier 1644 et qui vint jouer à Rouen pendant qu'on reconstruisait le bâtiment.
En dehors de cette occasion de jeu mondain, Pierre Corneille semble avoir été peu sensible à la présence de la troupe de Molière dans sa ville : ce n'était qu'une troupe de campagne de plus, parmi toutes celles qui occupaient régulièrement l'un des deux jeux de paume dans lesquels la municipalité autorisait les représentations théâtrales. il lui faudra attendre trois mois plus tard d'être présenté à Fouquet à l'occasion d'un voyage à Paris pour se laisser tenter par l'un des sujets de tragédie proposés par le surintendant. Ce sera Œdipe.
Tandis que La Conquête de la Toison d'or mise en chantier dès 1656 et créée en 1661 reprend le même type de sujet mythologique et la même dramaturgie « à machines » que Andromède, c'est véritablement avec Œdipe que Corneille a entamé la dernière partie de sa carrière. On parle volontiers de période de la vieillesse, du fait d'une sorte de corrélation entre l'âge de Corneille, la mise sur la scène de héros vieillissants (Sertorius, 1662, ou Pulchérie, 1672) ou apparemment dépourvus de vertus héroïques actives (Othon, 1664), et l'issue de la dernière tragédie, l'une de ses plus belles, où le héros s'abandonne à la mort (Suréna, 1674). Pourtant les six ans de « retraite » n'ont pas marqué de rupture dans sa conception théâtrale, comme le révèle tout ce qui rapproche Héraclius et Œdipe, deux tragédies de l'identité, et comme le confirment les Examens de ses pièces et les Discours théoriques qu'il publie dans la grande édition de son Théâtre de 1660. Ce qui paraît nouveau, c'est que l'accession au pouvoir du héros ne passe plus par la reconnaissance de son identité ou simplement de son héroïsme, mais par une combinaison de mariages ; en fait, l'expression de tragédies matrimoniales qu'on applique à ces œuvres ne doit pas masquer que la nature même de la tragédie cornélienne n'a pas changé et que Corneille a simplement substitué à une dramaturgie de l'affirmation de l'héroïsme une dramaturgie de l'effacement volontaire de l'héroïsme : conscience de sa vieillesse dans Sertorius, nécessité de dissimuler ses qualités en présence d'une cour corrompue dans Othon ou d'un tyran violent et raffiné (Attila, 1667), ravalement au plus profond de soi de l'héroïsme et des sentiments pour garder sa liberté face à un pouvoir jaloux dans Suréna, dans tous les cas l'héroïsme réside dans la contrainte sur soi, ce qui explique qu'il débouche si facilement sur la mort (en particulier dans Sertorius et Suréna).
Corneille reconnaît également, ainsi qu’il l’écrit à Charles de Saint-Evremond en 1666, avoir « avancé touchant la part que l’amour doit avoir dans les belles tragédies. » De fait, il a toujours pensé que l’amour était une passion trop chargée de foiblesse pour être la dominante », précisant : « J’aime qu’elle y serve d’ornement, et non pas de corps. » De là, vient « [s]on foible » pour Sophonisbe, qui lui semble illustrer parfaitement ses principes, contraires à ceux de « nos doucereux et nos enjoués. »
En octobre 1662, les deux familles de Pierre et de Thomas Corneille quittent la maison natale de la rue de la Pie à Rouen pour s’installer à Paris à l'invitation du duc Henri II de Guise. Protecteur du théâtre du Marais, le duc était depuis longtemps un admirateur des frères Corneille et c'est à lui que Thomas avait dédié sa tragédie de Timocrate lorsqu'elle fut publiée cinq ans plus tôt. Les deux frères tentent alors d'exercer une sorte de magistère sur le théâtre, encourageant l'engagement d'une comédienne par ci, fomentant une cabale contre L'École des femmes de Molière par là, un Molière qui, il est vrai, poursuivait le grand homme de ses sarcasmes depuis la préface des Fâcheux et qui s'était moqué du titre de noblesse de Thomas (Thomas Corneille de L'Île) dans la première scène de L'École des femmes… Mais la faveur croissante de Molière, qui triomphe aussi bien à la Ville (sur son théâtre du Palais-Royal) qu'à la Cour où à partir de 1664 il semble être devenu aussi indispensable au roi Louis XIV que le musicien Lully, les très grands succès de certains de ses jeunes confrères (son propre frère Thomas et Philippe Quinault), et l'apparition d'un nouvel auteur qui obtient un triomphe dès sa deuxième tragédie (Racine, Alexandre le Grand, décembre 1665) mais se brouille avec la troupe de Molière au profit de la troupe rivale de l'hôtel de Bourgogne, tout cela change la donne. Tandis que l'hôtel de Bourgogne a de moins en moins besoin du « grand Corneille » dont la dernière pièce Agésilas n'a pas été un succès (février 1666), Molière et sa troupe, toujours en quête d'auteurs de tragédies pour diversifier la programmation du Palais-Royal, offrent à Corneille la forte somme de 2 000 livres d'avance pour sa nouvelle tragédie, Attila, qui est créée au Palais-Royal le 4 mars 1667. Mais la pièce ne connaît qu'un succès honorable alors que, huit mois plus tard, Andromaque de Racine sera un triomphe et marquera l'émergence d'une nouvelle conception de la tragédie.
Déjà engagé dans une nouvelle traduction d'une œuvre de piété, l'Office de la Vierge, énorme travail qui paraîtra à la fin de 1669, Corneille prend son temps pour proposer une nouvelle pièce de théâtre. Il a l'idée de reprendre l'histoire de la séparation de Titus et de Bérénice pour en faire une « comédie héroïque » et semble avoir sondé les différents théâtres afin de vendre sa pièce au plus offrant : la troupe du Palais-Royal l'emporte en proposant une nouvelle fois 2 000 livres d'avance, tandis que l'hôtel de Bourgogne propose à son auteur favori, Racine, qui enchaîne les succès (Les Plaideurs en 1668, Britannicus en 1669) de composer une tragédie sur le même sujet. Ainsi les deux pièces seront créées à une semaine d'intervalle sur les deux théâtres concurrents (c'est pourquoi une légende apparue au xviiie siècle prétendra que la princesse Henriette d'Angleterre avait lancé un concours entre les deux auteurs) : la Bérénice de Racine le 21 novembre 1670 à l'hôtel de Bourgogne, la Bérénice de Corneille (qui sera ensuite publiée sous le titre Tite et Bérénice) au Palais-Royal le 28 novembre. Si la tragédie de Racine se signala immédiatement comme un très grand succès, la comédie héroïque de Corneille poursuivit plusieurs mois durant une très honnête carrière, la troupe de Molière ayant décidé de la représenter en alternance avec Le Bourgeois gentilhomme.
Les excellentes relations professionnelles de Corneille et de Molière à ce moment-là expliquent qu'au mois de décembre de la même année, pressé par le temps pour achever la composition de la grande « tragédie-ballet » à machines de Psyché, qui devait absolument être créée avant la fin du carnaval 1671 dans la grande salle des machines des Tuileries, Molière ait fait appel à Corneille pour achever la versification des quatre cinquièmes de la pièce. Précisons bien qu'il ne s'est pas agi pour Corneille de collaborer à la composition de la pièce comme on l'écrit le plus souvent depuis le xixe siècle : l'avertissement de l'édition originale est très clair : Molière a dressé le plan et le détail de la pièce (c'est-à-dire qu'il l'a entièrement rédigée en prose, comme c'était l'usage) et il a en outre versifié la totalité du premier acte et les premières scènes de l'acte II et de l'acte III. Collaboration fructueuse, puisqu'on ne distingue pas les vers de Molière et les vers de Corneille, tant l'un et l'autre se sont surpassés pour produire une expression poétique particulièrement gracieuse, mais qui explique que Corneille n'ait jamais fait figurer les parties de Psyché qu'il avait versifiées dans les éditions de ses propres œuvres.
Au lendemain de Suréna, sa dernière tragédie (publiée en 1675), Corneille n'annonça pas qu'il mettait fin à son activité de dramaturge et rien n'indique qu'il avait l'intention d'y mettre fin ; d'autant que, autour de lui, plusieurs auteurs de tragédies (en particulier Claude Boyer et son propre frère Thomas Corneille qui se consacre désormais aux comédies et aux grands spectacles à machines) ont renoncé eux aussi pendant quelques années, en attendant manifestement que passe l'engouement du public pour les tragédies de Racine d'un côté, pour les opéras de Philippe Quinault et Lully de l'autre. Quatre ans plus tard, au lendemain de l'annonce par Racine de son retrait du théâtre, Thomas Corneille et Boyer recommencèrent à écrire des tragédies, et c'est alors qu'il apparut que le grand Corneille avait définitivement renoncé.
Depuis 1663, Pierre Corneille était inscrit sur la liste des gratifications royales aux gens de lettres pour la somme de 2 000 livres (une somme très importante que Racine, d'augmentation en augmentation, mit quinze ans à atteindre). Mais l'ample liste des premières années se réduisit progressivement (Thomas Corneille disparut ainsi de la liste dès 1667) et les gratifications se mirent dès la fin des années 1660 à être versées irrégulièrement : le budget était pris sur les « Bâtiments du Roi », alors que le Louvre, Saint-Germain et Versailles étaient en travaux, et il fallait payer les ouvriers des chantiers. Le début des guerres européennes n'arrangea rien et à partir de 1673, seul un petit nombre d'écrivains, liés à la Cour de Louis XIV ou dépendant de Colbert, continuèrent à recevoir leur gratification. Corneille, éloigné de la Cour et sans lien avec Colbert, découvrit en juin 1675 (date du versement des gratifications de 1674) qu'il avait été oublié. Il réagit aussi bien directement (lettre à Colbert en 1678) qu'indirectement en composant régulièrement des Épîtres au Roi sur divers sujets (ses pièces qu'on faisait jouer à la Cour en 1676, les victoires du Roi en 1677, la Paix de Nimègue en 1678, le mariage du Grand Dauphin en 1680), et probablement aussi en faisant jouer ses appuis (la légende a imaginé au xviiie siècle une intervention directe de Boileau auprès de Louis XIV). Et il finit par avoir gain de cause : sa gratification de 2 000 livres lui est de nouveau versée à partir de 1682.
Selon une légende tenace, apparue au xviiie siècle, Corneille aurait connu des difficultés financières dans les dernières années de sa vie et serait mort, si ce n'est dans la misère, du moins pauvre. TEnfin, on ignore les raisons pour lesquelles Corneille a quitté en 1682 l'appartement de la rue de Cléry où il résidait depuis 1674 pour s'installer dans une maison au 6 rue d’Argenteuil que, pour la première fois de sa vie, il ne partage plus avec son frère, qui s'installe tout près, rue Clos-Georgeot, dans le même périmètre de la paroisse Saint-Roch. « Le mérite de la rue d'Argenteuil », écrit A. Le Gall, « tient dans sa proximité avec le Louvre où siège l'Académie. Or l'Académie est un des lieux auxquels Corneille reste le plus longtemps fidèle. »
C'est là qu'il meurt le 1er octobre 1684. Depuis longtemps malade, il n'avait plus paru aux séances de l'Académie française depuis le 21 août 1683. Quelques semaines plus tard, son frère Thomas fut élu à son fauteuil, et c'est Racine qui, le 2 janvier 1685, prononça le discours de réception qui fut consacré pour l'essentiel à un vibrant éloge de Pierre Corneille.